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tre faiblesse ? On ne se rebute pas, et le monde finira avant que les hommes renoncent à la conquête de l'inconnu.

C'est là une folie, dites-vous. Reconnaissez du moins, à la lumière des faits, que cette folie est universelle, incurable, et que les résultats n'en sont pas trop humiliants.

Que les hommes ne puissent faire usage de leurs facultés de penser, de juger, de raisonner, de sentir, sans qu'aussitôt leurs pensées et leurs sentiments ne les emportent au-dessus et au delà de la sphère des sens, c'est un fait aussi vieux et aussi étendu que le monde.

Que ceux d'entre les hommes qui ne raisonnent pas encore, tels que les enfants, ou qui ne parviennent jamais à raisonner, tels que les idiots, restent très-inférieurs à l'animal dans l'art de pourvoir à leur existence, c'est un fait connu dans tous les temps, dans tous les lieux.

Que les individus dépourvus de l'usage de leurs facultés supérieures n'aient ni liberté ni indépendance, et que tout leur bonheur consiste à sentir moins que nous les avantages et les inconvénients de l'existence, c'est encore un fait visible.

Vous devez donc voir que l'homme surnaturel ne diffère pas au fond de l'homme raisonnable, et qu'on ne peut extirper l'un sans l'autre. S'il se trouve des théologiens qui, par leurs définitions de l'ordre naturel et de l'ordre surnaturel, creusent un abîme entre les deux ordres, c'est que, en théologie, comme en philosophie et en politique, il y a des hommes qui excellent dans l'art de séparer ce que Dieu a uni et de confondre ce que Dieu a séparé.

Enfin, vous fût-il donné, messieurs les naturalistes, d'amputer radicalement la faculté dépravée qui pense en nous, ou du moins d'en empêcher l'exercice, vous n'obtiendriez pas votre but. Au lieu de nous maintenir au niveau de l'animal, et même un peu au-dessus, vous nous précipiteriez au-dessous. Au lieu de nous mener à la liberté, à l'indépendance, au bonheur, vous nous en feriez perdre jusqu'au sentiment.

Il est vrai qu'à l'aide de cette amputation ou de cette ligature de nos facultés les plus hautes, vous nous guéririez de la crainte de Dieu. Mais nous allons voir que si le Père de tous les êtres est une gêne, un épouvantail, un mal pour votre homme des bois, il est le premier besoin de l'homme des champs et des cités.

CHAPITRE V.

A qui appartient de droit la première place dans la société et dans l'enseignement de la science sociale.

Par la divine prérogative de l'intelligence, notre première société est avec Dieu, a dit excellemment Cicéron (1).

En effet, dès que notre œil intellectuel s'ouvre à la lumière, Dieu paraît et devient inévitable. Principe et fin de la grande société des êtres, auteur et conservateur du tout et des parties, des genres, des espèces et des individus, si nous refusons de le voir dans le magnifique ensemble de ses œuvres, le voilà qui nous apparaît dans le vol d'un papillon, dans l'épanouissement d'une fleur. Le seul moyen de l'ignorer consisterait à ne s'enquérir de rien, pas même de notre existence.

Pour acquérir la preuve que le monde n'est pas nécessaire, éternel, et qu'il n'existe que par le fait d'une puissance créatrice, il faut un long travail de réflexion. Aussi voyons-nous que de grands philosophes de l'antiquité ont admis l'éternelle coexistence de Dieu et de la matière. La création universelle est un de ces faits que l'esprit humain accueille volontiers, quand on le lui apprend, et qu'il démontre très-bien une fois qu'on le lui a montré. Il n'en est pas de même du petit monde de notre personne; tout esprit non malade peut faire le raisonnement suivant :

Mon existence ne remonte pas très-haut. Ceux qui ont servi à me la communiquer n'en sont pas les auteurs. Quel est le père, quelle est la mère, qui pourraient sans folie se vanter d'avoir conçu, calculé et produit, dans leur sagesse, les ineffables merveilles qui font de leur progéniture un corps

(1) Est igitur, quoniam nihil est ratione melius, eaque et in homine et in Deo, prima homini cum Deo societas. De Legibus, lib. I.

vivant et une âme intelligente? Au-dessus des générateurs visibles qui ont concouru, en instruments aveugles, à me donner l'existence, il y a donc évidemment un générateur suprême assez intelligent, assez fort. pour coordonner entre elles les milliards de molécules qui composent mon organisme, et y loger cette âme humaine qui, depuis tant de siècles qu'elle philosophe dans mes semblables, est encore à se demander ce qu'elle est et comment elle se trouve embourbée dans un corps.

