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dance fait passer sous nos yeux, il en est un, celui d'un artiste de notre pays, Maugey1, bien oublié de la génération actuelle, qui se rattache au patrimoine artistique de notre cité et mérite, à ce titre, d'être rappelé ici. A celui-ci, comme à bien d'autres, la fortune n'avait pas souri et son nom était resté dans la pénombre, à peine prononcé par quelques camarades mieux informés. Cette rigueur du sort avait suffi pour exciter la compassion de Gabriel Bulliot envers cette victime d'une disgrâce imméritée. « Je ne comprends pas, écrivait-il au lendemain de sa visite à l'atelier de l'artiste, qu'avec son talent il ne soit pas plus connu. Mais quelle pénible vie que celle de la plupart de ces malheureux artistes, mal logés, mal nourris, se consolant comme ils peuvent, dans la jouissance de leur art, des privations de tout genre qu'ils sont forcés de subir en restant à la première étape du chemin de la réputation. Je ne souhaite cette carrière, que j'apprécie cependant, à aucun des miens. >> 2

La tristesse que lui inspire cette visite a trouvé un contrepoids dans le succès d'un ami, Henri Pignot, dont l'Histoire de l'ordre de Cluny, publiée par la Société Éduenne, a obtenu le grand prix au concours triennal établi entre toutes les sociétés de province 3. Gabriel Bulliot s'en réjouit à la fois comme ami de l'auteur et comme président de la Société associée à cette victoire.

Mais presque aussitôt, une perte cruelle, celle d'un ami très cher, Mgr Devoucoux, évêque d'Évreux, le frappait en plein cœur. Mr Devoucoux avait été son initiateur, son premier maître en histoire et en archéologie; il lui devait le bonheur de sa vie par la part efficace prise à son mariage. C'était donc plus de titres qu'il n'en fallait pour exciter

1. Claude Maugey, né à Vitteaux (Côte-d'Or), le 24 mai 1824, décédé à Allevard, au mois d'août 1870.

2. Du 16 avril 1870.

3. Du 23 avril 1870.

ses regrets. A ceux-ci s'ajoutait, il faut le dire, une légitime indignation de voir cet évêque, éminent et dévoué à ses devoirs, méconnu et presque outragé par un clergé que la lecture de l'Univers avait fanatisé, au point de lui inspirer une lettre qui rappelle « le baiser de Judas ou le salut des prétoriens dans la Passion. » De cette lettre, inspirée par l'attitude réservée de l'évêque au récent concile, il rapproche les attaques chaque jour plus violentes contre l'autorité publique et conclut tristement : « Le monde se renverse par les deux bouts. 2» Sa présence à Paris lui permit au moins de se rendre à Évreux, pour assister aux obsèques de son ami. Là, il trouva plus de justice dans les sentiments de la population qui se refusa à faire à son évêque un crime de l'exercice d'un droit : « La cérémonie a été très belle, l'affluence considérable, la population recueillie. Elle n'a cessé, durant les huit jours [qui ont séparé la mort des funérailles], de visiter l'évêché et de faire toucher des objets pieux au corps de Monseigneur dont les traits n'étaient nullement altérés 3. » Un an plus tard, le 1er mai 1871, quand la paix eut rendu un peu de liberté aux esprits, Gabriel Bulliot acquitta sa dette de reconnaissance, en même temps que celle de la Société Éduenne, envers l'homme qui avait laissé dans notre existence une trace qui ne sera pas effacée. 4

Le mois de juin le retrouve, comme chaque année, au Beuvray pour lequel, écrit-il, « mon admiration ne baisse pas, regrettant seulement le temps qu'elle me prend. Sans ce scrupule, je me promènerais du matin au soir, tant on se sent vivre, en pensant, au milieu des genêts ou dans les fourrés, à Dieu, à ceux qu'on aime, à ceux qu'on a perdus,

1. De Paris, 12 mai 1870.

2. Idem.

3. Idem.

4. Notice sur la Vie et les Œuvres de Mgr Devoucoux, évêque d'Évreux, ancien président de la Société Éduenne, par G. Bulliot. Autun, 1871, in-8° de 26 pages.

à cette belle nature qui nous enveloppe; je ne m'en dédis c'est une société bien supérieure à celle des hommes. » 1

On travaillait alors à la construction de la maison en pierre, chaux et sable, qui devait remplacer la baraque provisoire. Mais il faut, tout à coup, quitter chantier et ouvriers, se mettre entre les mains des chirurgiens et subir une douloureuse opération à la mâchoire. Le patient fut stoïque. Apprenons de lui l'art de la souffrance:

Après avoir quitté le Beuvray, vendredi soir, j'ai fait de nouveau sonder mon mal à Pierre 2 qui a trouvé la carie plus profonde qu'il ne pensait. Nous avons décidé l'opération pour le lundi matin d'abord, puis pour le dimanche. Ce jour me plaisait à cause de la fête des deux grands martyrs 3 à qui j'ai demandé un peu de leur patience. J'ai communié le matin et, à deux heures mes bourreaux sont arrivés sans me produire d'émotion. Je n'avais prévenu personne de la maison, pas même les domestiques. Je leur ai fait préparer les objets nécessaires sans leur en dire le motif. J'ai lu dans l'Imitation le chapitre de la Croix et je me suis disposé à en prendre une petite partie. Ce que je regarde comme une grâce, c'est de n'avoir pas éprouvé l'ombre de ces tremblements que me donnent les moindres émotions. On m'a charcuté passablement sans que j'aie dit ouf! Seulement j'ai fermé les yeux pour ne pas voir les outils..... 4

