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Mais pour vous montrer que cela y mène 1,

c'est que

cela diminuera les passions, qui sont vos grands obstacles, etc.

2

Or, quel mal vous arrivera-t-il en prenant ce parti Vous serez fidèle, honnête, humble, reconnaissant, bienfaisant, ami sincère, véritable. A la vérité, vous ne serez point dans les plaisirs empestés, dans la gloire, dans les délices; mais n'en aurez-vous point d'autres?

Je vous dis que vous y gagnerez en cette vie; et qu'à chaque pas que vous ferez dans ce chemin, vous verrez tant de certitude de gain, et tant de néant de ce que vous hasardez, que vous reconnaîtrez à la fin que vous avez parié pour une chose certaine, infinie, pour laquelle vous n'avez rien donné.

Oh! ce discours' me transporte, me ravit, etc.

quand vous auriez moins de cet esprit qui ne vous est bon à rien qu'à vous perdre, seriez-vous à plaindre? C'est sa plus amère ironie et sa dernière insulte la pensée indocile. Il la traite comme un malade sans ressource, à qui il propose un remède terrible, et qui dit: Mais cela va nuire à ma santé. Qu'avez-vous à perdre ? Il se flatte bien, en parlant ainsi, que le remède ne la tuera pas, et qu'il la ressuscitera au contraire.

-

Ce sont là pourtant de fâcheux discours. L'homme n'est pas ce malade désespéré qui ne peut être sauvé que par une crise violente; il est faible seulement; il a besoin qu'on soutienne ses forces, et non pas qu'on les abatte. Pascal humiliait son génie sans l'étouffer, mais dans un esprit moins énergique la pensée trop comprimée pourrait perdre enfin tout son ressort. Parti de principes extrêmes, Pascal est toujours extrême; il est fait pour agir sur les esprits les plus fougueux et les plus intraitables, sur ceux qui sont plus attirés que repoussés par un sentiment dur ou une conséquence bizarre, et qui ont moins besoin d'être persuadés que surpris et confondus.

1 «Que cela y mène. » Que de pratiquer la religion mène à la croire. -L'etc. montre que Pascal se proposait encore de développer ici sa pensée. 2 « Or, quel mal. » Cet alinéa et le suivant se trouvent à part dans le manuscrit avec ce titre, Fin de ce discours. Il s'agit évidemment du discours que Pascal adresse à l'incrédule, et dont celui-ci va dire: Ohlet discours me transporte, etc.

« Véritable. C'est-à-dire disant la vérité, véridique.

4 «Oh! ce discours. Cette fin manque dans P. R. Elle a été publiće plus tard. M. Cousin (p. 189) paraît croire que Pascal « se proposait d'a dresser à son interlocuteur un discours qui devait lui relever l'âme, et le tirer de l'abattement où l'avaient jeté et ces calculs bizarres et ces

Si ce discours vous plaît et vous semble fort, sachez qu'il est fait par un homme qui s'est mis à genoux auparavant et après pour prier cet Être infini et sans parties, auquel il soumet tout le sien, de se soumettre aussi le vôtre pour votre propre bien et pour sa gloire; et qu'ainsi la force 2 s'accorde avec celte bassesse'.

