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En contact par ses facultés avec tout ce qui existe, l'homme, comme nous le verrons bientôt, surpasse indéfiniment tous les êtres visibles en indigence et en grandeur. Né au dernier degré de l'ignorance, de la pauvreté, de la faiblesse, il aspire irrésistiblement à tout savoir, à tout avoir, à tout pouvoir. Pour se délivrer de ses misères et élever le niveau de son existence, il sent qu'il a besoin du concours : 1o du père des existences; 2o des individus de son espèce; 3o des êtres inférieurs animaux, végétaux, minéraux.

De là trois besoins universellement sentis par la conscience humaine. Le besoin de connaître et de régler nos rapports avec Dieu; c'est l'objet de la religion. Le besoin de connaître et de régler nos rapports avec les hommes; c'est l'objet de la politique. Le besoin de connaître et de régler nos rapports avec les substances vivantes et inanimées de l'ordre matériel; c'est l'objet de l'industrie.

Religion, politique, industrie, telle est la trinité autour de laquelle se groupent toutes les connaissances humaines spéculatives et pratiques, depuis la science la plus élevée jusqu'à l'art le plus humble. De l'indissoluble et harmonieux accord de ces trois branches découle l'unité de la science sociale, que nous avons définie : la connaissance de nos rapports nécessaires avec les êtres auxquels notre existence est liée, c'est-à-dire avec l'universalité des êtres.

Que cette science n'ait rien qui puisse en faire le monopole d'une classe spéciale ; que, dans ses données essentielles, elle soit indispensable à tous les individus humains jouissant du plein exercice de leurs facultés, on doit déjà le voir.

En effet, nous naissons tous avec les mêmes besoins, avec les mêmes aspirations. Placés, par le fait de notre existence, en rapports personnels et incessants avec le monde, il y a nécessité pour chacun de nous de s'y orienter, de savoir comment et pourquoi on y est, ce que sont pour nous tant d'êtres auxquels notre existence est mêlée, ce que nous leur

devons, ce que nous pouvons en attendre, quelle est la meilleure manière de vivre en paix avec eux.

Faute de lumières suffisantes sur ces questions capitales, nous resterions au-dessous des animaux, si bien servis par leur instinct dans l'accomplissement de leur destinée. Fatalement livrés à l'aveugle impulsion de nos appétits, nous courrions risque à chaque pas d'aller nous briser contre les lois immuables de l'ordre, et notre vie ne serait qu'un long supplice pour nous et nos entours.

Populariser la science sociale, en donner la connaissance, en inspirer l'amour à l'universalité des hommes, c'est donc l'intérêt suprême de l'individu et de la société. Nous verrons, en effet, que l'un et l'autre ne peuvent avoir qu'un but l'éducation ou la civilisation de l'homme, laquelle doit se définir l'art d'élever les hommes à la perfection dont ils sont capables, en les formant à vivre en bonne harmonie avec Dieu, leur père, avec les hommes, leurs frères, avec les êtres inférieurs, leurs sujets.

Or, comment les hommes peuvent-ils apprendre à vivre en bonne harmonie avec Dieu, entre eux, et avec la nature matérielle, s'ils ignorent leurs rapports nécessaires avec ces trois classes d'êtres ?

CHAPITRE II.

Du principe commun de nos erreurs sociales. - Système
des niveleurs éclectiques.

La science n'étant que l'évolution d'un principe, il importe grandement de ne pas errer dans le choix de notre principe. En partant d'une fausse donnée, la logique, qui sert au dévidage de l'erreur aussi bien que de la vérité, nous conduirait, de déduction en déduction, jusqu'à l'absurde. Or, l'absurdité, qui périt bientôt par le ridicule quand elle est spéculative, finit souvent par l'atroce en matière sociale. Accueillie avec enthousiasme par les mauvais instincts qui ne vivent que de déraison, elle envahit les masses, et peut conduire au tombeau la nation qui aura dit: Ces idées sont trop absurdes pour être dangereuses.

Que sont, en effet, les théories extravagantes qui aujourd'hui font trembler l'Europe et peuvent demain l'ensevelir dans le sang? Elles ne sont que le développement logique du faux principe admis, sciemment ou non, par la plupart des publicistes modernes.

Ce principe, c'est l'antique fable de l'espèce humaine apparue, on ne sait trop ni quand ni comment, sur notre planète, vivant d'abord dans un isolement sauvage, qu'on est convenu d'appeler état de nature, se rapprochant ensuite, sous l'impulsion du besoin, de l'intérêt, du plaisir, pour établir la société.