Voilà ce que tous les peuples ont compris et senti. Aussi en vénérant la paternité humaine, ont-ils constamment salué, adoré cette paternité divine qui se pose, comme cause première et irremplaçable, au berceau, non-seulement de notre espèce, mais de chacun de nous.

Notre création par un être infiniment sage n'est donc pas une idée mystérieuse, philosophiquement inacceptable, comme le prétendent les athées et les panthéistes; c'est, au contraire, la seule lumière qui éclaire notre entrée dans la vie; c'est l'unique solution raisonnable de ce profond mystère : Hier nous n'existions pas, en vertu de quoi existonsnous aujourd'hui? Rejetez le Créateur intelligent et libre, seule cause suffisante de l'ordre, de l'intelligence et de la liberté qui sont en vous, que vous reste-t-il? Il vous reste à opter entre les deux créateurs chimériques que vous proposent les panthéistes et les athées, les uns sous le mot de GrandTout, les autres sous le mot de Nature. Vous devrez croire que ces créateurs vous ont communiqué ce qu'ils n'ont pas, de l'aveu même de leurs croyants : une personnalité propre, douée d'intelligence et de liberté, ce qui donnera pour base à votre philosophie ce bel axiome : J'existe en vertu de ce qui n'existe pas.

Au reste, mon but n'est pas de réfuter ici le panthéisme et l'athéisme. Si je rappelle ce premier fait qui s'impose irrésistiblement à la pensée humaine : Dieu est l'auteur des existences, ce n'est que pour arriver à cet autre fait qui s'y rattache et qu'il s'agit maintenant de reconnaître : Dieu est le

foyer de toute science, le seul maître qui puisse nous déchiffrer l'énigme de la vie.

Membres de la société universelle des êtres, qui ne comprend le besoin que nous avons d'être initiés à la science universelle? Or, que trouvons-nous dans notre propre fonds, sinon l'universalité de l'ignorance? N'est-ce pas ce que nous trouvons encore dans les trésors de la science humaine, accumulés depuis des siècles autour de nous, quand nous avons le courage de les scruter à une certaine profondeur?

« Les sciences, dit Pascal, ont deux extrémités qui se touchent la première est la pure ignorance naturelle où se trouvent les hommes en naissant. L'autre extrémité est celle où arrivent les grandes âmes qui, ayant parcouru tout ce que les hommes peuvent savoir, trouvent qu'ils ne savent rien, et se rencontrent dans cette même ignorance d'où ils étaient partis. Mais c'est une ignorance savante qui se connaît. Ceux d'entre eux qui sont sortis de l'ignorance naturelle, et qui n'ont pu arriver à l'autre, ont quelque teinture de cette science suffisante et font les entendus. Ceux-là troublent le monde, et jugent plus mal de tout que tous les autres. >> (Pensées.)

Montaigne était aussi du même avis, lui qui répète si souvent que nous ne voyons le bout de rien et que les extrémités de nos perquisitions tombent toutes en éblouissement (1).

L'avantage du vrai savant sur l'enfant est donc que le premier peut dire comme Socrate et Platon : Je sais du moins que je ne sais pas, et qu'il y a des choses que les hommes ne sauront jamais, à moins que Dieu ne les leur enseigne.

Or, la science sociale est évidemment du nombre de ces choses. Elle exige un œil capable d'embrasser et de comparer l'universalité des existences, l'infini et le fini. Comment, en effet, apprécier avec certitude les rapports véritables de

(1) Essais, liv. II, ch. X11.

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