> conseils douloureux; » qu'alors « il introduit sur la scène cet interlo» cuteur réjoui et animé. Mais nous pensons que le discours qui ravit l'interlocuteur est précisément celui-là même qui remplit tout ce morceau, et dont ces calculs bizarres composent le fond. On vient de voir que le passage qui porte dans le manuscrit cette étiquette, fin de ce discours, nous ramène encore à ce pari, que Pascal n'a pas un instant perdu de vue, Maintenant il est maître de ce problème immense qui paraissait insoluble, et il n'a pas rencontré seulement une vérité abstraite, comme Archimède; celle qu'il a trouvée contient en elle une éternité de bonheur et la possession de l'infini. Comment ne serait-il pas transporté? Mais à l'orgueil du géomètre, ravi d'avoir dégagé une telle inconnue, et de tenir le secret d'un jeu où l'enjeu est Dieu même, se mêle une humble et religieuse reconnaissance pour ce Dieu qu'on ne peut trouver qu'autant qu'il se découvre, ni posséder qu'autant qu'il se donne. Cette logique si fière s'abaisse et prie. Ce n'est plus là le sang-froid tout didactique de Descartes. Il semble en effet que les croyances religieuses, si elles sont profondes, ne peuvent s'en tenir au langage du raisonnement, et qu'elles doivent parler celui du cœur. Le syllogisme qui aboutit à Dieu doit se tourner en acte de foi et de charité. Du reste, les formes dramatiques se présentaient souvent à l'esprit de Pascal composant son livre. On en verra la trace en plusieurs endroits. Voir à ce sujet les belles réflexions de M. Cousin, Des Pensées de Pascal, p. 245 et suivantes.

1 Cet Être infini et sans parties. Ges mots rappellent les réflexions par lesquelles s'ouvre l'article.

* Et qu'ainsi la force. » Il faut construire, sachez qu'ainsi la force, le verbe s'accorde est à l'indicatif. Pascal explique comment la raison d'un homme, faible et basse créature, a pu être un instrument assez fort et assez puissant pour trouver Dieu. C'est que cet homme a prié, et ainsi la force, qui vient d'en haut, s'accorde avec la bassesse, qui est en lui,

« Avec cette bassesse. » Il existe une note fort curieuse sur ce fragment si remarquable dans l'article de Bayle sur Pascal (la note I). Bayle y cite un passage d'Arnobe où se trouve en germe l'argument que Pascal a développé d'une façon si originale. Je traduis ce passage: « Mais le Christ >> ne prouve pas la vérité de ses promesses. Cela est vrai; car il n'y a pas » de preuve possible de ce qui est à venir. Mais si telle est la condition a des choses futures, qu'elles ne peuvent être atteintes ni saisies par au» cune appréhension anticipée, le parti le plus raisonnabie, entre deux ⚫ opinions douteuses, et dans l'attente d'un événement incertain, n'est-il » pas d'adopter celle qui donne des espérances plutôt que celle qui n'en

Ceux qui espèrent leur salut sont heureux en cela, mais ils ont pour contre-poids la crainte de l'enfer 2. — Qui

