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Depuis que l'illustre Pitt a doté l'Angleterre (et, par l'Anterre, l'univers industriel) de l'esclavage et du massacre des enfants (1), tous les législateurs de l'Europe ont fait des lois pour empêcher le travail excessif des enfants dans les manufactures et pourvoir à leur instruction; et partout ces lois •ont été inobservées, parce qu'elles étaient inobservables, incompatibles avec les nécessités de l'industrie. Sauf quelques rares exceptions, il est bien constaté que l'unique école de l'enfance manufacturière est celle du blasphème, de l'obscénité et de l'ivrognerie (2). Là où l'humanité des maîtres a établi des écoles, au moins le dimanche, et exige que les enfants y assistent, quels progrès peut-on attendre de ces pauvres petites créatures épuisées par le travail, par le défaut de nourriture et de sommeil? Un exemple entre mille.

« Un jeune enfant, occupé dans une fonderie, à qui l'on demandait s'il savait lire, répondit qu'il pouvait lire de petits mots, pourvu que ces mots ne fussent pas trop lourds. Le pauvre malheureux, raisonnant par analogie, voyait dans chaque lettre un poids à soulever (3). »

Quant à la démoralisation qui doit résulter d'un tel système, elle dépasse toute expression. Faut-il s'en étonner? Les bonnes mœurs sont le fruit de l'éducation de famille. Or, que devient la famille dans une société aussi désordonnée? C'est ce que nous allons voir.

(1) « Vers la fin du dernier siècle, les chefs de l'industrie se plaignant de l'augmentation des taxes, M. Pitt leur signalait le travail des enfants comme la grande ressource qui devait leur permettre d'en supporter le fardeau. Les manufacturiers prirent le ministre au mot, et alors fut inaugurée cette effroyable conscription, qui, enrôlant les enfants dès l'âge le plus tendre, s'étendit bientôt aux femmes elles-mêmes, et traîna les familles entières sur le champ de bataille de l'industrie... Les Anglais éprouvent aujourd'hui, sur leur propre sol, qu'il est plus difficile d'abolir l'esclavage que de l'instituer. » M. Faucher, ibid., p. 77-81. Malheureusement, l'esclavage a franchi le détroit et envahi le royaume des Francs, comme aussi le midi et le nord de l'Europe. Voy. M. Villermé, Tableau, etc., t. II, de la p. 83 à la p. 126.

(2) Voy. MM. Faucher et Villermé, ibid. (3) M. Faucher, ibid., p. 175.

CHAPITRE IV.

Destruction de la famille.

Pour mesurer exactement le degré de nos déviations sociales, il faut avoir l'œil sur notre axiome fondamental : La société n'a d'autre but que l'éducation de l'homme, et le moyen de cette éducation, c'est la famille. Si la voie dans laquelle nous sommes engagés aboutit à la dissolution de la famille, il n'y a plus de milieu: ou rétrograder, ou périr. Or, nos progrès dans cette voie sont tels, qu'il est temps de s'orienter.

Les extrêmes se touchent. En même temps que l'abus des richesses et les habitudes énervantes du luxe altèrent l'esprit de famille dans la classe aisée, l'excès de la misère et l'amour de la débauche l'anéantissent dans une grande partie des

masses.

La femme est l'âme de la famille, surtout dans les petits ménages, où l'influence de la mère est irremplaçable.

Dieu s'est plu à enrichir le cœur de la femme des qualités les plus précieuses; mais ces qualités se transforment en vices, quand vous faites de la femme un être sans religion, et par conséquent sans moralité ; quand vous l'arrachez au sanctuaire domestique, par le refus de tout ce qui entretient la vertu dans son âme, le lait dans son sein, et les forces morales et physiques dont elle a besoin pour suffire à la bonne éducation de ses enfants.

Tel est le désordre immense qui se révèle partout. En s'accumulant dans nos villes, la population y étouffe la famille, et l'affaiblit par contre-coup dans le fond de nos campagnes. Ne craignons pas de soulever quelque peu le voile qui couvre la plus mortelle de nos plaies.

Que la nation industrielle par excellence ait flétri la famille dans sa fleur, en entassant dans les ateliers les trois quarts au moins de la population générale; que, par l'application au sol du travail des machines et de tous les procédés de la grande culture, elle ait arraché les habitants de la campagne à leurs paisibles habitudes; qu'elle les ait convertis en populations nomades, et offrant, même dans le sexe, une dégradation de mœurs qui est à peine surpassée par la population urbaine, c'est un fait que les enquêtes officielles de 1840 à 1845 ont environné d'une lumière bien propre à guérir les anglomanes non désespérés ; c'est un fait dont les Etudes sur l'Angleterre de M. Faucher ont administré des preuves si éclatantes, si irrécusables et si connues de la plupart de ceux qui me liront, que je crois inutile d'insister sur ce point : Le système économique anglais a frappé la société dans son premier germe la vertu de la femme.

