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CHAPITRE IX.

Ce qui a préservé jusqu'ici l'Amérique du nord. Dangers qui la menacent,

Cette race anglo-saxonne, qui a su faire d'une île humide et sans soleil le plus riche pays du globe, transportez-la sur un territoire deux fois grand comme l'Europe occidentale (1), et dix fois plus propre à tous les genres d'industrie. A sa passion innée pour la richesse, à son génie calculateur, à son infatigable activité, offrez, entre autres théâtres, une vallée six fois plus grande que la France, d'une fertilité incroyable, arrosée du nord au sud par le Père des eaux (2), qui, sur sa route d'un millier de lieues, reçoit le tribut de vingt-cinq rivières dont le parcours moyen pour chacune est de plus de deux mille kilomètres: vous pouvez être sûr que cette race ne s'amusera pas à bâtir de nouvelles religions à l'aide de la Bible, ni à lire les élucubrations sottement impies de Strauss contre le Nouveau Testament.

Dans leur vie collective, comme dans leur vie individuelle, les hommes commencent toujours par la foi c'est par là qu'ils vivent et grandissent. Les peuples nouveaux, comme les enfants, s'en tiennent à la religion de leurs pères, et tournent exclusivement leurs forces vers l'affermissement et l'amélioration de leur existence matérielle et politique. Pour que la fièvre des nouveautés religieuses y produise sa fille, l'indifférence, il faut que de longs travaux aient enfanté de grandes fortunes, et que ces fortunes, fixées dans les familles

(1) Voy. Considérations sur le principe démocratique qui régit l'Union américaine, par M. le major du génie Poussin, p. 14.

(2) C'est le nom que les Indiens ont donné au Mississipi. « La vallée du Mississipi est, à tout prendre, la plus magnifique demeure que Dieu ait jamais préparée pour l'habitation de l'homme, et pourtant on peut dire qu'elle ne forme encore qu'un vaste désert. » De la Démocratie, t. I, ch. 1.

par une législation conservatrice, aient engendré des habitudes de loisir, le goût des lettres, des études, des jouissances de l'esprit.

Or, pour le moment, les Anglo-Américains n'ont pas à craindre la pire des corruptions: la corruption des gens de lettres. Chacun y sait lire, écrire, surtout chiffrer; mais le métier d'auteur y est trop méprisé pour être dangereux. « Dites à un Américain que l'illustration des lettres est plus belle à poursuivre que la fortune, il vous accordera le sourire de pitié qu'on donne aux discours d'un insensé (1).

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On ne peut faire avec succès de la mauvaise théologie ou philosophie que dans les régions où la bonne a longtemps régné et conquis le respect général par de grands travaux ; car le mal ne se répand que sous le masque du bien. Ce fut des monastères savants, des universités, des corps lettrés, de tous les foyers de lumière qui avaient dissipé les ténèbres du moyen âge, que sortirent, au xvre siècle, les brandons qui ont presque réduit en cendres notre Occident.

Or, le protestantisme américain est loin de toucher au degré de maturité scientifique où commence la corruption. Si, depuis sa première apparition sur les rivages du nouveau monde en 1620, il a fait d'admirables progrès en tolérance, il n'en est pas moins vrai qu'il se ressent toujours de la vigoureuse théocratie qui présida à son éducation, sous la main de fer des disciples de Calvin.

La liberté religieuse que les premiers émigrants anglais allaient chercher en Amérique ne ressemblait aucunement à celle qui y règne aujourd'hui, réglementée qu'elle était par le code draconien du réformateur génevois. Rien de moins tendre que la législation puritaine des États de la NouvelleAngleterre, condamnant au bannissement perpétuel les ana

(1) M. G. de Beaumont. Marie ou l'Esclavage, t. I, p. 247. « Il y a telle ville de troisième ordre en Europe, dit M. de Tocqueville, qui publie chaque année plus d'œuvres littéraires que les vingt-quatre États de l'Union pris ensemble. » De la Démocratie, t. II, p. 223.

baptistes, les quakers, et à la mort le prêtre catholique qui, chassé une première fois, eût osé reparaître (1). Le major Poussin observe que les catholiques du Maryland levèrent, les premiers, en 1634, l'étendard de la tolérance religieuse dans le nouveau monde, en déclarant dans leur constitution qu'aucun individu ne pourrait être recherché, inquiété ou molesté pour cause d'opinion religieuse (2).

En même temps qu'on sévissait avec tant de rigueur contre les contempteurs des dogmes de Calvin, on appliquait énergiquement ses lois et règlements de police religieuse sur l'observation du dimanche, sur l'éducation de la jeunesse; on se montrait impitoyable contre le luxe, les théâtres, les jeux, les divertissements, et surtout contre l'adultère (3).

