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La raison s'offre, mais elle est ployable à tous sens; et ainsi il n'y en a point,

5.

Ceux qui jugent d'un ouvrage par règle * sont, à l'égard des autres, comme ceux qui ont une montre à l'égard des autres. L'un dit: Il y a deux heures que nous sommes ici; l'autre dit: Il n'y a que trois quarts d'heure. Je regarde ma montre; je dis à l'un: Vous vous ennuyez; et à l'autre : Le temps ne vous dure guère; car il y a une heure et demie; et je me moque de ceux qui me disent que le temps me dure à moi, et que j'en juge par fantaisie : ils ne savent pas que je juge par ma montre".

6.

Il y en a qui parlent bien et qui n'écrivent pas bien. C'est que le lieu, l'assistance les échauffent, et tirent de leur esprit plus qu'ils n'y trouvent sans cette chaleur.

7.

Ce que Montaigne a de bon ne peut être acquis que diffici

1 « La raison s'offre. » Comme tous ces tours sont animés et dramatiques! Il est clair que la raison n'est pas ici ce qu'on nomme dans nos écoles la raison pure (cette raison pure n'est autre chose que le sentiment dont parle Pascal), mais simplement la faculté par laquelle on réfléchit eş on raisonne.

2 Mais elle est ployable. » Mont., Apol., p. 255 : « C'est un instru» ment de plomb et de cire, alongeable, ployable et accommodable à tous » biais et à toutes mesures. » — · Il n'y en a point. Il n'y a point de règle. «Par règle. Il y a dans le manuscrit : sans règle; mais cela est contre le sens de la phrase.

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4 « Je juge par ma montre. » Cette pensée forme comme une petite scène. Pascal avait donc une montre en critique; il aurait dû nous dire comment il la réglait. Voltaire dit : « C'est le goût qui tient lieu de montre, >> et celui qui ne juge que par règle en juge mal. » Mais la règle de Pascal n'est sans doute que le principe même du goût, la raison, la justesse; c'est la même que celle d'Horace : Scribendi recte, sapere est et principium ef fons.

lement. Ce qu'il a de mauvais (j'entends hors les mœurs1) eût pu être corrigé en un moment, si on l'eût averti qu'il faisait trop d'histoires, et qu'il parlait trop de soi 2.

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8.

Il est fâcheux 3 d'être dans l'exception de la règle. Il faut même être sévère, et contraire à l'exception. Mais néanmoins, comme il est certain qu'il y a des exceptions à la règle, il en faut jugér sévèrement, mais justement.

9.

Qu'on ne dise pas que je n'ai rien dit de nouveau; la disposition des matières est nouvelle. Quand on joue à la paume, c'est une même balle dont on joue l'un et l'autre; mais l'un la place mieux. J'aimerais autant qu'on me dit

4 « J'entends hors les mœurs.» Cf. xxiv, 24.

2 « Et qu'il parlait trop de soi. » En supposant que ce soit là un défaut, il est permis de croire que Montaigne ne s'en serait pas corrigé en un moment. Cf. vi, 33. Il n'aurait pas non plus renoncé volontiers à ses histoires, à voir la manière dont il en parle (1, 39, p. 133). Cf. le Discours sur la vie et les ouvrages de Montaigne, pages 89-90, dans l'édition de M. Le Clerc.

« Il est fâcheux. » En titre : Miracles. Cette pensée se rapporte à la suite des fragments sur les miracles qui forment l'article XX111 dans cette édition voir cet article. Pascal veut dire que, lorsque Port-Royal se vante d'avoir été l'objet d'un miracle (celui de la sainte Épine), il se place dans l'exception, car un miracle en ce temps est l'exception et non la règle. Donc on doit contrôler sévèrement ce miracle; mais, une fois bien contrôlé, il faut avoir la justice de le reconnaître. P. R. a rendu ce fragment inintelligible en le déplaçant.

« Qu'on ne dise pas. » Il semble que Pascal se défend ici par avance contre une critique chagrine et paradoxale, qui est allée jusqu'à accuser les Pensées de n'être qu'un plagiat perpétuel et une pure compilation. P. R. a supprimé ce fragment, qui laissait voir dans le chef des saints du jansénisme l'amour-propre d'auteur. Mais lui-même avoue ailleurs de bonne grâce qu'il veut avoir la gloire d'avoir bien écrit (11, 3).

La place mieux.» Aucun écrivain ancien ou moderne, aucun au monde, n'a su placer la balle aussi bien que Pascal, a l'homme de la terre, > a dit Vauvenargues, qui savait mettre la vérité dans un plus beau jour, et ▸ raisonner avec plus de force.» (Réflexions critiques sur quelques poètes, 9.)

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que je me suis servi des mots anciens. Et comme si les mêmes pensées ne formaient pas un autre corps de discours par une disposition différente 2, aussi bien que les mêmes mots forment d'autres pensées par leur différente disposition.

10.

On se persuade mieux, pour l'ordinaire, par les raisons qu'on a soi-même trouvées, que par celles qui sont venues dans l'esprit des autres.

11.

L'esprit croit naturellement, et la volonté aime naturellement; de sorte que, faute de vrais objets, il faut qu'ils s'attachent aux faux.

12.

Ces grands efforts d'esprit où l'âme touche quelquefois, sont choses où elle ne se tient pas. Elle y saute seulement, non comme s le trône, pour toujours, mais pour un instant seulement

1 << Et comme si. » Cet et n'annonce pas un nouvel argument, mais une nouvelle manière de le présenter.

