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a révélé ses mystères; que tous les hommes sont corrompus, et dans la disgrâce de Dieu; qu'ils sont tous abandonnés à leur sens et à leur propre esprit; et que de là viennent les tranges égarements et les changements continuels qui arrivent entre eux, et de religions, et de coutumes; au lieu qu'ils demeurent' inébranlables dans leur conduite : mais que Dieu ne laissera pas éternellement les autres peuples dans ces ténèbres; qu'il viendra un libérateur pour tous; qu'ils sont au monde pour l'annoncer; qu'ils sont formés exprès pour être les avant-coureurs et les hérauts 2 de ce grand avénement, et pour appeler tous les peuples à s'unir à eux dans l'attente de ce libérateur.

La rencontre de ce peuple m'étonne, et me semble digne. de l'attention. Je considère cette loi qu'ils se vantent de tenir de Dieu, et je la trouve admirable. C'est la première loi de toutes, et de telle sorte qu'avant même que le mot loi fût en usage parmi les Grecs, il y avait près de mille ans qu'ils l'avaient reçue et observée sans interruption. Ainsi je trouve étrange que la première loi du monde se rencontre aussi la plus parfaite, en sorte que les plus grands législateurs en ont emprunté les leurs, comme il paraît par la loi des XII Tables d'Athènes, qui fut ensuite prise par les Romains, et comme il serait aisé de le montrer, si Josèphe et d'autres n'avaient pas assez traité cette matière.

... Dans cette recherche' le peuple juif attire d'abord mon attention par quantité de choses admirables et singulières qui y paraissent.

Je vois d'abord que c'est un peuple tout composé de frères:

1 Au lieu qu'ils demeurent. » Eux, les Juifs.

2. Et les hérauts. Cette image prépare bien ce qui suit, et pour ap peler tous les peuples.

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Dans cette recherche. En titre, Avantages du peuple juif.

et, au lieu que tous les autres sont formés de l'assemblage d'une infinité de familles, celui-ci, quoique si étrangement abondant, est tout sorti d'un seul homme; et, étant ainsi tous une même chair, et membres les uns des autres, ils composent un puissant état d'une seule famille. Cela est unique.

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Cette famille, ou ce peuple est le plus ancien qui soit en la connaissance des hommes; ce qui me semble lui attirer une vénération particulière, et principalement dans la recherche que nous faisons; puisque, si Dieu s'est de tout temps communiqué aux hommes, c'est à ceux-ci qu'il faut recourir pour en savoir la tradition.

Ce peuple n'est pas seulement considérable par son antiquité; mais il est encore singulier en sa durée, qui a toujours continué depuis son origine jusque maintenant : car au lieu que les peuples de Grèce et d'Italie, de Lacédémone, d'Athènes, de Rome, et les autres qui sont venus si longtemps après, ont fini il y a si longtemps, ceux-ci subsistent toujours'; et, malgré les entreprises de tant de puissants rois qui ont cent fois essayé de les faire périr. comme les historiens le témoignent, et comme il est aisé de

» D'un seul homme. D'Abraham, et non pas d'Adam, qui n'est pas plus particulièrement père des Juifs que des autres peuples.

N'êtes-vous pas ici sur la montagne sainte

Où le père des Juifs sur son fils innocent

Leva sans murmurer un bras obéissant! (Athalie, Iv, 5.)

Le plus ancien.» Cela n'est pas exact d'après l'Écriture même puisque la nation égyptienne y paraît déjà florissante au temps d'Abraham. Pascal pouvait dire seulement que le peuple juif prétend remonter, par une généalogie non interrompue, d'Abraham à Sem, et de Sem à Adam, le premier homme. Il est remarquable d'ailleurs que dans tout ce morceau, Pascal ne tient compte que de l'antiquité classique, et ne pense même pas à considérer les peuples de la haute Asie, les Indiens et les Chinois.

3 << Ceux-ci subsistent toujours. » On sent l'effet de cette courte incise arrès une phrase ample et périodique.

4 Taut de puissants rois. Les rois d'Assyrie, de Perse, ies successeurs d'Alexandre, les capitaines, puis les empereurs romains.

te juger par l'ordre naturel des choses, pendant un si long espace d'années ils ont toujours été conservés néanmoins1, et s'étendant depuis les premiers temps jusques aux derniers, leur histoire enferme dans sa durée celle de toutes nos histoires.

La loi par laquelle ce peuple est gouverné est tout ensemble la plus ancienne lci du monde, la plus parfaite, et la seule qui ait toujours été gardée sans interruption dans un État. C'est ce que Josèphe montre admirablement contre Apion', et Philon, juif", en divers lieux, où ils font voir qu'elle est si ancienne, que le nom même de loi n'a été connu des plus anciens que plus de mille ans après; en sorte qu'Homère, qui a écrit de l'histoire de tant d'états", ne s'en est jamais servi. Et il est aisé de juger de sa perfection par

1 « Conservés néanmoins. Il en est de même des Guèbres ou Parsis dans l'Orient.

. « Leur histoire enferme dans sa durée. » Phrase magnifique, et qui fait une espèce d'illusion. Car il semble que toutes les histoires, ou du moins nos histoires, les histoires classiques, soient renfermées dans celle des Juifs pour tout le reste aussi bien que pour la durée. Bossuet, dans le Discours sur l'histoire universelle, n'a fait que remplir le plan superbe que Pascal avait tracé dans ces mots.

3 « Contre Apion. » La réponse au grammairien Apion d'Alexandrie est un écrit composé par Josèphe à l'appui de ses livres des Antiquités judaï ques. Il y soutient, contre les objections d'Apion, l'antiquité du peuple juif et l'autorité des Écritures.

