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de lois civiles, où l'on ne tient pas compte des affections, des goûts, des mœurs, des coutumes, des besoins moraux et physiques, des intérêts divers, et souvent opposés entre eux, de ceux auxquels ces lois s'adressent ? —Ce sont des sinapismes, des espèces de moxas appliqués à l'âme et au corps de ces peuples; ce qui n'est pas, quoi qu'en disent les légomanes, un très-bon moyen de consolider l'union politique de ces pauvres écorchés.

Que peuvent produire des lois uniformes sur les articles. capitaux des successions, de la quotité et assiette de l'impôt, de l'importation et de l'exportation, dans des pays où les conditions de la prospérité agricole, manufacturière, commerciale, loin d'être uniformes, diffèrent prodigieusement?

Elles ne peuvent produire que la gêne, la souffrance, l'appauvrissement et l'ilotisme général des populations sous des gouvernements d'un despotisme illimité.

Or, comme des populations encore chrétiennes, au moins par les idées, ne peuvent pas croire à l'obligation de se laisser avilir et martyriser de toute manière, pour le bon plaisir de stupides bourreaux, il arrive que la légomanie des gouvernants engendre la légophobie dans les gouvernés, et que des populations jusqu'ici paisibles et amies de l'ordre finissent par écouter ceux qui leur disent: Plus d'autres lois que celles que vous voudrez bien vous donner! Guerre à mort aux destructeurs des nationalités, aux grugeurs et dévoreurs du pauvre petit peuple!

L'ignorance sur l'origine de nos révolutions est si générale et si profonde, qu'il ne faut pas craindre de rebattre ce sujet, ni de signaler à tous les regards les aveugles conducteurs qui, de près ou de loin, nous ont poussés et nous poussent encore, pieds et poings liés, aux abattoirs du socialisme.

CHAPITRE IV.

Où nous a conduits le mépris général des prérogatives
de la nationalité.

La chrétienté européenne une fois brisée par les révolutions religieuses du xvre siècle, et le vicaire du Père commun des peuples ne pouvant plus faire entendre sa voix dans les conseils de la politique générale, les petites nations restèrent sans défense contre l'avidité des grandes.

.

Des souverains investis par le protestantisme du droit plus que divin de refondre le christianisme pouvaient-ils se refuser le plaisir de mouler à leur usage de nouveaux peuples avec les débris des anciens? Le martyre des nations et le mépris le plus insolent de leurs droits et libertés datent de cette époque (1).

Je ne dirai rien de l'aînée des victimes, de l'Irlande, étendue dès lors sur le chevalet, et torturée incessamment par deux bourreaux, dont l'un semble redoubler d'énergie quand l'autre se repose l'aristocratie anglaise et la famine. Je ne dirai rien de l'infortunée Pologne, écartelée par ses voisins, sans qu'il s'élevât une voix dans un siècle abêti par

(1)

« En Angleterre, dit M. Balmès, à partir de Henri VIII, ce qui prévalut, ce ne fut pas même la monarchie, mais un despotisme si cruel, que ses excès n'ont pu être déguisés par de vaines apparences de formes impuissantes. En France, après la guerre des huguenots, le pouvoir royal se montra plus absolu que jamais. En Suède, Gustave monte sur le trône, et, dès cet instant, les rois exercent un pouvoir presque illimité. En Danemark, la monarchie continue et se fortifie. En Allemagne, on voit se former le royaume de Prusse, et prévaloir généralement les formes absolues. En Autriche, l'empire de CharlesQuint s'élève avec toute sa puissance et sa splendeur. En Italie, les petites républiques disparaissent peu à peu, et les peuples, sous un titre quelconque, se rangent sous la domination des princes. En Espagne, enfin, les antiques cortès de Castille, d'Aragon, de Valence et de Catalogne tombent en désuétude. » Le Protestantisme comparé au Catholicisme, etc., t. III, ch. LXII.

des philosophes qui ne parlaient que de justice et d'humanité.

J'arrive à la grande, à la solennelle, à la froide et pacifique immolation des nationalités, qu'offrirent, en 1815, au génie des révolutions, en vue de l'apaiser, les soi-disant restaurateurs de l'Europe.

Respect aux intentions! Dieu seul en est juge; en attendant qu'il nous les manifeste au grand jour des révélations, tenons-les pour honorables. Mais quand des actes politiques, accomplis à la face de l'univers, ont porté dans les entrailles du corps social les éléments les plus actifs d'une dissolution générale, ne serait-il pas permis de qualifier convenablement ces actes en les appelant l'oeuvre de la plus aveugle cupidité dirigée par la plus aveugle politique?

