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source impure du désordre de nos facultés ? N'oubliez pas cette parole de Rousseau : L'état de réflexion est un état contre nature, et l'homme qui médite est un animal dépravé (1). La théorie du Contrat social ne fut, dans la pensée du grand philosophe, que l'itinéraire tracé à notre espèce pour reconquérir l'âge d'or de l'état de nature, dont il dépeint le bonheur et déplore la perte, avec tant d'éloquence, dans le Discours sur l'origine, etc. >>

Les niveleurs consommés n'ont pas seulement pour eux l'éloquence de Rousseau, ils ont contre les niveleurs éclectiques et radicaux trois puissances irrésistibles le principe reçu, les faits accomplis, la foi innée des hommes aux mystères.

1o Le principe reçu. S'il est vrai, comme le supposent tous les niveleurs, que l'égalité, la liberté et l'indépendance fussent notre lot à tous avant le pacte social, il y a folie à les chercher ailleurs que dans le bienheureux état de nature, que nos aïeux eurent le malheur d'abandonner. L'établissement de la société fut l'acte de déchéance, le véritable péché originel; l'homme ne peut donc se réhabiliter que par l'abolition du pacte, dût-elle s'accomplir par un baptême de feu et de sang.

2o Les faits accomplis. Toutes les révolutions faites jusqu'ici au nom de l'égalité et de la liberté n'ont eu pour but et pour résultat que de nous donner de nouveaux accapareurs du capital et du pouvoir. Pour éviter ces impies escamotages, écrivons sur notre drapeau : Guerre éternelle au capital et au pouvoir! L'égalité, c'est l'abolition absolue du tien et du mien; la liberté, c'est l'anarchie sans limites, l'absence totale d'un pouvoir, qui, pour être divin ou humain, monarchique, aristocratique ou démocratique, n'en est pas moins l'exécrable oppresseur de la souveraineté absolue que chacun de nous tient de la nature.

(1) Discours sur l'origine de l'inégalité parmi les hommes, Ire part.

Mais c'est là une inspiration des plus folles, diront tous les demi-niveleurs. Pour jouir de la liberté, devrons-nous donc adopter le régime des ours, substituer le gland, les racines au pain, et nous placer sous l'impitoyable tyrannie de la famine? Les béatitudes de l'âge d'or et de l'état de nature sont une fiction de poëtes, et ce fut, sans doute, pour échapper aux misères de l'isolement, aux horreurs du besoin, que les premiers fondateurs de la société sacrifièrent une partie de leur indépendance, pour mieux jouir de l'autre. Au lieu de prendre à la lettre les amères censures et les boutades excentriques qu'inspiraient à la grande âme de Rousseau les abus de l'ancienne société, contemplez nos améliorations sociales depuis soixante ans, et vous sentirez ce qu'il y a d'absurde et d'inhumain dans vos projets de destruction.

Ainsi parlent les demi-niveleurs, mais la force de leur raisonnement va échouer contre une force bien autrement supérieure.

En étudiant

3° La foi innée des hommes au mystère. l'homme réel, nous verrons qu'il est par nature ennemi des réalités de la nature, et que, pour ne pas lui inspirer un insurmontable dégoùt, il faut lui montrer le mystérieux et le surnaturel au début et au terme de son existence. Qu'on rie tant qu'on voudra de cette faiblesse de l'humanité, elle est incorrigible, et les rieurs eux-mêmes n'y échappent pas.

Abolissez la foi chrétienne aux béatitudes du paradis terrestre et du paradis céleste, vous introduisez fatalement la foi aux béatitudes de l'âge d'or des poëtes et aux béatitudes de l'avenir merveilleux promis par toutes les révolutions.

Niez le dogme catholique de la chute originelle, dogme si abrutissant au dire de nos libres penseurs (1), vous aurez

(1) « Je prouverai d'abord que le catéchisme abêtit l'enfance; je prouverai ensuite qu'il la corrompt. Il l'abêtit en commandant à la raison d'abdiquer, en imposant à l'esprit d'admettre, sans examen ni preuves, sous le titre de Mystères, de prétendues vérités qui choquent le plus grossier bon sens, qui sont nonseulement, comme on le dit, au-dessus de la raison, mais en opposition mani

indubitablement le dogme philosophique du crime social qui livra, dès l'origine, à quelques oppresseurs, la richesse et la souveraineté de tous.

