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moins le sot orgueil des grands, conviant les uns et les autres à professer de cœur et de bouche ce dogme fondamental : Nous sommes tous des hommes de néant, destinés à jouir bientôt en commun de la royauté de notre Père céleste, mais dans la mesure, pour chacun, de ses mérites personnels.

Si ce travail avait eu lieu, je n'ai pas besoin de dire ce que la France y aurait gagné en puissance et en liberté au dedans, en influence au dehors. Je suis même convaincu que la fille aînée de l'Eglise eût évité à sa mère, à l'Europe et au monde, l'incendie épouvantable du xvIe siècle; incendie qui trouva son prétexte et ses aliments, comme on sait, dans des abus que le défaut d'entente des deux puissances avait laissés naître et empêchait de réformer.

Au lieu de cela, que vit-on? La royauté, recueillant seule l'héritage de la féodalité, mit la main sur toutes les libertés et dit : Il n'y en aura que pour moi! Les gens de loi, je l'ai dit ailleurs (et je n'ai rien dit que ne dise l'histoire), aidèrent puissamment le souverain dans cette œuvre d'absorption, par un esprit étroit d'hostilité contre le sacerdoce. Ils restaurèrent, ou plutôt conservèrent le principe féodal et païen, que les droits quelconques des sujets découlent du prince (1). De l'universalité du droit royal ils déduisirent l'universalité de l'administration du roi ; ils étendirent outre mesure celleci alors qu'elle devait se restreindre; ils la firent descendre à mesure que les peuples montaient, et furent les véritables inventeurs du suffocant système de centralisation (2).

(1) Montesquieu lui-même a dit : « En effet, dans la monarchie, le prince est la source de tout pouvoir politique et civil. » Liv. II, ch. IV.

(2) La centralisation administrative française est, en effet, plus vieille qu'on ne pense, M. de Tocqueville l'a très-bien observé. « Il n'est pas juste de dire que la centralisation soit née de la révolution française; la révolution l'a perfectionnée, mais ne l'a point créée. Le goût de la centralisation et la manie réglementaire remontent, en France, à l'époque où les légistes sont entrés dans le gouvernement, ce qui nous reporte au temps de Philippe le Bel. Depuis lors ces deux choses n'ont jamais cessé de croître. » Il cite ensuite un curieux passage du mémoire dans lequel M. de Malesherbes exposait à Louis XVI, en 1775, par quels puérils excès et par quels moyens on a travaillé à étouffer en

Le mouvement évolutionnaire des peuples étant partout entravé par la fausse direction de celui qui marchait en tête, le mouvement révolutionnaire du XVIe siècle éclata, et c'est de là surtout que datent les grandes débauches du pouvoir politique.

Le protestantisme ne consacra pas seulement l'autocratie des souverains qui l'embrassèrent; par les guerres atroces qu'il alluma, il obligea les nations qui lui résistèrent à se réfugier sous la dictature monarchique. Les guerres religieuses apaisées, la dictature resta comme un droit acquis, et engendra naturellement le droit révolutionnaire. En effet, dès que la souveraineté peut tout, et ne reconnaît d'autres limites que celles qu'elle veut bien se prescrire, il est inévitable, chez un peuple non esclave, que la plupart veuillent exercer la souveraineté et que nul n'ait souci de lui obéir.

Qu'on ne demande donc plus comment s'est perdu le culte du pouvoir et des lois. Disons un mot de la manière dont il peut se relever.

France tout esprit municipal, à éteindre, si on le pouvait, jusqu'aux sentiments du citoyen; on a, pour ainsi dire, interdit la nation entière, et on lui a donné des tuteurs. M. de Tocqueville cite aussi ce jugement de Jefferson, écrivant de Paris en 1789 : « Il n'est pas de pays où la manie de tout gouverner ait pris de plus profondes racines qu'en France, et où elle cause plus de mal. De la Démocratie, t. I, dans les notes, p. 299.

CHAPITRE VI.

Comment on peut rétablir le respect du pouvoir et des lois.

Il faut avoir pitié de la faiblesse humaine et ne pas oublier le proverbe Qui demande trop n'obtient que des refus.

Tant que le pouvoir politique voudra être, comme Dieu, tout en tous lieux ; tant qu'il dira aux masses par ses innombrables ministres emplumés: Vous n'êtes que des idiots, des gens de néant, payez-nous pour que nous fassions vos affaires! tant qu'il fera des lois sur tout et de toute manière, il est impossible qu'il ne soit pas honni, et la parole religieuse n'y pourra rien.

Monter des manufactures législatives où le feu de la discussion soit continu; y recevoir tous les fabricants désignés par un vote dicté par l'ignorance ou par les passions politiques; y dire à la face des peuples tout le mal imaginable, et des lois mises en délibération, et du pouvoir qui les propose ou qui du moins devra les faire exécuter; y voter plus de lois que les gens du métier n'en peuvent lire et retenir; puis s'étonner du mépris général des lois et du pouvoir, qu'elle bonhomie, pour ne rien dire de plus!