Après quinze jours de pansements douloureux, Gabriel Bulliot eut enfin la permission d'aller faire, au Beuvray, la cure d'air et d'archéologie à laquelle il aspirait. Mais les esprits commencent à s'émouvoir. Aussi les visiteurs sont rares. Seuls, à l'heure du repas, quatre chiens faméliques et inconnus se présentent, chaque jour, pour avoir part à l'agape. Quelque variable que soit cette heure, ils sont là, convives ponctuels et diligents, instruits par la puissance de leur odorat, et disparaissent après la dernière bouchée,

1. Du 23 juin 1870.

2. Le docteur Pierre, médecin à Autun.

3. Saint Pierre et saint Paul.

4. Du 30 juin 1870.

TOME XXXII.

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sans qu'on ait jamais su d'où ils arrivaient. Cependant, les événements commencent à faire sentir leurs effets, même au Beuvray : « Ces pauvres Morvandeaux sont préoccupés de la guerre qui en emmène un certain nombre, déjà mariés 1. » Ils n'y comprennent rien, naturellement, sinon qu'ils sont obligés de quitter leurs foyers, sans savoir pourquoi, pour aller ils ne savent où. La solitude se fait autour du vieil oppidum : « Pauvre Bibracte! la guerre lui fait tort. On s'occupe d'elle moins que du roi de Prusse. Personne ne lui fait honneur d'une visite. Elle n'a d'autres hôtes que moi, le dernier des Gaulois. 2 » C'est d'ailleurs l'époque du départ annuel. Après un soleil brûlant et implacable, la pluie, une pluie torrentielle, un brouillard intense, les premiers glas du vent d'automne. « Les poteries sont embarquées d'hier; la baraque est nue, les rayons sont tristes, comme si l'ennemi avait fourragé. 3 » Et puis, au Beuvray, les nouvelles sont confuses et rares. Il faut s'en procurer. Quelles seront-elles? La sombre réalité ne tarde pas à se révéler dans toute son étendue : « Vous êtes, comme nous, terrifiés par la dépêche navrante qui afflige la France entière..... La blessure du maréchal de Mac Mahon est moins grave, dit-on, que la dépêche ne l'annonce. Mais la blessure de la France ne se cicatrisera pas aussi vite. Quel deuil et quelle ruine! La prospérité matérielle dont on était si fier est atteinte pour longtemps. On s'en consolerait si sa destruction pouvait profiter à la résurrection morale. Rien ne le fait présager, malheureusement, et l'esprit de la France ne changera pas. Il vaut mieux fermer les yeux et prier Dieu qui nous éprouve, sans peut-être nous abandonner tout à fait. » 4

Dans cette détresse générale, au retour d'un court voyage

1. Du 20 juillet 1870.

2. Du 3 septembre 1870.

3. Idem.

4. D'Autun, 5 septembre 1870.

d'affaires à Paris, il invite tous les siens à se grouper à Autun, comme dans un port moins exposé à la tempête :

Les épreuves publiques et privées, que nous traversons, font sentir le besoin de se rapprocher et de chercher dans la famille la seule compensation possible aux soucis du présent et de l'avenir. L'abaissement moral de tous, ou presque tous, ne laissait que trop pressentir une solution terrible; elle a éclaté comme la foudre. Le caractère de fatalité, qui a présidé aux préliminaires comme à tous les événements de cette funeste guerre, malgré la bravoure de nos soldats, m'a effrayé dès le début en me montrant une autre puissance que celle des hommes. Le capital et la prospérité matérielle, avec lesquels on se croyait maître des événements, ont sombré d'un seul coup, et la fortune comme la vie de chacun sont mises en question. Remettons notre sort entre les mains de Dieu. Maintenant, je vous engagerais à prendre vos mesures pour venir le plus tôt possible à Autun. Sans compter sur rien, la protection me paraît plus grande, à tous les points de vue, dans une ville, et n'y trouva-t-on d'autre avantage que de souffrir ensemble, c'en serait encore un. Je reviens de Paris. Quel changement de physionomie dans la ville! Suppression d'équipages, magasins désertés, banlieue abandonnée. Toutes les maisons, les villages mêmes situés sous le canon des forts, vont être détruits à l'approche de l'ennemi. Les gens qui les habitaient, ainsi que ceux qui fuient devant les Prussiens, rendent à Paris une partie de la population qu'il perd chaque jour. Les départs sont tellement considérables que les trains ont constamment deux à trois heures de retard. On se bat dans les gares pour avoir des billets et j'ai vu l'heure, mercredi, où je ne partirais pas..... Notre situation, jusqu'à ce jour, est bien privilégiée, mais notre tour arrivera aussi..... Le conseil municipal d'Autun et M. Breynat' fonctionnent toujours, pour peu de temps, je suppose 2. Il n'y a eu, comme généralement, aucun désordre au changement de gouvernement. N'est-ce qu'un temps d'arrêt ou un mot d'ordre? En tout cas, on ne peut que s'en louer. 3

1. Sous-préfet d'Autun.

2. Contrairement à ce que nous avons dit plus haut, § 3, par suite d'un renseignement inexact, Gabriel Bulliot faisait encore partie, à cette date, du conseil municipal d'Autun: « Je ne puis quitter Autun, à moins de changement du conseil municipal, dont je prendrais mon parti si d'autres ambitionnent la place. »> (Idem.)

3. D'Autun, le 9 septembre 1870.

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