On ne peut nier qu'un tel système n'ait beaucoup contribué à former ce fonds d'esprit religieux qui distingue les citoyens de l'Union des habitants de notre vieille Europe, hébétés par l'esprit philosophique, qui n'est qu'un grossier mépris d'une religion que l'on ignore. « Là, l'homme sans religion est un lépreux, nous dit M. de Tocqueville; chacun le fuit, et il reste seul..... Les Américains confondent si complétement dans leur esprit le christianisme et la liberté, qu'il est presque impossible de leur faire concevoir l'un sans l'autre (4). »

Grâce encore à la sévérité des consistoires, le protestantisme n'a point produit en Amérique ce triste mépris des liens du mariage et de la foi conjugale, qui, des pays réformés par Luther et Henri VIII, s'est répandu comme une lè

(1) Voy. M. de Tocqueville, De la Démocratie, t. I, ch. II.

(2) De la Puissance américaine, t. I, ch. IX. Il est à remarquer que les nombreux réfugiés protestants qui se retirèrent à Baltimore payèrent bien mal l'hospitalité reçue. Ils s'insurgèrent contre les catholiques en 1686, et en 1692 le Maryland passa sous la suprématie de l'église anglicane, qui persécuta rudement les catholiques et les quakers. Ibid., p. 121.

(3) De la Démocratie, voir les notes du t. I, p. 285-288.

(4) Ibid., t. 1, ch. x1, p. 209. « On ne croit pas, aux États-Unis, qu'un homme sans religion puisse être un honnête homme. » M. de Beaumont, Marie, etc., t. II, p. 224.

pre sur les sommités de la société européenne, et en dévore maintenant les couches inférieures.

«<< La religion y est (en Amérique) souvent impuissante à retenir l'homme au milieu des tentations sans nombre que la fortune lui présente; elle ne saurait modérer en lui l'ardeur de s'enrichir, que tout vient aiguillonner; mais elle règne souverainement sur l'âme de la femme, et c'est la femme qui fait les mœurs. L'Amérique est assurément le pays du monde où le lien du mariage est le plus respecté, et où l'on a conçu l'idée la plus haute et la plus juste du bonheur conjugal..... Tandis que l'Européen cherche à échapper à ses chagrins domestiques en troublant la société, l'Américain puise dans sa demeure l'amour de l'ordre, qu'il porte ensuite dans les affaires de l'État (1).

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A ces populations éminemment laborieuses, qui puisent dans la religion et la vie de famille un grand amour de l'ordre, donnez un régime municipal des plus populaires, une constitution de chaque État, et une constitution fédérale, qui fassent concourir tous les citoyens à l'administration de la commune et de la justice, au gouvernement de l'État et de l'Union entière; enfin, ouvrez devant elles un théâtre immense à leur activité, un aliment inépuisable à leur amour de la richesse et du bien-être ; vous devez comprendre que, avec ces habitudes et tant d'occupations absorbantes, les masses n'auront ni le loisir ni la volonté d'aller guerroyer sur le terrain des questions religieuses.

Le bon sens populaire, qui domine tout aux États-Unis, n'a jamais aimé à raffiner sur la religion. Il regarde celle-ci comme l'œuvre de Dieu, et ne s'imagine pas que les hommes puissent jamais jouir du droit absurde de la refaire. Aussi

(1) De la Démocratie, t. I, ch. 1x.- - C'est aussi l'hommage que M. de Beaumont rend aux Américains, en disant que « la société, indulgente pour le libertinage du célibataire avec les prostituées, condamne sans pitié l'adultère. Elle y est également inflexible pour l'homme qui provoque et pour la femme qui le commet. Tous deux sont bannis de son sein. » Marie, t. I, p. 27.

a-t-il toujours répugné aux innovations religieuses, et il est historiquement démontré, notamment par ce qui se fit au XVIe siècle, qu'il n'a jamais changé de religion que sous la pression des classes aristocratiques. Celles-ci n'existant pas dans la république américaine, « le christianisme a conservé un grand empire sur l'esprit des Américains;............ il ne règne point seulement comme une philosophie qu'on adopte après examen, mais comme une religion qu'on croit sans la discuter (1). »

La variété infinie des sectes fait qu'on attache peu d'importance aux divergences dans la forme du culte; mais l'opinion publique exige que l'on tienne aux principaux dogmes et préceptes de l'Évangile, et le ministère religieux protestant est trop faiblement organisé pour lutter contre cette tendance générale des esprits.

En effet, nous dit M. de Beaumont, il n'y a pas de pays au monde où les fonctions religieuses s'obtiennent aussi facilement et se déposent de même. « Le ministère devient une carrière dans laquelle on entre à tout âge, dans toute position, et selon les circonstances. Tel que vous voyez à la tête d'une congrégation respectable, a commencé par être marchand; son commerce étant tombé, il s'est fait ministre. Cet autre a débuté par le sacerdoce; mais dès qu'il a eu quelque somme d'argent à sa disposition, il a laissé la chaire pour le négoce. Aux yeux d'un grand nombre, le ministère religieux est une véritable carrière industrielle. Le ministre protestant n'offre aucun trait de ressemblance avec le curé catholique. En général, celui-ci se marie à sa paroisse; sa vie tout entière se passe au milieu des mêmes personnes, sur lesquelles il exerce non-seulement l'influence de son caractère sacré, mais encore l'ascendant de ses vertus ; il ne fait pas un métier, il accomplit un devoir. L'existence du ministre protestant est, au contraire, essentiellement mobile; rien ne l'en

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