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6.

L'homme n'est qu'un roseau, le plus faible de la nature, mais c'est un roseau pensant'. Il ne faut pas2 que l'univers entier s'arme pour l'écraser. Une vapeur, une goutte d'eau, suffit pour le tuer. Mais quand l'univers l'écraserait, l'homme serait encore plus noble que ce qui le tue, parce qu'il sait qu'il meurt, et l'avantage que l'univers a sur lui : l'univers n'en sait rien.

Toute notre dignité consiste donc en la pensée. C'est de là qu'il faut nous relever, non de l'espace et de la durée, que nous ne saurions remplir. Travaillons donc à bien penser; voilà le principe de la morale ‘.

1 « Un roseau pensant. Image admirable, justement célèbre. Elle a dû être préparée; elle semblerait bizarre si Pascal avait dit tout d'abord : L'homme est un roseau pensant. · Le plus faible. L'imagination exagère toujours.

2 « Il ne fæût pas. » Cette phrase ajoute beaucoup, par le contraste, l'effet de la phrase suivante.

3 « Ce qui le tue. » Ce neutre même fait sentir que ce qui le tue n'est pas une intelligence, une personne.

Parce qu'il sait qu'il meurt. » Cette protestation, où respire tout l'orgueil que peut donner à la pensée la conscience d'elle-même, c'est le cri de l'âme de Pascal, toujours malade, se sentant mourir, mais sachant qu'il meurt, et fier de cette force de génie qu'il appliquait à pénétrer le secret de sa chétive existence.

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« Et l'avantage. » Tous les éditeurs, jusqu'à présent, ont ponctué ainsi ce passage et l'avantage que l'univers a sur lui, l'univers n'en sait rien. Nous pensons qu'il faut ponctuer comme nous l'avons fait dans le texte : parce qu'il sait qu'il meurt, et l'avantage, c'est-à-dire qu'il sait l'avantage. Cette courte phrase, l'univers n'en sait rien, a plus d'effet étant détachée, et elle est bien dans la manière brusque de Pascal.

6 De la morale. » Pascal n'a rien écrit de plus beau que ces quelques lignes. On trouve dans le manuscrit une première ébauche de cette pensée, avec ce titre Roseau pensant ; « Ce n'est point de l'espace que je dois >> chercher ma dignité, mais c'est du règlement de ma pensée. Je n'aurai » pas davantage en possédant des terres. Par l'espace, l'univers me com> prend et m'engloutit comme un point; par la pensée, je le comprends. » Comprendre est pris ici dans son sens étymologique d'embraser. Le trait, par l'espace l'univers m'engloutit comme un point, peut servir de commen taire à ces mots de notre texte : « L'espace et la durée que nous ne sau▸ rions remplir. » Cf. xv11. 4.

7.

Il est dangereux de trop faire voir à l'homme combien il est égal aux betes, sans lui montrer sa grandeur. Il est encore dangereux de lui trop faire voir sa grandeur sans sa bassesse. Il est encore plus dangereux de lui laisser ignorer l'un et l'autre. Mais il est très-avantageux de lui représenter l'un et l'autre 1.

8.

...Que l'homme maintenant s'estime son prix. Qu'il s'aime, car il a en lui une nature capable de bien; mais qu'il n'aime pas pour cela les bassesses qui y sont. Qu'il se méprise, parce que cette capacité est vide; mais qu'il ne méprise pas pour cela cette capacité naturelle. Qu'il se haïsse, qu'il s'aime : il a en lui la capacité de connaître la vérité et d'être heureux; mais il n'a point de vérité, ou constante, ou satisfaisante'.

Je voudrais donc porter l'homme à désirer d'en trouver, à être prêt, et dégagé des passions, pour la suivre où il la trouvera, sachant combien sa connaissance s'est obscurcie par les passions; je voudrais bien qu'il haît en soi la concupiscence qui le détermine d'elle-même, afin qu'elle ne l'aveuglât point pour faire son choix, et qu'elle ne l'arrêtât point quand il aura choisi.

1 « L'un et l'autre. » On trouve, à la suite de cette pensée, cette espèce de variante: « Il ne faut pas que l'homme croie qu'il est égal aux bêtes ni aux anges, ni qu'il ignore l'un et l'autre, mais qu'il sache l'un » et l'autre. Cf. vii, 13.

2 « Que l'homme. » Cette pensée porte en titre : Contrariétés [c'est-à-dire contraires]. Après avoir montré la bassesse et la grandeur de l'homme.

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Satisfaisnte. » C'est-à-dire qui puisse rendre heureux. Mais qu'estce que cette capacité qui n'est capable de rien?

D'elle-même. » C'est-à-dire sans le conseil de son intefligence, de

sa raison.

9.

Je blâme également1, et ceux qui prennent parti' de louer l'homme, et ceux qui le prennent de le blâmer, et ceux qui le prennent de se divertir; et je ne puis approuver que ceux qui cherchent en gémissant.

4

Les stoïques disent : Rentrez au dedans de vous-mêmes; c'est là où vous trouverez votre repos : et cela n'est pas vrai. Les autres disent: Sortez au dehors; recherchez le bonheur en vous divertissant : et cela n'est pas vrai. Les maladies viennent le bonheur n'est ni hors de nous, ni dans nous; il est en Dieu, et hors et dans nous".