Que fit-on, en effet? Les plus forts, après avoir pris ce qui était à leur convenance, répartirent le reste entre les faibles. Dans cet ignoble partage, on ne donna pas la moindre attention à ce qui constitue la vie des peuples, à leur religion, à leur langue, à leur passé historique, à leurs sympathies, à leurs intérêts matériels. On enfonça le couteau dans leurs chairs vives, on en jeta les membres palpitants dans les plateaux de la balance, et on dit à chacun : Voilà ton lot, gardele bien !

Quelle fut la conséquence immédiate de ce beau travail de charcuterie politique? Ce fut un travail semblable dans chaque nouvel État.

Les grandes puissances avaient fait une Europe à l'image de leur sagesse. Chaque souverain s'appliqua de toutes ses forces à l'assimilation de ses conquêtes, et ne négligea rien pour se délivrer des différences de religion, de langage, etc., qui étaient un obstacle à l'unité de ses États, et un péril pour

l'avenir.

On doit se souvenir des travaux évangéliques de Guillaume d'Orange dans la Belgique, de Guillaume-Frédéric III dans les provinces rhénanes et les duchés polonais, de la

Russie en Pologne, et, en général, de tous les pouvoirs protestants qui acquirent des populations catholiques à l'étal de Vienne.

Là même où la persécution n'a pas encore perdu les persécuteurs, ainsi qu'il est arrivé en Belgique, qu'ont gagné les pouvoirs politiques à ce long viol des consciences et à toutes leurs déprédations religieuses? Ils ont obtenu un certain nombre de défections, affaibli, divisé, appauvri, irrité ceux qu'ils n'ont pu corrompre, c'est-à-dire, l'immense majorité. Or, au jour du péril, quand on a contre soi les consciences les plus nobles, et qu'on n'est défendu que par les renégats, on peut gagner une ou deux batailles, mais on ne fait que retarder la défaite.

Qu'a produit le travail d'assimilation politique et civile? Écoutons un des publicistes les plus modérés :

« L'Europe a éprouvé, dit M. de Tocqueville, depuis un demi-siècle, beaucoup de révolutions et contre-révolutions qui l'ont remuée en sens contraires. Mais tous ces mouvements se ressemblent en un point: tous ont ébranlé ou détruit les pouvoirs secondaires. Des priviléges locaux, que la nation française n'avait pas abolis dans les pays conquis par elle, ont achevé de succomber sous les efforts des princes qui l'ont vaincue. Ces princes ont rejeté toutes les nouveautés que la révolution avait créées chez eux, excepté la centralisation : c'est la seule chose qu'ils aient consenti à tenir d'elle (1). »

Oui, ces grands politiques se sont dit : Voyez la France, quelle admirable unité! Et, sans considérer que la France etait déjà la nation la plus homogène, la plus une, avant les triturations révolutionnaires, sans se douter même des souffrances et des périls que l'excès d'unité a créés dans ce beau pays, les voilà tous à promener le char de fer de la centralisation sur cent peuples divers, que l'on broie impitoyable

(1) De la Démocratie en Amérique, etc., t. IV, 4e part., ch. v.

ment pour les mêler! Signalons, en peu de mots, quelquesunes des conséquences de ce système encore plus inepte que barbare.

I. On a profondément froissé, sans le détruire, le sentiment le plus vivace et le plus énergique, après ou mieux avec le sentiment religieux, dont il se distingue à peine : l'esprit de nationalité. Une nation qui se souvient d'avoir eu en tout ou en partie le gouvernement d'elle-même, peut jusqu'à un certain point souffrir, accepter même le gouvernement d'un prince étranger; mais elle entend qu'il lui demande des ministres pour son conseil, des fonctionnaires pour l'exercice de sa souveraineté. Que s'il la fait gouverner et administrer à peu près exclusivement par ceux qu'elle regarde, non sans raison, comme des étrangers, et parfois comme des ennemis, c'est une injure qu'elle ne pardonne pas .Or, c'est ce qui arrive généralement dans les agglomérations d'États enfantées par le droit du plus fort. Les minorités sont sacrifiées de toute manière.

Le Français des Pyrénées et des Hautes-Alpes, des bords de la Méditerranée, du Rhin, de l'Océan, sera fatigué par le gouvernementalisme parisien; mais du moins il est gouverné par des Français, et il n'a pas besoin de se dénationaliser pour prendre part au gouvernementalisme. Tout en maudissant le système, il peut dire, comme François Ier : Tout est perdu, fors l'honneur! Mais le plus petit peuple, qui a un nom dans l'histoire, ne peut jamais souscrire, à quel prix que ce soit, à sa disparition complète de la scène politique. Pour lui, le mépris est le plus insupportable des impôts.

II. Les gouvernements, ayant détruit ou absorbé toutes les institutions, toutes les fondations, toutes les corporations par lesquelles nos ancêtres avaient libéralement pourvu aux besoins moraux et matériels des générations à venir, ils ont dù naturellement se faire les pourvoyeurs et les régisseurs universels, et, par conséquent, créer cette aristocratie bureaucratique, qui forme une nation dans chaque nation, comme

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