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les pyrrhoniens1, et la raison confond les dogmatiques. Que deviendrez-vous done 2, ô homme! qui cherchez quelle est votre véritable condition par votre raison naturellé? Vous ne pouvez fuir une de ces sectes', ni subsister dans aucune. Connaissez donc, superbe, quel paradoxe vous êtes à vous-même. Humiliez-vous, raison impuissante; taisezvous, nature imbécile': apprenez que l'homme passe înfiniment l'homme, et entendez de votre maître votre condition véritable que vous ignorez. Écoutez Dieu.

ont été reportées plus loin. Du reste, ce sont les mêmes idées et la même marche, et on peut saisir là le travail que Pascal faisait subir à sa pensée en écrivant. On lit dans une lettre de Brienne qu'il avait refait la dix-huitième Provinciale jusqu'à treize fois. Sur ces mots, de notre gibier, voir Montaigne De l'art de conferer, III, 8, p. 423 : L'agitation et la chasse est proprement de notre gibier, nous ne sommes pas excusables » de la conduire mal et impertinemment. De faillir à la prinse, c'est aultre > chose; car nous sommes nayz à quester la verité, il appartient de la posseder à une plus grande puissance.

↑ «La nature confond les pyrrhoniens. » Il avait mis d'abord : « On ne » peut être pyrrhonien sans étouffer la nature, on ne peut être dogmatiste > sans renoncer à la raison. » Cela était moins vif, et même moins juste; car les dogmatiques ne renoncent pas précisément à la raison, mais ils l'ont contre eux, suivant Pascal. Il écrit ici les dogmatiques; plus haut, les dogmatistes.

2 «Que deviendrez-vous donc. » Que cette apostrophe est vive! comme il triomphe de cet embarras !

3 « Vous ne pouvez fuir une de ces sectes. C'est-à-dire vous ne pou vez éviter de tomber dans l'une ou l'autre de ces sectes; car, si vous n'êtes pas dogmatique, vous êtes pyrrhonien, et au rebours. Et vous ne pouvez pourtant non plus vous tenir ni à l'une ni à l'autre.

< Connaissez donc, superbe. C'est un maître qui gourmande. Ce qu'il avait mis d'abord, Apprenons donc, est froid en comparaison.

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« Quel paradoxe, » Paradoxe, de rapà dóžav, contre la vraisemblance. << Humiliez-vous. L'épithète de superbe appelait cela.

Taisez-vous, nature imbécile. Cette âpre éloquencé, ces emportements, c'est Pascal tout entier, aussi impitoyable contre la nature humaine qu'il l'a été contre les ennemis du jansénisme. C'est bien l'homme qui disait à Sacy, en lui parlant de Montaigne : « Je vous avoue, monsieur, » que je ne puis voir sans joie dans cet auteur la superbe raison si invin» ciblement froissée par ses propres armes;.... et j'aurais aimé de tout » mon cœur le ministre d'une ci grande vengeance, etc. Voir l'Entretien entre Pascal et Sacy.

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« Entendez de votre maître. Il parle de ce maître avec l'orgueil d'un favori.

Car enfin, si l'homme n'avait jamais été corrompu, il jouirait dans son innocence et de la vérité et de la félicité avec assurance. Et si l'homme n'avait jamais été que corrompu, il n'aurait aucune idée ni de la vérité ni de la béati tude. Mais, malheureux que nous sommes, et plus que s'il n'y avait point de grandeur dans notre condition, nous avons une idée du bonheur, et ne pouvons y arriver; nou sentons une image de la vérité, et ne possédons que le mensonge incapables d'ignorer absolument et de savoir certainement, tant il est manifeste que nous avons été dans un degré de perfection dont nous sommes malheureusement déchus!

Chose étonnante cependant, que le mystère le plus éloigné de notre connaissance, qui est celui de la transmission du péché, soit une chose sans laquelle nous ne pouvons avoir aucune connaissance de nous-mêmes! Car il est sans doute qu'il n'y a rien qui choque plus notre raison que de dire que le péché du premier homme ait rendu coupables ceux qui, étant si éloignés de cette source, semblent incapables d'y participer. Cet écoulement ne nous paraît pas seulement impossible, il nous semble même très-injuste; car qu'y a-t-il de plus contraire aux règles de notre misérable justice que de damner éternellement un enfant incapable de vo

« Car enfin, si l'homme. » Pour la suite du discours, il faut suppléer ici quelque chose. Il faut supposer que Pascal a déjà annoncé ce que Dieu dit, ce que la religion enseigne, c'est-à-dire le péché originel. On se rappelle qu'il manque à ce morceau un commencement.