J'ai tant de fois traité ce sujet, que je ne veux pas y revenir, bien qu'il soit inépuisable. Je laisse ses vingt côtés pour en mettre un seul en lumière.

La discussion publique et bruyante des lois, dans de nombreuses assemblées, et partant leur votation à l'aveugle, offraient moins de dangers chez les peuples enfants de l'ancien monde. Elles pouvaient aller encore, comme premier essai du régime représentatif, à nos pères du moyen âge. Les Anglais, passionnés pour leurs vieilles coutumes, et d'ailleurs doués d'une constitution sociale exceptionnelle, ont pu en user sans inconvénient. Mais il me paraît que, avec une ci

vilisation avancée, une telle manière de faire les lois ne peut être que désastreuse.

Voici mon principe. Plus les peuples grandissent en puissance intellectuelle et en moyens d'action sur la nature physique, plus il importe que leur législation soit éclairée, circonspecte, et qu'elle devienne par là même l'œuvre d'un très-petit nombre d'hommes compétents.

Pour ne pas faire de la métaphysique, je donne un exemple, et je ne le choisirai pas dans la catégorie des lois qu'on peut appeler fondamentales, telles que la loi sur les successions. Je prends une loi de police forestière, la loi que la première Constituante française vota le 19 septembre 1791.

De vieilles ordonnances royales avaient interdit aux propriétaires des bois le défrichement sans autorisation. Il est possible même que, dans quelques provinces, la puissance ecclésiastique fût venue en aide au pouvoir politique en mettant, comme dans mon pays, certaines forêts sous l'égide de l'excommunication. (Quel effroyable abus!)

La Constituante de 1791, qui comptait dans son sein de grandes lumières, mais qui malheureusement en comptait trop, jugea cette restriction au droit de propriété contraire aux intérêts de l'agriculture et attentatoire à ce qu'on appelait la liberté du sol. On affranchit donc les propriétés forestières, et il est probable qu'il n'eût pu se faire écouter, l'honorable député qui eût voulu combattre un vote désastreux par les considérations suivantes :

« Vous dites que le sol doit être libre? Oui, mais si la vieille hypothèque légale qui affecte ce sol n'était que l'expression d'une hypothèque naturelle et nécessaire au bien général, serait-il sage de l'abolir? Peut-être le législateur universel a-t-il dit autrefois au vent : Porte-moi ces graines sur telle montagne; et cela, non pour s'amuser; pas seulement pour donner une magnifique couronne à cette tête chenue qui domine cinquante vallées; pas seulement pour

peupler cette triste solitude de millions de bêtes fauves et d'habitants de l'air; pas seulement pour les grandes élaborations chimiques dont nos savants commencent à entrevoir l'existence et la portée (1); mais pour cent raisons d'utilité générale, qui ne sont bien connues que de Celui qui connaît tout, et sur lesquelles je me borne à vous soumettre deux ou trois questions qui appellent une étude sérieuse.

«Ne serait-il point possible, Messieurs, que les fonctions providentielles de tels ou tels bois fussent de servir : 1o de paravent à tel pays placé peut-être à une grande distance; 2o de paratonnerre à cinquante lieues à la ronde; 5o d'abreuvoir aux cinquante vallées adjacentes; 4o de mur d'appui à des terres qu'il est bon de laisser là; 5o de rempart contre les inondations pour des milliers de villes, de villages, pour les riches cultures qui, de ces coteaux, s'étendent jusqu'à l'embouchure de tel fleuve, de telle rivière, etc., etc.?

« Si ces aperçus ne sont pas un rêve, votre loi d'affranchissement absolu pourrait être une grande, une irréparable calamité. D'ici à cinquante ans, vous rendriez inhabitable peut-être une riche contrée, Ces terres montueuses, couvertes de céréales à force de travail, et nourrissant vingt mille familles, resteraient désolées, ou, emportées par les torrents, elles iraient affamer vingt autres mille familles vivant sur le riche sol envahi par les eaux. »

Cet homme n'aurait dit que ce que nous voyons, et il n'est pas nécessaire que j'indique, sur la carte de France et des pays voisins, les résultats déjà acquis de la loi de 1791.

Que conclure de là? Deux choses: 1° S'il est des hommes capables de faire de bonnes lois, ce dont Rousseau aimait à douter (2), on ne saurait user de trop de précautions dans le

(1) Voy., entre autres, Leçon de clôture du cours de chimie organique, lue à la Faculté de médecine, en 1841, par M. Dumas.

(2) Pour découvrir les meilleures règles de société qui conviennent aux nations, il faudrait une intelligence supérieure qui vit toutes les passions des hommes, et qui n'en éprouvât aucune; qui n'eût aucun rapport avec notre na

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