> donne pas? D'un côté, en effet, nul risque, si ce qu'on nous montrait » comme prochain s'évanouit et nous fait faute; de l'autre, le préjudice > est énorme, car c'est la perte du salut, s'il se trouve, quand le terme > arrive, qu'on ne nous a pas trompés. » In illo enim periculi nihil est, si quod dicitur imminere cassum fiat et vacuum, in hoc damnum est maximum, id est salutis amissio, si quum tempus advenerit, aperiatur non fuisse mendacium. (Adv. Gent., II, p. 44). Mais ce qui n'est qu'un mot dans Arnobe est devenu une thèse en forme chez Pascal. Malgré les adoucissements de P. R., tout ce morceau était d'une nouveauté trop hardie, et s'éloignait trop du ton ordinaire des discussions théologiques, pour ne pas être violemment attaqué. Bayle nous a conservé quelque chose de ces critiques; il se montre d'ailleurs peu touché, et il a raison, des décla mations et des impertinences qu'il reproduit, et sans prendre la peine d'y répondre, il renvoie son lecteur au morceau de Pascal, et au livre intitulé: Traité de religion contre les athées, les déistes et les nour eaux pyrrhoniens, qui parut en 1677, et où, dit-il, ce raisonnement fut poussé avec beaucoup d'étendue et avec beaucoup de force. Cependant, il faut l'avouer d'abord, il est étrange de parler de pari et de croix ou pile à propos de Dieu et du salut éternel. Pascal dit ailleurs (vi, 45): « C'est » un bon mathématicien, dira-t-on, mais je n'ai que faire de mathémati» ques; il me prendrait pour une proposition. » C'est ce qu'il fait ici luimême à l'égard de Dieu, il le prend pour une proposition; il prend la foi pour un problème d'analyse, et la question de savoir si on sera chrétien ou impie pour un cas de la règle des partis. Ce procédé ne scandalisait pas ses amis, les géomètres et les logiciens, Arnauld, le duc de Roannez, principal éditeur des Pensées, qui était fort curieux de mathématiques; il les ravissait plutôt, mais le gros du monde dut en être étonné. En admirant la force de l'esprit qui a construit cette démonstration singulière, on admire aussi la faiblesse d'une imagination trop occupée de certaines idées, et qui les porte encore où elles ne conviennent plus. Parce qu'en essayant de déterminer quelques chances du jeu, Pascal avait créé une science nouvelle, celle des hasards, ou, comme nous disons aujourd'hui, des probabilités, le voilà maintenant qui prétend résoudre par cette invention le mystère de sa destinée. L'homme est pour lui un joueur qui joue sur une carte inconnue, laquelle porte avec elle ou le ciel et l'enfer, ou le néant, et Pascal sait s'il faut demander rouge ou noire. Ce n'est pas ainsi qu'annonçaient la religion ceux qui ont converti le monde. L'Écriture, dit que Dieu a livré la nature aux disputes des hommes (Eccl., 111, 44),

1 << Leux qui espèrent. » Il y a dans le manuscrit : Obj. Ceux qui espè rent. Et plus loin : Rép. Qui a plus de sujet. C'est l'objection et la réponse. 2 « La crainte de l'enfer. » L'objection est forte, surtout suivant la foi janséniste; mais Pascal y répond ici avec une finesse et une sûreté merveilleuses. Si on lui accorde, sur l'enfer tel qu'il le conçoit, seulement le doute et l'ignorance, n'y a plus moyen de lui échapper.

a plus de sujet de craindre l'enfer, ou celui qui est dans l'ignorance s'il y a un enfer, et dans la certitude de damna

mais non pas que lui-même ait voulu être pour les savants une difficulté de mathématiques, et se soit caché au fond d'un calcul.

Mais enfin ce calcul est-il juste? Des mathématiciens l'ont attaqué. Condorcet, dans son édition des Pensées, répondant à la fois à son auteur et à Locke, qui avait reproduit cet argument, publia, en les attribuant à Fontenelle, des réflexions par lesquelles il tâche d'établir que l'analyse de Pascal n'est pas juste. Il suppose qu'on donne à un enfant qui ne sait pas lire les vingt-quatre caractères de l'alphabet pour les ranger comme il veut; et il demande si celui qui parierait une piastre contre l'empire de la Chine ( estimé cent millions de piastres) que cet enfant les rangera tout de suite dans l'ordre de l'alphabet, ferait un pari raisonnable. Il soutient que Pascal devrait faire ce pari, d'après ses principes, car ce qu'il peut