2 Mais, malheureux que nous sommes. Pascal, en argumentant, ne cesse jamais d'être ému.

3 « Et ne possédons que le mensonge.» Il le suppose, il ne le prouve pas; et par où le prouverait-il? Comment savoir qu'on est dans le faux si on ne connaît le vrai? Il y a du plus et du moins dans le bonheur, et par le moins nous imaginons le plus. Il n'y en a pas dans la vérité. On a plus ou moins de connaissance, mais cette connaissance n'est pas plus ou moins vraie.

4 << Incapables d'ignorer absolument. » Cf. 1, 4.

lonté, pour un péché où il paraît avoir si peu de part, qu'il est commis six mille ans avant qu'il fût en être ? Certainement, rien ne nous heurte plus rudement que cette doctrine; et cependant, sans ce mystère, le plus incompréhensible de tous, nous sommes incompréhensibles à nous-mêmes. Le nœud de notre condition prend ses replis et ses tours dans cet abîme; de sorte que l'homme est plus inconcevable sans ce mystère que ce mystère n'est inconcevable à l'homme *.

:

1 << Inconcevable à l'homme. » Pascal avait d'abord ajouté ce qui suit, qu'il a barré : « D'où il paraît que Dieu, voulant nous rendre la difficulté » de notre être inintelligible à nous-mêmes, en a caché le nœud si haut, ou, pour mieux dire, si bas, que nous étions bien incapables d'y arriver; » de sorte que ce n'est pas par les superbes agitations de notre raison, mais par la simple soumission de la raison, que nous pouvons vérita»blement nous connaître.

» Ces fondements, solidement établis sur l'autorité inviolable de la reli»gion, nous font connaître qu'il y a deux vérités de foi également con> stantes : l'une, que l'homme, dans l'état de la création ou dans celui de » la grâce, est élevé au-dessus de toute la nature, rendu comme semblable » à Dieu, et participant de sa divinité; l'autre, qu'en l'état de la corrup» tion et du péché, il est déchu de cet état et rendu semblable aux bêtes. Ces deux propositions sont également fermes et certaines. L'Ecriture » nous les déclare manifestement lorsqu'elle dit en quelques lieux [c'est» à-dire en certains lieux, en certains endroits]: Deliciæ meæ esse cum » filiis hominum. Effundam spiritum meum super omnem carnem. Dii estis, >> etc. [Mes délices sont d'être avec les fils des hommes. Je répandrai mon > esprit sur toute chair. Vous êtes des Dieux]; et qu'elle dit en d'autres : » Omnis caro fænum. Homo assimilatus est jumentis insipientibus, et simi. »lis factus est illis. Dixi in corde meo de filiis hominum... Eccles., 11. » [Toute chair n'est qu'une herbe fanée. L'homme s'est rapproché de la bête » qui ne pense point, et s'est fait semblable à elle. J'ai considéré en moi» même les fils des hommes, et j'ai demandé que Dieu les éprouve, et fasse > voir qu'ils sont semblables aux bêtes]: par où il paraît clairement que > l'homme, par la grâce, est rendu comme semblable à Dieu et participant » de sa divinité, et que, sans la grâce, il est comme semblable aux bêtes » brutes.» Pascal a mis un renvoi à la dernière citation, parce qu'il la laissait incomplète; elle est prise de l'Ecclésiaste, III, 48. Les autres se trouvent aux endroits suivants : Deliciæ meæ. Prov., VIII, 31. C'est encore la sagesse de Dieu qui parle. Effundam spiritum. Joël, 11, 28. Le texte entier est : Effundam spiritum super omnem carnem, et prophetabunt filii vestri et filiæ vestræ, etc. Dii estis. Ps. LXXXI, 6. Omnis caro. Is., XL, 6. Homo assimilatus est. Ps. XLVIII, 24. Il y a dans le texte comparatus est. Remarquons cette expression les superbes agitations de notre vaison; Pascal ne peut s'empêcher de parler avec orgueil de cette raison

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Tous les hommes recherchent d'être heureux; cela est sans exception. Quelques différents moyens qu'ils y emploient, ils tendent tous à ce but. Ce qui fait que les uns vont à la guerre et que les autres n'y vont pas, est ce même désir qui est dans tous les deux, accompagné de différentes vues1. La volonté ne fait jamais la moindre démarche que vers cet objet. C'est le motif de totes les actions de tous les hommes, jusqu'à ceux qui vont se pendre 2.

