Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

et ces brouillards qui confondent dans une même obscurité les deux extrémités du jour. » Et puis, dans ce livre, toujours ouvert et si varié, de la nature, il savait lire et faire chaque jour des trouvailles qui variaient celles que le sol interrogé lui prodiguait :

Nous allons, le soir, moi et Pauchard, qui est un saint homme', faire notre prière à la Croix, au milieu d'une brume si intense qu'on s'égarerait si on ne connaissait à fond la montagne. Nous poétisons ensemble, chacun à sa manière, sur la chaume. Tu ne peux te figurer la beauté de cet hiver anticipé. Les arbres et leurs branches tempêtent comme des furieux sous les coups de vent. C'est une musique et un mouvement étourdissants. Les rafales se succèdent sans intervalles, emportant parfois ou plutôt balayant les nuages comme une poussière. La lune apparaît un instant, pâle et sereine, semblant sourire au milieu de l'ouragan; puis le cercle radieux d'arcen-ciel, qui l'environne, se referme, les ténèbres reprennent leur empire, les masses confuses des hêtres se cachent dans une ombre mystérieuse, les brumes galoppent comme une chevauchée effrayée du bruit qui remplit l'air, le désert déroule ses tableaux, la nature parle toutes ses voix..... 2

Aussi, n'est-on pas surpris qu'avec cette aptitude à percevoir ces voix, il s'écrie un jour : « Si je n'étais archéologue, je voudrais être pâtre. Ce métier m'a toujours séduit. En voyant sur les chaumes de la Bourgogne, le berger du village, appuyé, durant des heures, sur son bâton, à la même place, j'enviais cette stabilité et cette faculté contemplative. »><3

Mais, pour cette existence d'isolement, il faut un fond très riche qui permette de se suffire à soi même, ou un fond très pauvre qui soit sans besoin. Les natures moyennes, qui sont les plus nombreuses, ne sauraient s'accommoder d'un tel régime. Pour des natures d'élite, comme la sienne,

1. Un saint très morvandiot cependant, catégorie non encore admise au calendrier.

2. Du 2 octobre 1868.

3. Du 10 juin 1868.

au contraire, les moindres événements rendent des sons. qui font éprouver autant de surprise que de charme :

Le mistral a fait l'office de la mort sur les jeunes pousses qui n'avaient pas encore souri au printemps. Ce rapide faucheur est venu jusqu'à nous. Il a arraché de la muraille où il se cramponnait le beau lierre du jardin qui, dans sa chute, a brisé un lilas. Tu ne peux te faire une idée de la désolation des moineaux qu'il logeait sans payer loyer. Comme le fermier d'une métairie incendiée, ils regardaient tristement l'abri où ils avaient dormi tant de nuits et les feuilles qui les avaient protégés contre la pluie. Ils voltigeaient effarés, criant, piaillant dans ce malheur public, semblant s'appeler pour prendre chacun une branche dans son bec pour tenter de relever leur maison d'un effort commun. Ces pauvres délogés ont couché sur le grand acacia, au vent et à toutes les intempéries; ils restaient, le lendemain, immobiles et attérés. Les plus braves paraissaient déjà avoir déserté pour chercher une patrie. L'instabilité des choses atteint les êtres dans toutes les conditions. La destruction d'un lierre équivaut, pour les oiseaux, à la ruine d'un village; le pas d'un boeuf dans une fourmilière, à une bataille. '

Rappelé à Paris par le congrès annuel, Gabriel Bulliot assiste à une conférence d'Henri Martin, sur les bardes Gallois qui paraissent avoir conservé une partie des doctrines druidiques, un peu altérées par le christianisme. Singulier héritier des druides, qui attribuait à ces prêtres si peu connus, cette sentence, notée au passage : « Il y a trois choses qui sont nées ensemble : l'homme, la lumière et la liberté. » L'auditeur fait observer que cette maxime << paraît bien avancée pour remonter aux druides 2 », et il n'a pas tort. C'est là, en effet, un langage de druide de réunion publique, et il ne pouvait que faire sourire un esprit aussi informé des choses de la Gaule.

Tout en se disposant au congrès, Gabriel Bulliot ne néglige pas de profiter des occasions qui s'offrent de satisfaire sa piété et son goût pour la musique. A Paris, il

1. D'Autun, le 12 mars 1869.

2. Du 25 mars 1869.

TOME XXXII.

25

retrouve l'abbé Bougaud, un vétéran de la Société Éduenne1, devenu un des orateurs de la chaire chrétienne les plus éminents et les plus écoutés : « Nous sommes allés à la Madeleine, entendre M. Bougaud. L'église était comble. Les marches du choeur étaient couvertes d'hommes chantant les psaumes. L'assemblée, dans un recueillement profond, présentait un aspect saisissant. Ce temple grec, dont on a dit tant de mal, était superbe avec cette vaste assemblée qu'on embrassait d'un seul regard, sans qu'aucun pilier en dérobât la vue. M. Bougaud n'est plus reconnaissable. Ce prédicateur de chapelles et de Visitandines est devenu un orateur. Sa voix a quadruplé de volume, son geste est resté simple en devenant grand. Il possède véritablement la belle éloquence. Il est profondément sympathique et quoique les inflexions de sa voix soient un peu monotones et n'aient pas les accents imprévus de Lacordaire, il émeut néanmoins avec facilité. Il a parlé de la fête et de la résurrection de Notre-Seigneur. Puis il a comparé à sa passion et à son triomphe les diverses phases de la vie de l'Église universelle, depuis les persécutions jusqu'à nos jours : toujours la passion et la résurrection. Il a eu des considérations très belles et son auditoire paraissait vivement impressionné. Après le sermon, je suis allé le voir. Il a été très affectueux et..... nous avons devisé d'Autun et de Bibracte..... » 2