Comment ce vieux conte, honni par le bon sens païen avant même que le christianisme ne l'eùt dissipé comme un rêve stupide, put-il reprendre faveur au sein du XVIIIe siècle? C'est ce qu'on ne peut expliquer qu'en disant : Les docteurs du dernier siècle en étaient venus à ne plus vouloir de l'homme et de la société créés du même coup par Dieu; il

fallait donc qu'ils ressuscitassent l'homme enfanté par l'aveugle nature et la société créée par l'homme sauvage.

Quoi qu'il en soit de l'explication, le fait est indubitable. L'homme de la nature est l'éternel canevas sur lequel l'école moderne a brodé, brode encore les belles idées sociales et politiques qui, de révolution en révolution, nous ramènent à la barbarie.

Pour les esprits les plus avancés dans les lumières de l'époque, tels que la Mettrie et Lamarck, l'enfant de la nature avait toute la valeur d'un fait. Ils montraient scientifiquement comme quoi notre premier père était, selon toute apparence, un marsouin qui avait acquis deux pieds en se fendant la queue, ou un singe dont le nez s'était allongé par un rhume de cerveau (1).

Quant aux écrivains assez sages pour n'aimer à braver ni le bon sens public ni les croyances religieuses, ils laissaient prudemment dans l'ombre la question embarrassante de l'origine première de notre espèce. Les uns, tels que Buffon et son continuateur Lacépède, se bornaient, en leur qualité de naturalistes, à nous apprendre comment le quadrumane humain, errant d'abord dans les forêts, avait pu s'élever à l'état social par l'invention successive de la femme, du langage et de tous les arts (2). Les autres, tels que Montesquieu, Rousseau, etc., nous faisaient assister à l'intéressant contrat par lequel les hommes, régis jusque-là par les instincts individuels, ont renoncé à leur indépendance naturelle, pour vivre sous des lois politiques, et renoncé à la communauté naturelle des biens, pour vivre sous des lois civiles (5).

De cet article de foi philosophique, qui place l'origine de la société humaine dans la libre détermination d'hommes

(1) Voy. Philosophie zoologique, t. II. ganisés, t. II.

- Considérations sur les êtres or·

(2) Voy. le Discours de M. de Lacépède, faisant suite aux OEuvres de Buffon.

(3) De l'Esprit des lois, liv. XXVI, ch. xv.

primitivement égaux entre eux et jouissant d'une complète indépendance, sont nés une foule de systèmes politiques, qui peuvent se réduire à trois : le système des niveleurs éclectiques, le système des niveleurs radicaux, le système des niveleurs consommés.

Les niveleurs éclectiques, en gens modérés et de bonne maison, ont adouci le principe, et par là même les conséquences.

<«< La société, disent-ils, fut une création de l'homme; mais cette création était un progrès et la source de tous les progrès. L'homme de la cité est certainement préférable à l'homme des forêts, dont, au reste, le désir de vivre en société était, comme l'a dit le grand Montesquieu, la quatrième loi naturelle (1). Avec le pacte social naquirent les arts nécessaires et d'agrément, les lettres, les sciences, les religions, les libertés civiles et politiques, toutes choses utiles au développement de l'espèce humaine, pourvu qu'elles soient purifiées de leurs abus et dirigées vers le bien général par un gouvernement sage et éclairé. Or, après bien des essais malheureux, l'Europe arrive enfin à ce juste milieu politique qui, conservant et conciliant en eux les principaux éléments du passé, pose le fondement des progrès de l'avenir en accordant à toutes les lumières, à toutes les capacités, la liberté de se produire au grand jour. Mais ne précipitons rien; car les révolutions, qui nous ont aidés à sortir de la barbarie théocratique du moyen âge, pourraient nous jeter, sous le nom de démocratie, dans une anarchie irrémédiable. »

Mettant la politique au-dessus de la religion et de l'industrie, les niveleurs éclectiques veulent bien donner une place à la première, mais à la condition expresse qu'elle n'en sortira pas pour se mêler de l'ordre politique, attendu que celui-ci est une affaire à régler exclusivement par les lois. Or, le mécanisme qu'ils jugent le plus propre à donner de bon

(1) De l'Esprit des lois, liv. I, ch. 11.

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