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même qu'il condamne et qu'il étouffe. Nous ons cité plus haut cette phrase de Bossuet, dans le sermon pour la profession de madame de La Vallière (fin du premier point): «O Dieu! qu'est-ce donc que l'homme? >> Est-ce un prodige? est-ce un composé monstrueux de choses incom»patibles? Ou bien est-ce une énigme inexplicable?» Bossuet continue ainsi : « Non, messieurs, nous avons expliqué l'énigme. Ce qu'il y a de » si grand dans l'homme est un reste de sa première institution; ce qu'il » y a de si bas, et qui paraît si mal assorti avec ses premiers principes, » c'est le malheureux effet de sa chute. Il ressemble à un édifice ruiné, > qui, dans ses masures renversées, conserve encore quelque chose de la ▾ beauté et de la grandeur de son premier plan. Fondé dans son origine » sur la connaissance de Dieu et sur son amour, par sa volonté dépravée » il est tombé en ruine; le comble s'est abattu sur les murailles, et les » murailles sur le fondement. Mais qu'on remue ces ruines, on trouvera » dans les restes de ce bâtiment renversé, et les traces des fondations, et » l'idée du premier dessein, et la marque de l'architecte. L'impression » de Dieu reste encore en l'homme, si forte qu'il ne peut la perdre, et tout » ensemble si faible qu'il ne peut la suivre, si bien qu'elle semble n'être >> restée que pour le convaincre de sa faute et lui faire sentir sa perte. >> Demandera-t-on encore si Bossuet, en cet endroit, se souvenait des Pensées? N'est-ce pas là tout l'esprit du livre? N'entendions-nous pas tout à l'heure dans cette exclamation, qu'est-ce donc que l'homme? le cri de Pascal éperdu? Ne reconnaissons-nous pas, dans les mots soulignés plus haut, le double tranchant de sa dialectique, la perpétuelle antithèse qu'il n'épuise jamais? Il n'y a que le trouble de Pascal qui ne pénètre pas jusqu'à Bosset, retranché dans son calme inaltérable.

1 « De différentes vues. » Pascal avait ajouté ces mots, qu'il a barrés: « Je n'écris ces lignes et on ne les lit que parce qu'on y trouve plus » de satisfaction. » Ce retour sur lui-même lui a-t-il semblé petit près de ces hautes généralités ?

« Qui vont se pendre. » P. R. affaiblit la brusquerie originale de cette sion en écrivant : qui se tuent et qui se pendent, ce qui est d'ailleurs

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Et cependant, depuis un si grand nombre d'années, jamais personne, sans la foi, n'est arrivé à ce point où tous 'visent continuellement. Tous se plaignent: princes, sujets; nobles, roturiers; vieux, jeunes; forts, faibles1; savants, ignorants; sains, malades; de tous pays, de tous les temps, de tous âges et de toutes conditions.

Une épreuve si longue, si continuelle et si uniforme, devrait bien nous convaincre de notre impuissance d'arriver au bien par nos efforts; mais l'exemple ne nous instruit point. Il n'est jamais si parfaitement semblable, qu'il n'y ait quelque délicate différence; et c'est de là que nous attendons que notre attente3 ne sera pas déçue en cette occasion comme en l'autre ". Et ainsi, le présent ne nous satisfaisant jamais, l'espérance nous pipe, et de malheur en malheur, nous mène jusqu'à la mort, qui en est un comble éternel ".

Qu'est-ce donc que nous crie' cette avidité et cette im

1 « Forts, faibles. Voltaire a dit de même :

Et le riche et le pauvre, et le faible et le fort
Vont tous également des douleurs à la mort.

Mais ces vers lents et tristes n'expriment qu'une plainte; la phrase de Pascal a la vivacité pressante de l'argumentation. Pour faire ressortir l'impossibilité d'être heureux dans cette vie, elle en condamne successivement toutes les conditions, sans exception aucune.

2. D'arriver au bien. » C'est-à-dire au bonheur; bien n'a pas ici un sens moral.

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« Nous attendons que notre attente. » Négligence. P. R.: notre espé

rance.

«En cette occasion comme en l'autre. » C'est-à-dire en telle occasion comme en telle autre.

« Jusqu'à la mort. » Cf. iv, 4, à la fin.

« Qui en est un combie éternel. » Un comble éternel de malheur; car elle amène après elle une éternité malheureuse. Jamais ce mot de comble n'a reçu une telle épithète, et cette épithète si originale et si saisissante est simplement le mot propre dans la pensée de Pascai.

Qu'est-ce donc que nous crie? L'expression est pleso de seni timent pour : Qu'est-ce que veut dire? qu'est-ce que signifie?

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