La journée, commencée au pied de la chaire chrétienne, s'achève au milieu des ravissements du Conservatoire, et on ne peut guère dire qu'il y ait contraste entre les émotions de l'un et les enseignements de l'autre : l'audition de Judas Macchabée, de Haendel, ne complétait-elle pas le récit des épreuves et des triomphes de l'Église? « Le concert a été superbe, mais tout s'est effacé devant un petit bijou, ou

1. Auteur de l'Étude historique et critique sur la mission, les actes et le culte de saint Bénigne, publication de la Société Eduenne, Autun, 1859.

2. Du 29 mars 1869.

plutôt un diamant serti d'or et d'émail: un air de Judas Macchabée, d'Haendel, ravissant. Il n'est pas possible d'unir une naïveté aussi charmante, une expression aussi douce, aussi exquise, aussi désintéressée, à une fraîcheur de voix et à une perfection artistique aussi consommées, et mon impression a été partagée par tous. » Ces jouissances élevées, il les voudrait communes avec les siens et s'excuse presque de les goûter seul : « Je voudrais seulement te voir partager ces quelques jouissances où les impressions de la religion et de la famille s'associent à celles des arts qui, eux aussi, façonnent cette nature humaine si difficile à perfectionner. » 2

Mais la Sorbonne a ouvert ses portes aux congressistes accourus de tous les points de la France pour exposer leurs découvertes et produire leurs travaux. Gabriel Bulliot, on l'a vu, était un des fidèles de ces assises scientifiques où ses communications sur les fouilles du Beuvray et sur l'archéologie gauloise obtenaient toujours un vif succès. Le mémoire présenté en 1869 l'emportait de beaucoup sur les travaux analogues et méritait certainement le prix, mais il fallait compter avec les compétitions soutenues par de puissants appuis :

J'ai vu hier M. Quicherat, à la Sorbonne, à qui j'ai parlé de mon mémoire. Il m'a dit qu'il méritait en effet le prix; que c'était tout ce qu'on avait de plus neuf et de plus sûr; que si je ne l'avais pas eu l'an dernier on me l'aurait donné cette année, mais qu'il serait décerné à un vétéran de l'archéologie, l'abbé Cochet..... Quicherat a ajouté que mon fief était tellement riche et mes fouilles devant continuer sur les fonds du ministère si l'empereur cessait, je n'avais pas à m'inquiéter et que je serais récompensé une autre fois d'une manière digne de moi. « Nous vous aurions bien décerné une médaille, a-t-il ajouté, mais c'eût été trop au-dessous du travail et vous ne pouviez avoir que le prix. Le Moniteur en rendra compte et vous verrez comment il a été apprécié. » 3

1. Du 29 mars 1863.

2. Idem.

3. Du 31 mars 1869.

Cette déception ne l'empêche pas de faire bonne mine à son heureux vainqueur et de rendre justice à son mérite : « Je suis allé hier à la soirée du ministère où j'ai fait la meilleure mine à l'abbé Cochet qui m'a supplanté. Il a réellement envoyé une statistique monumentale de la SeineInférieure très importante: seulement elle répondait mal au programme et surtout n'apprenait rien de nouveau. 1 D Les réunions de la Sorbonne n'épuisent pas son activité. A peine est-il sorti des unes qu'il se rend à la Société française de numismatique 2 et à celle des Antiquaires de France 3, où il fait des conférences qui lui épuisent au moins la voix. Il se repose en écoutant, le soir, une symphonie de Mendelssohn, aux concerts Pasdeloup, récompense bien méritée après un tel labeur.

Frappés des résultats importants que les fouilles de Bibracte apportent à l'histoire de la Gaule, les hommes de science, M. de Reffye, le général Creuly, s'étonnent que la croix n'ait pas encore récompensé son mérite : « A quoi j'ai répondu que je ne travaillais pas pour les récompenses. » Vous avez raison, a-t-il répliqué, le travail se récompense lui-même par les satisfactions qu'il procure 4. C'est en effet le lot du plus grand nombre et c'est aussi le meilleur.

Après ces journées si pleines, une flânerie le soir n'est pas de trop, surtout quand elle contribue à l'élévation de l'esprit :

Le soir, j'ai fait ma première flânerie. J'ai admiré les grands effets des arcades des cours du Louvre à la lumière du gaz, les colonnades en étages à demi éclairées, les voûtes sombres et paraissant déjà une grande ruine, dans la solitude, au milieu du bruit de Paris. Quelques lueurs de lampes, derrière les vitres des combles, rappelaient seules

1. Du 4 avril 1819.

2. Idem.

3. Du 7 avril 1869.

4. Du 10 avril 1869.

« ZurückWeiter »