tfort peu de chose, tandis que ce qu'il peut gagner est énorme. voir ensuite que cependant parier ainsi serait absurde, car on aume il le démontre, treize mille milliards de milliards de chances de perdre contre une seule chance de gagner; et ainsi la disproportion entre les chances de perte et de gain serait immense en comparaison de celle qu'il y a entre la somme à gagner et la somme à perdre. Mais il faut que Condorcet ait lu Pascal bien légèrement; car Pascal prévient l'objection en posant lui-même ce principe, qu'il faut consulter non-seulement la proportion entre les deux enjeux, mais la proportion entre les hasards de gain et de perte; et dans le pari qu'il propose, la seconde, quelle qu'elle soit, est finie par hypothèse, tandis que le premier rapport est infini. De plus, celui à qui Condorcet propose son pari n'est pas obligé de jouer, et, s'il renonce à prétendre gagner, il est sûr de ne pas perdre; au contraire, cette obligation de prendre parti, cette nécessité de gagner ou de perdre, est précisément le fond de l'argument de Pascal. La critique tombe donc tout entière, et je ne comprends même pas qu'on ait cru pouvoir trouver en défaut, dans la construction d'une démonstration, l'esprit si rigoureux de Pascal. Il n'y a pas moyen d'échapper à l'étreinte de sa logique, si on lui accorde le principe d'où il part. Votre raison, dit-il, ne peut décider si mon Dieu est ou s'il n'est pas. Cela accordé, il emporte forcément tout le reste. On ne saurait lui résister que par une incrédulité assez intrépide pour nier là où il doute, pour dire : Votre Dieu n'est pas; et votre religion est fausse, et non incertaine. Si on ne va pas jusque-là, il faut céder. Cf. xxiv, 88. Quant à ceux qui objectent à Pascal que son argument servirait à toutes les religions, et que Mahomet pourrait parler comme il parle, ils ne songent pas que Pascal n'accorderait pas que la raison soit embarrassée de décider sur Mahomet : la fausseté de la religion du prophète lui est tout d'abord évidente. Il n'y a donc là ni calcul à faire, ni pari.

Ces termes de croix ou pile rappellent à M. Villemain le trait de Rousseau, à l'âge de vingt-quatre ans, se demandant s'il sera perdu cu sauvé, et, pour résoudre cette question, prenant une pierre qu'il lance contre ur arbre: « Si je le touche, signe de salut; si je le manque, signe de dam nation. » (Confessions, I, vi, 1736.) On voit toute la différence de cen

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tion, s'il y en a; ou celui qui est dans une certaine persuasion qu'il y a un enfer, et dans l'espérance d'être sauvé, s'il est?

J'aurais bientôt quitté les plaisirs, disent-ils, si j'avais la foi. Et moi, je vous dis : Vous auriez bientôt la foi, si vous aviez quitté les plaisirs. Or, c'est à vous à commencer. Si je pouvais, je vous donnerais la foi. Je ne puis le faire, ni partant éprouver la vérité de ce que vous dites. Mais vous pouvez bien quitter les plaisirs, et éprouver si ce que je dis est vrai.

Quiconque n'ayant plus que huit jours à vivr vera pas que le parti est de croire que tout cela est pas un coup du hasard...

Or, si les passions ne nous tenaient point, huit jours et cent ans sont une même chose.

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2.

Les preuves de Dieu métaphysiques sont si éloignées du

doux esprits. Rousseau, faible et romanesque, se livre au hasard. Pascal recourt au raisonnement. L'un joue à l'aventure, l'autre à coup sûr.

Dans une certaine persuasion. C'est-à-dire dans une persuasion

certaine.

2 « Si je pouvais. » Quel accent de passion sincère et profonde dans ces paroles !

3 « Que le parti est. » Voir plus haut la note sur les mots : Cela est tout parti.

4 «Tout cela. » C'est-à-dire toute la suite des prophéties, tout l'éta— blissement du christianisme, toute l'histoire de la religion.

« Les preuves de Dieu. » En titre dans le manuscrit, Préface, c'està-dire sans doute Préface de la Seconde partie : cf. XXII, 1. Pascal a mig dans cette préface tout l'esprit de son livre. L'homme trouve dans le fond de son être une obscurité qu'il ne peut comprendre, et une impuissance qu'il ne peut guérir. La foi seule éclaircit cette obscurité par le péché originel; seule elle guérit cette impuissance par la rédemption et la grâce. Il faut donc croire pour comprendre et pour vivre : voilà toute la démonstration de Pascal. Il y a une énigme, Dieu en est le mot; il y a un mal, Dieu en est le remède. Toute autre manière de concevoir Dieu est vaine;

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