Montrons que ce mal incalculable ne tient pas au génie national, mais qu'il est inhérent au système, et qu'il infecte le continent dans la juste proportion de l'invasion du système.

Nous avons, sur la population industrielle de la France et de quelques pays voisins, entres autres études consciencieuses, celles de M. Villermé.

Ma plume se refuse à retracer les tableaux hideux qu'ont fournis à son pinceau, d'ailleurs si modéré et si honnête, la démoralisation lilloise, rémoise, etc. (1). Je choisis Sedan, ville modèle, peuplée de douze mille ouvriers, la plupart habitant la campagne, et dignes de ce bel éloge : « Ces ouvriers forment une population excellente, laborieuse, soumise, tranquille, facile à conduire, peu ou point ivrogne. >> Voici maintenant ce qu'on dit des ouvrières : « Là, comme dans beaucoup d'autres villes de manufactures, elles cèdent bien moins à la séduction qu'aux détestables conseils des

(1) Tableau de l'état physique et moral, etc., t. I, de la p. 74 à la p. 227.

femmes avec lesquelles elles travaillent. Pressées, poursuivies sans cesse par leurs discours, leurs railleries, leur exemple, elles succombent; et telle est, m'assure-t-on, la force de ces attaques renouvelées chaque jour, qu'il n'est point rare que, pour les faire cesser, la victime s'empresse d'avouer sa chute. Dès lors, elle s'unit aux autres pour faire succomber, à son tour, toute nouvelle compagne dont la sagesse est un reproche pour elle (1). »

M. Villermé prouve ailleurs que cette influence corruptrice du travail en commun des ouvrières, influence constatée universellement par l'aveu même des victimes, étend ses ravages beaucoup plus loin qu'on ne pense communément, et que c'est dans ces foyers du libertinage provincial que se recrute la grande armée du vice qui infeste les capitales (2).

Flétrie ainsi dès sa première jeunesse, il n'en faudrait pas davantage à la femme pour la rendre inhabile à la bonne éducation de ses enfants. Mais le système ne s'arrête pas là : il détruit, ou du moins il annule dans ses effets la tendresse maternelle, qui survit ordinairement à la vertu. Il ne permet pas à la mère d'allaiter son nouveau-né, obligée qu'elle est de gagner son pain du jour par un travail des plus durs et à distance. Si elle ne peut payer des frais de nourrissage, elle devra laisser son nourrisson à la garde d'un autre enfant, ou le livrer à des mercenaires qui, par l'allaitement artificiel, fût-il même accompagné des soins les plus délicats, n'en perdraient pas moins, dans la première année, soixante-quatre nourrissons sur cent (5).

Si la mère nourrit elle-même, le besoin qu'elle éprouve d'aller à l'atelier conquérir la moitié de son pain lui fera adopter l'usage, malheureusement commun en Angleterre,

(1) Tableau de l'état physique et moral, etc., t. I, p. 258.

(2) Ibid., t. II, p. 50.54.

(*) L'expérience a été faite dans les hospices de Reims. M. Villermé, t. I, p. 245.

et déjà acclimaté ailleurs, d'empoisonner les enfants avec de l'opium ou d'autres boissons narcotiques (1).

Une fois sevré, que devient cet enfant, privé habituellement, durant quinze à seize heures, des soins de la mère? Faut-il être surpris que, sur mille enfants, la mort en emporte cinq cent soixante et dix avant la cinquième année, et que les survivants soient la plupart maladifs, rachitiques, étiolés et difformes?

Mais c'est surtout à l'époque où, aux soins de l'éducation physique, la mère doit joindre les soins encore plus délicats de l'éducation morale, que commence, pour les enfants des classes industrielles, ce que M. Faucher a si justement appelé leur enfer; enfer dans lequel les pères et les mères se hâtent de pousser ces malheureuses victimes, eux-mêmes poussés par la misère ou par une féroce cupidité. Jetons un coup d'œil sur ces jeunes damnés du travail, dont l'âme et la chair servent à la production de cette richesse industrielle tant célébrée par nos anglomanes.

Les procédés industriels ayant été appliqués au sol anglais, devenu une grande manufacture agricole, les petits enfants de la campagne sont attachés aux machines dès l'âge de cinq ou six ans. « Si le cours naturel des choses vient à développer cette tendance qui est encore en germe, dit M. Faucher, c'en est fait dans les campagnes du repos des familles, de la vigueur corporelle et des bonnes mœurs. On verra l'agriculture la plus avancée coïncider avec l'abaissement le plus complet de la population; et, la race des campagnes dégénérant, les villes n'auront plus où se recruter (2). »

Mais c'est dans les ateliers citadins que la torture et l'extermination des enfants sont en permanence, surtout pour les nombreux apprentis vendus par les administrateurs de la taxe des pauvres.

(1) M. Faucher, Études, t. I, p. 372; t. II, p. 172; M. Villermé, t. I, p. 106. (2) Ibid., t. II, p. 64.

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