<< Par une disposition différente.» Ajoutons qu'il s'en faut bien que ce soit là toute l'originalité de Pascal. Il est plein d'invention de détail, d'analyses et d'observations neuves, comme celle, par exemple, qui se trouve dans cette phrase, et celle qu'on va lire, et tant d'autres.

3 « L'esprit croit naturellement. » C'est-à-dire la nature de l'esprit est de croire, et celle de la volonté est d'aimer.

4 « Ces grands efforts d'esprit, » etc. Pascal avait dans l'esprit le chapitre 29 du second livre des Essais (de la Vertu): « le treuve par expe>>rience qu'il y a bien à dire entre les boutees et saillies de l'ame, ou une >> resolue et constante habitude, » etc. Cf. vi, 27.

<< Comme sur le trône. » Image qui donnerait l'idée d'une âme véritablement maitresse et souveraine.

13.

L'homme n'est ni ange1 ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l'ange fait la bête.

14.

En sachant la passion dominante de chacun, on est sûr de lui plaire; et néanmoins chacun a ses fantaisies, contraires à son propre bien, dans l'idée même qu'il a du bien; et c'est une bizarrerie qui met hors de gamme 2.

15.

Les bêtes ne s'admirent point. Un cheval n'admire point son compagnon. Ce n'est pas qu'il n'y ait entre eux de l'émulation à la course, mais c'est sans conséquence; car, étant à l'étable, le plus pesant et plus mal taillé n'en cède pas son avoine à l'autre, comme les hommes veulent qu'on leur fasse 3. Leur vertu se satisfait d'elle-même.

16.

Comme on se gâte l'esprit, on se gâte aussi le sentiment. On se forme l'esprit et le sentiment par les conversations “.

' « L'homme n'est ni ange. » Manque dans P. R. P. R. a craint de scandaliser en défendant de faire l'ange; car n'est-ce pas ce que font les saints? Mont., III, 13, p. 228: « Ils veulent se mettre hors d'eulx et >eschapper à l'homme, c'est folie: au lieu de se transformer en anges, » ils se transforment en bestes; au lieu de se haulser, ils s'abattent. » Et III, 2, p. 180: « Ma conscience se contente de soy, non comme de la con> science d'un ange ou d'un cheval, mais comme de la conscience d'un >> homme. >>

2

<< Hors de gamme. » Cette expression ne s'emploie plus ni au propre ni au figuré.

3 « Veulent qu'on leur fasse.» Les moralistes, en faisant la satire de l'homme, ont souvent employé ce tour, qui consiste à lui opposer les bêtes omme plus sages. Voir la satire de l'Homme dans Boileau, et l'article Égalité du Dictionnaire philosophique, première section, où Voltaire tourne en vers la même idée à peu près qui est dans ce fragment de Pascal. 4 << Par les conversations. » Montaigne, III, 8 (De l'art de conferer), p. 412 « Mais comme nostre esprit se fortifie par la communication des

On se gâte l'esprit et le sentiment par les conversations. Ainsi les bonnes ou les mauvaises le forment ou le gâtent. Il importe donc de tout de bien savoir choisir, pour se le former et ne point le gâter; et on ne peut faire ce choix, si on ne l'a déjà formé et point gâté. Ainsi cela fait un cercle, d'où sont bienheureux ceux qui sortent

17.

Lorsqu'on ne sait pas la vérité d'une chose, il est bon qu'il y ait une erreur commune qui fixe l'esprit des hommes, comme, par exemple, la lune, à qui on attribue le changement des saisons, le progrès des maladies, etc. Car la maladie principale de l'homme est la curiosité inquiète des choses qu'il ne peut savoir; et il ne lui est pas si mauvais d'être dans l'erreur', que dans cette curiosité inutile.

La manière d'écrire d'Épictète, de Montaigne et de Salo mon de Tultie, est le plus d'usage, qui s'insinue le mieux,

» esprits vigoreux et reglez, if ne se peult dire combien il perd et s'abas» tardit par le continuel commerce et frequentation que nous avons >> avecques les esprits bas et maladifs: il n'est contagion qui s'espande » comme celle-là. »

1 « Il importe donc de tout. » On dit encore de tout point, on ne dit plus de tout.

2 « Le changement des saisons. » Saisons est pris ici dans le sens du latin tempestates; Pascal veut dire les changements de temps, comme a mis P. R.

3 « D'être dans l'erreur. » N'est-ce pas là une faiblesse que le philo-. sophe doit combattre, au lieu de l'autoriser?

4 « Et de Salomon de Tultie. » « Nos recherches, dit M. Faugère, et > celles de plusieurs érudits n'ayant pu nous procurer aucune notion sur » Salomon de Tullie, nous supposons que madame Périer, de la main de » laquelle ce passage se trouve écrit dans le manuscrit, aura altéré le nom » de l'écrivain cité par Pascal.... » Ce nom est tracé très-distinctement, et à deux fois; mais en supposant que madame Périer se soit trompée, quel autre nom faudra-t-il mettre à la place? On n'en trouve aucun dans l'histoire littéraire qui convienne ici. Comment Pascal, qui semble avoir si peu lu, lisait-il un écrivain que personne ne connaît, et qu'il nomme à côté d'Epictète et de Montaigne ? On serait tenté de croire que Salomon de

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