10.

La nature de l'homme se considère en deux manières : l'une selon sa fin, et alors il est grand et incomparable; l'autre selon la multitude, comme l'on juge de la nature du cheval et du chien, par la multitude d'y voir la course,

1 « Je blâme également. » Voir l'art. IX, 5e alinéa.

2 « Qui prennent parti. » Nous dirions, qui prennent le parti, et ensuite, qui prennent celui de. Ceux qui louent sont les stoïciens, comme Epictete; ceux qui blâment sont les épicuriens, ceux qui se divertissent sont les indifférents.

3 « Les stoïques. » Pascal dit storques et non stoïciens. dans. Cf. VIII, 1, à la fin.

·Rentrez au de

4 Les autres. » C'est-à-dire les épicuriens et les indifférents, qui, dans la pratique, se confondent.

5 << Et hors et dans nous. » C'est-à-dire que, étant en Dieu, il est ainsi et hors et dans nous. Hors nous, parce que nous ne sommes pas Dien; dans nous, parce que dans nous nous retrouvons Dieu.

" << Selon la multitude. » C'est-à-dire, à ce qu'il semble, selon ce qui se Foit dans le grand nombre des nommes, selon le grand nombre des cas.

«La multitude d'y voir. » Si c'est bien là le texte, cette phrase bar bare ne peut-elle pas s'entendre ainsi : par la multitude des cas qui se prés sentent d'y voir la course, etc.? On a substitué, l'habitude.

animum arcendi 1 ; et alors l'homme est abject et vil. Voilà les deux voies qui en font juger diversement, et qui font tant disputer les philosophes. Car l'un nie la supposition de l'autre l'un dit: Il n'est pas né à cette fin, car toutes ses actions y répugnent; l'autre dit: Il s'éloigne de sa fin quand il fait ces actions basses.

:

Deux choses 2 instruisent l'homme de toute sa nature, l'instinct et l'expérience.

11.

Je sens que je peux n'avoir point été : car le moi consiste dans ma pensée; donc moi qui pense n'aurais point été, si ma mère eût été tuée avant que j'eusse été animé. Donc je ne suis pas un être nécessaire. Je ne suis pas aussi éternel, ni infini; mais je vois bien qu'il y a dans la nature un être nécessaire, éternel et infini.

ARTICLE II.

1.

Nous ne nous contentons pas

4 de la vie que nous avons

en nous et en notre propre être : nous voulons vivre dans l'idée des autres d'une vie imaginaire, et nous nous effor

1 « Animum arcendi. » Définition prise sans doute de quelque physique latine des écoles, l'instinct d'arréter, l'instinct du chien d'arrêt.

2 << Deux choses. » L'instinct, qui aspire à tout, nous apprend notre grandeur; l'expérience, qui nous fait voir que nous n'arrivons à rien, nous convainc de notre faiblesse. C'est là toute notre nature, suivant Pascal. 3 « Je sens.» Pascal ne fait ici que résumer Descartes.

« Nous ne nous contentons pas. » Nous n'avons plus l'original de cette pensée, mais l'authenticité ne m'en paraît pas douteuse; le fond et lå forme ร sont très-dignes de Pascal. - Que ce début est moqueur!

çons pour cela de paraître. Nous travaillons incessamment à embellir et à conserver cet être imaginaire', et nous négligeons le véritable. Et si nous avons ou la tranquillité, ou la générosité, ou la fidélité, nous nous empressons de le faire savoir, afin d'attacher ces vertus à cet être d'imagination: nous les détacherions plutôt de nous pour les y joindre; et nous serions volontiers poltrons pour acquérir la réputation d'être vaillants. Grande marque du néant de notre propre être, de n'être pas satisfait de l'un sans l'autre, et de renoncer souvent à l'un pour l'autre! Car qui ne mourrait pour conserver son honneur, celui-là serait infâme.

2

La douceur de la gloire est si grande, qu'à quelque chose qu'on l'attache, même à la mort, on l'aime.

2.

Orgueil, contre-pesant toutes les misères. Ou il cache ses misères; ou, s'il les découvre, il se glorifie de les connaître.

L'orgueil nous tient d'une possession si naturelle au milieu de nos misères, erreurs, etc. Nous perdons encore la vie avec joie, pourvu qu'on en parle.

3.

La vanité est si ancrée dans le cœur de l'homme, qu'ên

1 « Cet être imaginaire. » Voilà un dédoublement de l'homme bien piquant nous les détacherions plutôt de nous, trait excellent, qui n'est que l'idée qui précède: attacher ces vertus à cet étre d'imagination, poussée plus loin.

2 « Et nous serions volontiers poltrons. Même idée, poussée jusqu'au bout. Cela est plein de verve; c'est le même talent d'ironie que dans les Provinciales.

3 << La douceur. En titre dans le manuscrit: Métiers. Cette pensée so rattachait sans doute à des réflexions sur le métier des soldats. Cf. III, 4. 4 « Orgueil En titre, Contradiction.

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