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troisième anecdote n'a pas trouvé place non plus dans le compte rendu officiel et il vaut mieux la passer également sous silence.

Le printemps de 1868 ramène Gabriel Bulliot aux réunions de la Sorbonne, et c'est à sa fillette, encore petite écolière, qu'il fait le récit de la séance où il a pris la parole:

Le petit papa a rendu compte de vive voix, aujourd'hui, à la Sorbonne, des fouilles du Beuvray, en présence du ministre. Je ne sais s'il a bien ou mal parlé, mais on l'a écouté avec une grande attention, au moins autant que tante Charlotte', lorsqu'elle parle en classe. Personne n'a causé, ce qui est assez rare, car tous ces Messieurs, quoique bien grands, font ordinairement autant et même plus de bruit que les petites filles durant la leçon. Ils parlent tout bas, et même un peu haut, à leurs voisins.....

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On l'a déjà vu plus haut3: les savants sont partout les mêmes. Mais on voit aussi que si la science rend quelque peu bavard, elle n'est pas contraire à l'art de parler aux enfants et qu'elle sait au besoin prendre le langage qui convient à leur âge.

A ce congrès Gabriel Bulliot obtint une médaille d'or pour ses découvertes et ses travaux archéologiques. Convié à cette occasion dans différents salons officiels 4, recherché par M. Amédée Thierry qui ne cesse pas de l'interroger et de mettre à profit ses connaissances de l'ethnographie gauloise, il jouit modestement de ses succès et, sans être ébloui de l'éclat, assez nouveau pour lui, de ces brillantes réceptions, il écrit au sortir de l'une d'elles : « Enfin, la morale de tout ceci, c'est que l'on se convainc de plus en plus, à ces spectacles, que la paix n'est qu'au coin du feu,

1. M. Charlotte Laumain, connue sous le nom de Tante Charlotte, qui dirigeait à Autun une école secondaire de jeunes filles.

2. Du 16 avril 1868.

3. V. plus haut, p. 375.

4. Au ministère de l'Instruction publique et à celui de l'Intérieur qui avait alors pour titulaire un Autunois, M. Ernest Pinard, chez le marquis de la Grange, membre de l'Institut, sénateur, etc.

avec sa femme, sa famille et ses amis. Je ne regrette pas d'assister à ces changements de décors qui entretiennent l'esprit et ont leur côté intéressant, mais ce n'est jamais là que je placerai le bonheur. Je ne changerais pas la baraque de Bibracte pour toutes ces splendeurs, si elles étaient sous ma main. » 1

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Aussi est-ce avec bonheur qu'au sortir de ces réceptions, il reprend, dès les premiers jours de juin, le chemin. de sa chère montagne où il espère, espérance souvent déjouée, - retrouver la solitude, le silence et la paix. Là, il s'identifie tellement avec ses Celtes qu'il se croit, par moments, devenu l'un d'eux et qu'il accepte gaiement le nom de Bulliorix que lui ont décerné les facétieux archéologues parisiens, pour qui rien n'est sacré. C'est bien le lieu qui s'adapte le mieux à sa nature, vibrant au moindre souffle et toujours prête à recevoir et à rendre les impressions qui se dégagent du site :

L'esprit de l'homme est fait pour chercher tous les mystères. Il les réclame, comme son domaine légitime. De là, sans doute, le charme de la nature qui ne se montre jamais tout entière pour nous attirer par l'inconnu. Il existe, entre elle et nous, une muette et irrésistible fraternité. Sur cette image terrestre des grandeurs divines passe un souffle de voix inconnues. Je les entends le soir, lorsque je me promène seul en pensant à vous, au milieu des genêts..... Puis, il faut bien redescendre sur la terre et penser aux fouilles, mais, là encore, l'inconnu existe et, avec lui, l'attrait du passé. Il n'est pas un coin de ce sol, couvert de genêts, où le feu abandonné de quelque berger rappelle seul l'homme, qui ne renferme la cendre, la maison, l'outil des races sans histoire, dont il faut retrouver les moeurs et la civilisation. 2

Mais l'heure où on s'imagine Gabriel Bulliot tout absorbé par ses recherches archéologiques est au contraire celle où la vision du désert, du silence et de la nuit se grave davan

1. Du 23 avril 1868.

2. Du 3 juin 1868.

tage dans son esprit si sensible aux impressions produites par les spectacles de la nature. Sa correspondance déborde d'un enchantement dont son esprit ne parvient pas à se lasser:

C'est la plus belle soirée que j'aie encore eue: pleine lune magnifique semblant se complaire à couver dans sa lumière les haies et les bois. Le chemin, dont l'aspect grisâtre tranchait sur la masse sombre du bois, de longues traînées obscures sous les arbres du ravin, à travers la ramure desquels étincelait, au fond de la vallée à pic, le ruisseau de l'Écluse, le lointain et solennel bourdonnement des eaux, montant sans fin dans les profondeurs des forêts réveillaient l'idée d'un monde imaginaire où les êtres devraient être pourvus d'ailes pour franchir librement les espaces et planer, sans secousse, sur l'océan des bois. Un vent frais et doux communiquait aux branches des lisières une incessante oscillation: elles semblaient animées, tant leur mouvement régulier et continu renferme de tendresse et de grâce harmonieuse. Toute l'année cependant, ces merveilles se renouvellent. Elles se renouvellent durant des siècles, dans la solitude et le néant. L'homme, qui seul peut les admirer et les comprendre, est absent. De loin en loin, peut-être, un braconnier à l'affût, un pâtre, dans les jours les plus chauds, prennent leur part de cette exubérante richesse, si leur lèvre toutefois trouve une saveur au breuvage..... Je remercie Dieu de m'avoir donné quelque sensibilité pour ses œuvres. L'admiration est une prière, on ne sent jamais mieux sa présence, au dedans comme au dehors de nous, qu'en se laissant bercer dans cette muette contemplation dont le seul vice est peut-être le vague, mais qui nous fait comprendre l'état de l'âme des saints. 1