Chassez le prêtre qui baptise au nom du Père, et du Fils. et du Saint-Esprit, exigeant du récipiendaire les engagements que vous savez; aussitôt arrive l'hiérophante de la franc-maçonnerie, de l'illuminisme, du carbonarisme, du mazzinisme, etc., qui, après de longues épreuves et d'affreux serments, dira à l'initié : La souillure antique de l'esclavage universel ne peut être effacée que par le poison, le fer et le feu; enfant de la lumière et de la liberté, arme-toi de ce poignard, obéis aveuglément à tes chefs, et erois n'avoir rien fait pour l'humanité, tant que l'homme n'aura pas reconquis sa sublime dignité, en ne reconnaissant d'autre dieu que la nature, d'autre pontife et roi que lui-même.

Qui ne le voit? le rêve poétique de l'état de nature, que caressa l'antiquité païenne, que le christianisme fit rentrer dans les mystérieux symboles de quelques sectes obscures, telles que le manichéisme, et plus tard la franc-maçonnerie, rêve rajeuni par le merveilleux talent de Rousseau, transformé en dogme irréfragable, et armé de tous les moyens d'application par le génie le plus capable d'organiser la désorganisation universelle (1); ce rêve, dis-je, est aujourd'hui la religion plus ou moins nettement formulée, mais enfin unique de quiconque n'est plus chrétien.

Que lisons-nous dans les programmes, manifestes, publications quelconques du socialisme, qu'ils soient signés : Owen, Saint-Simon, Fourier, Cabet, Blanqui, Barbès, Louis Blanc, Proudhon, Guillaume Marr, Struve, Becker,

feste avec la raison, dont ce livre proclame, d'ailleurs, à chaque pas l'impuissance. Il la corrompt et pervertit en elle le sens moral, en faussant les notions de la justice, du devoir, en défigurant Dieu misérablement. » M. Jacques, dans le recueil intitulé : La liberté de penser, nos de décembre 1850 et de janvier 1851.

(1) Weishaupt, fondateur de l'illuminisme allemand. Voy. ses Écrits originaux.

Heinzen, Mazzini, Ledru-Rollin, Darasz, etc.? Nous y lisons: La société actuelle est bonne à brûler.

Dans les forces révolutionnaires qui s'organisent au grand soleil, avec un ensemble incroyable, et sur une surface qui, comprenant toute l'Europe du bord de la Méditerranée jusqu'à la Norwége (1), s'étend des rives de la Néva jusqu'aux États-Unis, que voyons-nous? Nous voyons les apprêts d'un incendie tel que l'humanité n'en vit jamais.

Mais ce sont là des plans irréalisables, direz-vous. Distinguons deux choses: les mille plans d'avenir imaginés par les théoristes révolutionnaires, et le plan de destruction du passé et du présent, sur lequel tous s'accordent. Que les premiers ne se réalisent jamais, tant ils sont absurdes et contradictoires, c'est évident, même pour les neuf dixièmes de ceux qui les prêchent. Mais que nos institutions politiques, les unes sorties hier du volcan révolutionnaire, les autres prodigieusement ébranlées et ne se soutenant plus qu'à la pointe du sabre, soient à l'épreuve de la tourmente qui se prépare, pouvez-vous bien l'affirmer?

Les révolutionnaires de toute espèce ont dit : Les principes ne peuvent ni reculer ni s'arrêter périssent les hommes plutôt que les principes! Ils ont dit vrai.

Le grand principe de la construction de la société par des hommes supposés primitivement libres, a marché, et il va nous donner ce qu'il porte dans le ventre: la destruction de la société par des hommes qui se croient esclaves, et qui sont en effet les jouets de leur ignorance et de leurs mauvais instincts. Résumons en deux mots l'histoire du socialisme.

Les niveleurs éclectiques et modérés, soumettant la religion à la politique, ont cru pouvoir succéder à Dieu dans le gouvernement des hommes, et ils ont dit: La société hu

(1) Les journaux allemands et français, de mars 1851, ont entretenu le public des progrès du communisme norwégien et des essais de jacquerie à Levanger et dans les environs.

maine ne peut être régie que par des lois humaines ; la confection des lois appartient aux plus éclairés.

Les niveleurs radicaux ont dit : Il n'y a de lois humaines que celles qui sont l'œuvre de tous les humains; il nous faut donc un ordre social et politique qui place tous les citoyens au même niveau de capacité intellectuelle et de bien-être matériel.

Après tant d'efforts inutiles pour obtenir un ordre social moins ennemi de l'égalité et de la liberté primitives, les niveleurs consommés se lèvent et sont accueillis avec faveur, quand ils disent aux multitudes ruinées au jeu des révolutions parlementaires et radicales : Déchirons le pacte social, et rentrons dans la plénitude de nos droits!

A-t-on compris maintenant ce que je disais, au commencement du chapitre II, du danger qu'il y a dans le choix d'un faux principe et de la puissance des déductions les plus absurdes en matière sociale?

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