4 « Et Philon, juif. » Il dit, Philon, juif, sans doute pour le distinguer des autres Philon, et particulièrement de l'historien Philon de Byblos. Voir les OEuvres de Philon (Paris, 1640), au livre II de la Vie de Moise, particulièrement la page 656.

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Qui a écrit de l'histoire de tants d'états. » P. R., qui a parlé de tant de peuples. Un poëte ne fait pas un traité d'nistoire, et Homère moins qu'aucun poëte; l'œuvre d'Homère, c'est la mémoire vivante des choses, la voix que prend l'imagination émue, une parole ailée, un chant. L'étrange im propriété de l'expression de Pascal montre combien il connaissait mal Homère. En général, il a voulu rester étranger, dans la littérature comme dans la vie, à bien des choses qui charment l'esprit, et même qui lui profitent.

<< Ne s'en est jamais servi. » Cela n'est pas dans Philon, mais seulement dans Josèphe, au livre II de sa Réponse à Apion, paragraphe 15. Le

la simple lecture, où l'on voit qu'on a pourvu à toutes choses avec tant de sagesse, tant d'équité, tant de jugement, que les plus anciens législateurs grecs et romains, en ayant eu quelque lumière, en ont emprunté leurs principales lois; ce qui paraît par celle qu'ils appellent des Douze Tables, et par les autres preuves que Josèphe en donne'. Mais cette loi est en même temps la plus sévère et la plus rigoureuse de toutes en ce qui regarde le culte de leur religion, obligeant ce peuple, pour le retenir dans son devoir, à mille observations particulières et pénibles, sur peine de la vie. De sorte que c'est une chose bien étonnante qu'elle se soit toujours conservée durant tant de siècles par un peuple rebelle et impatient comme celui-ci; pendant que tous les autres États ont changé de temps en temps leurs lois, quoique tout autrement faciles. Le livre qui contient cette loi, la première de toutes, est lui-même le plus ancien livré du monde, ceux d'Homère, d'Hésiode et les autres, n'étant que six ou sept cents ans depuis '.

mot véμos, en effet, ne se trouve pas dans les poèmes d'Homère, si ce n'est dans l'Hymne apocryphe à Apollon (au vers 20), très-postérieur à l'époque homérique. Ce mot est deux fois dans Hésiode (Travaux et Jours, v. 274; Théogonie, v. 66).

1 « Que Josèphe en donne. » Même livre, paragraphe 39. Josèphe në parle pas précisément comme Pascal le fait parler. Il dit seulement, d'abord que Moise est le plus ancien des législateurs, ensuité que les philosophes de la Grèce tiennent de lui leurs meilleures idées sur Dieu et sur la mo rale; enfin, que certaines observances juives se sont répandues par toute la terre, qu'on a emprunté de tous côtés aux Juifs leur sabbat, leurs jeunes, etc., et qu'on s'efforce d'imiter leurs vertus, leur charité pour leurs frères, leur fidélité à leur loi. Josèphe ni Philon ne disent pas que les Gentils aient emprunté des Juifs leur législation positive, ils ne parlent pas des Douze Tables. Mais Pascal avait pu lire dans Grotius, I, 45 : Sicut et antiquissimæ leges Atticæ, unde et Romano postea desumptæ sunt, ex legibus Mosis originem ducunt. Grotius indique rapidement en note quelques rapprochements, en ajoutant que ce n'est pas le lieu de les discuter. Nous dirons à plus forte raison la même chose.

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2 « Six ou sept cents ans depuis. » Pascal n'observe plus la même chronologie que quand il disait tout à l'heure, plus de mille ans après.

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2.

Ils portent avec amour et fidélité le livre où Moïse déclare 2 qu'ils ont été ingrats envers Dieu toute leur vie, et qu'il sait qu'ils le seront encore plus après sa mort; mais qu'il appelle le ciel et la terre à témoin contre eux, et qu'il leur a enseigné assez : il déclare qu'enfin' Dieu, s'irritant contre eux, les dispersera parmi tous les peuples de la terre que, comme ils l'ont irrité en adorant les dieux qui n'étaient point leur dieu, de même il les provoquera en appelant un peuple qui n'est point son peuple; et veut que toutes ses paroles scient conservées éternellement, et que son livre soit mis dans l'arche de l'alliance pour servir à jamais de témoin contre eux. Isaïe dit la même chose, xxx, 8. Cependant ce livre qui les déshonore en tant de façons, ils le conservent aux dépens de leur vie. C'est une sincérité qui n'a point d'exemple dans le monde, ni sa racine dans la nature..

Il y a bien de la différence entre un livre que fait un particulier, et qu'il jette dans le peuple, et un livre qui fait luimême un peuple '. On ne peut douter que le livre ne soit aussi ancien que le peuple.

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Toute histoire qui n'est pas contemporaine est suspecte;

« Ils portent avec amour. » En titre, Sincérité des Juifs.

« Où Moïse déclare. Dans le Deuteronome, XXXI, 27, 28.

« Il déclare qu'enfin. Ibid., XXXII.

« Et veut que toutes ses paroles. » xxxi, 26.

<< Isaïe dit la même chose. » Et in libro diligenter exara illud, et erit in die novissimo in testimonium usque in æternum.

• « Ni sa racine dans la nature. » On doit cependant remarquer que les reproches et les menaces de Dieu dans l'Écriture viennent toujours aboutir à des promesses de prospérité et de gloire, qui relèvent le peuple choisi bien plus qu'il n'a été abaissé. Les menaces doivent amener le repentir, et le repentir doit amener la récompense.

1 « Qui fait lui-même un peuple. » Trait ingénieux, et expression bien originale.

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