On ne peut soutenir que l'archéologie déprime ses adeptes. et qu'elle leur coupe les ailes. Malgré son « amour de vie sauvage et solitaire », son goût pour la contemplation, son aptitude de se laisser pénétrer par les impressions qui se dégagent de la forêt, du silence et de la nuit, Gabriel Bulliot n'est pas insensible aux visites qui viennent le surprendre et l'arracher à ses fouilles et à ses envolées. Il s'opère alors en lui une détente débordante d'entrain et de

1. Du 10 juin 1868.

gaieté. Ainsi de la journée du 1er juillet, remplie par la visite d'amis où, comme il arrive entre amis, la guerre civile a failli éclater: « Au moment de s'asseoir pour déjeuner, devant un très beau paysage, M. le procureur1 a prétendu nous conduire en face de la montagne de Touleur. Il a, envers et contre tous, emmené le déjeuner à sa suite, force était bien de le suivre et, à force de choisir des paysages, on a déjeuné sous des arbres d'où on ne voyait rien. Le déjeuner n'en a pas été moins gai..... » 2

Malheureusement, il n'y a pas que ses amis qui viennent partager un instant sa solitude. La mode s'en mêle. On vient au Beuvray en parties dites de plaisir et même en voyage de noce3: faute de pouvoir visiter la victime de l'éruption de l'an 79, on se rend à la Pompéi celtique dont, chaque jour, Gabriel Bulliot exhume quelques nouveaux vestiges. A tous les visiteurs, il fait bon visage, sans trop se plaindre du temps que ses hôtes de passage lui font perdre, tout en avouant ses préférences pour les pâtres qui lui semblent plus naturels, non encore vernis, et dans lesquels il se plaît à retrouver les fils des Celtes, restés attachés au sol, et dont il évoque la lointaine histoire. Ces visites sont si continuelles qu'à l'issue de l'une d'elles il en vient à dire : « Il faut pourtant que j'essaie de faire quelque chose; je suis bien plus pris ici qu'à Autun. »4

Malgré ce mouvement de surface, ce va-et-vient qui lui laisse au moins la matinée et la soirée libres, il conserve pour sa montagne un attachement qui lui fait prendre le séjour des villes en horreur. A peine rentré à Autun, il ne peut se résoudre à y rester et forme de nouveaux projets de solitude, destinés, comme les autres, à rester à l'état platonique :

1. M. Roidot, procureur impérial à Autun, ami très particulier et collaborateur de Gabriel Bulliot.

2. Du 1er juillet 1868.

3. Du 26 août 1867.

4. Du 6 juillet 1868.

J'ai déjà des nausées du séjour d'Autun, et je vais demain à la Mère où je pense passer seul le jour de la Saint-Ladre, en essayant de travailler. Je suis moins fait que jamais pour la société et la ville. J'ai les nerfs agacés du matin au soir, tandis qu'au Beuvray je vivais dans la paix..... J'achète, je te le déclare, la propriété qu'on m'a offerte pour 200 francs, à l'entrée de la vallée de la Canche et je vais y reprendre le trou de rocher de saint Merry. Tu viendras t'y sanctifier avec moi. Madame..... qui montait chez R..., avec son fils, m'a demandé si je n'y allais point. Je lui ai répondu que j'avais horreur des réunions, et qu'autant j'étais sensible au charme d'un cercle intime de trois ou quatre personnes sympathiques, autant je détestais ces rencontres futiles où l'on ne dit et n'entend que des riens, et que la seule pensée d'y mettre le pied me ferait refuir au Beuvray..... Elle a poussé un cri d'horreur au moins égal au mien. Elle a ajouté qu'on ferait de la musique. Je lui ai riposté qu'une musique entendue en société perdait pour moi sa valeur; que la musique, comme l'amitié, avait besoin de silence pour être bien comprise..... J'étais même invité à dîner, mais je n'ai accepté ni dîner ni musique. J'ai une fureur de solitude depuis ce matin que le monde s'acharne après moi, et si vous étiez du monde je crois que je n'irais pas vous voir. 1

Et qu'on ne croie pas que ce soit là une simple boutade échappée à l'impatience. Cet appétit de solitude, « de vie sauvage », était en lui si profond, si invétéré que la pluie qui suspendait le flot montant des visiteurs, lui paraissait une grâce du ciel. En la voyant tomber en gouttes serrées, il éprouvait une joie intense à la pensée qu'il n'aurait ni questions à entendre, ni réponses à faire, ni à subir une importunité dont sa politesse et sa charité ne lui laissaient guère le moyen de se dégager « Nous entrons ici dans le mois Noir des Celtes, écrit-il à la date du 2 octobre 1868. Après la splendeur des soleils du mois dernier, viennent les brumes et les tempêtes, dans des limbes perpétuelles. Le soleil est mort et la lune ne se montre qu'avec avarice, entre deux nuages..... Je jubile dans ces pluies torrentielles

1. Du 30 août 1868.

2. Du 1 septembre 1868.

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