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l'affection est plus utile et l'aversion plus dangereuse. Un prince sera la fable de toute l'Europe, et lui seul n'en saura rien. Je ne m'en étonne pas dire la vérité est utile à celui à qui on la dit, mais désavantageux à ceux qui la disent, parce qu'ils se font haïr. Or, ceux qui vivent avec les princes aiment mieux leurs intérêts que celui du prince qu'ils servent; et ainsi ils n'ont garde de lui procurer un avantage en se nuisant à eux-mêmes.

Ce malheur est sans doute plus grand et plus ordinaire dans les plus grandes fortunes; mais les moindres n'en sont pas exemptes', parce qu'il y a toujours quelque intérêt à se faire aimer des hommes. Ainsi la vie humaine n'est qu'une illusion perpétuelle; on ne fait que s'entre-tromper et s'entre-flatter. Personne ne parle de nous en notre présence comme il en parle en notre absence. L'union qui est entre les hommes n'est fondée que sur cette mutuelle tromperie; et peu d'amitiés subsisteraient, si chacun savait ce que son ami dit de lui lorsqu'il n'y est pas, quoiqu'il en parle alors sincèrement et sans passion.

L'homme n'est donc que déguisement', que mensonge et hypocrisie, et en soi-même et à l'égard des autres. Il ne veut pas qu'on lui dise la vérité, il évite de la dire aux autres; et toutes ces dispositions, si éloignées de la justice et de la raison, ont une racine naturelle dans son cœur.

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a N'en sont pas exemptes. C'est ce que nous savons tous par la fable du Renard et du Corbeau, et surtout par l'expérience de la vie.

2 «Que déguisement. » C'est en lisant de pareils traits que Voltaire demandait à prendre le parti de l'humanité contre ce misanthrope sublime. Non, l'homme r'est pas tout mensonge et tout hypocrisie, car ou bien les mots de franchise, de loyauté n'expriment rien, ou ils expriment des vertus humaines. L'homme n'est pas complétement vrai, comme il ne peut être complétement bon; mais il l'est dans une certaine mesure.

$ Racine naturelle. Le mot naturelle contient le noeud du raisonnement que Pascal a dans l'esprit. Sa conclusion est que la nature dei homme est done une nature viciée, et qu'on ne peut l'expliquer que par le péché originel.

ARTICLE III.

1.

Ce qui m'étonne le plus est de voir que tout le monde n'est pas étonné de sa faiblesse. On agit sérieusement, et chacun suit sa condition, non pas parce qu'il est bon en effet de la suivre, puisque la mode en est2; mais comme si chacun savait certainement où est la raison et la justice. On se trouve déçu à toute heure; et, par une plaisante humilité, on croit que c'est sa faute, et non pas celle de l'art3, qu'on se vante toujours d'avoir. Mais il est bon qu'il y ait tant de ces gens-là au monde, qui ne soient pas pyrrhoniens, pour la gloire du pyrrhonisme, afin de montrer que l'homme est bien capable des plus extravagantes opinions, puisqu'il est capable de croire qu'il n'est pas dans cette faiblesse naturelle et inévitable, et de croire qu'il est, au contraire, dans la sagesse naturelle.

Rien ne fortifie plus le pyrrhonisme que ce qu'il y en a' qui ne sont point pyrrhoniens: si tous l'étaient, ils auraient tort'.

1 « Ce qui m'étonne. » C'est bien là le philosophe; il s'étonne d'abord de ce qu'il découvre; puis il s'étonne encore plus que le vulgaire ne s'en étonne pas.

2 « Puisque la mode en est. Cf. vi, 40, et passim.

3 « Celle de l'art. » Queì art? Il faut l'entendre dans le sens le plus général : l'art de conduire ses pensées et ses actions, l'art de la vie, la sagesse.

4 « Du pyrrhonisme. »> On dit plutôt aujourd'hui scepticisme; mais Pascal, comme Montaigne, n'emploie jamais ce mot.

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Que ce qu'il y en ́. » Ce tour ne s'emploie plus; nous dirions: que ce fat, qu'il y en a.

6 Ils auraient tort. » Car alors, contrairement à leur thèse, l'esprit humain serait au moins capable d'une vérité, qui serait celle-là même, qu'il n'y a point

2.

Cette secte se fortifie par ses ennemis plus que par ses amis car la faiblesse de l'homme paraît bien davantage en ceux qui ne la connaissent pas qu'en ceux qui la connaissent.

Si on est trop jeune, on ne juge pas bien; trop vieil, de même; si on n'y songe pas assez... '; si on y songe trop, on s'entête, et on s'en coiffe. Si on considère son ouvrage incontinent après l'avoir fait, on en est encore tout prévenu; si trop longtemps après, on n'y entre plus. Aussi les tableaux, vus de trop loin et de trop près; et il n'y a qu'un point indivisible qui soit le véritable lieu : les autres sont trop près, trop loin, trop haut ou trop bas. La perspective l'assigne dans l'art de la peinture. Mais dans la vérité et dans la morale, qui l'assignera "?

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1 « Cette secte. » Le fragment précédent explique parfaitement celui-ci. . « Si on est trop jeune. » Cf. Montaigne, Apol., p. 324 : « S'il est > vieil, il ne peult iuger du sentiment de la vieillesse, estant luy mesme >> partie en ce debat; s'il est ieune, de mesme; sain, de mesme; de mesme >> malade, dormant et veillant: il nous fauldroit quelqu'un exempt de toutes > ces qualitez, afin que, sans preoccupation de iugement, il iugeast de ces > propositions comme à luy indifferentes; et à ce compte, il nous faul> droit un iuge qui ne feust pas. »

3 «Si on n'y songe pas assez. » Tous les éditeurs se contentent de mettre après ces mots une virgule; mais il n'est pas vrai qu'on s'entéte d'une chose et qu'on s'en coiffe en n'y songeant pas assez. Je crois donc que la pensée de Pascal est celle-ci : Si on n'y songe pas assez, on ne saisit pas, on ne pénètre pas la chose; si au contraire on y songe trop, on s'entête. Il ne s'est pas donné la peine, n'écrivant que pour lui, de finir la première partie de la phrase, parce qu'elle s'entend d'elle même.

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« La perspective I assigne. » Comme cette opposition, prise des objets sensibles, éclaire la pensée !

« Qui l'assignera?» Il y a dans cette interrogation une inquiétude et un défi. S'il avait dit: On ne peut l'assigner, cela serait froid.

« C'est cette partie. » On trouve ailleurs une pensée (111, 19) en marge

l'homme, cette maîtresse d'erreur et de fausseté, et d'autant plus fourbe qu'elle ne l'est pas toujours; car elle serait règle infaillible de vérité, si elle l'était infaillible de mensonge. Mais étant le plus souvent fausse, elle ne donne aucune marque de sa qualité, marquant de même caractère le vrai et le faux.

Je ne parle pas des fous, je parle des plus sages; et c'est parmi eux' que l'imagination a le grand don de persuader les hommes. La raison a beau crier 2, elle ne peut mettre le prix aux choses.

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Cette superbe puissance, ennemie de la raison, qui se plaît à la contrôler et à la dominer, pour montrer combien elle peut en toutes choses, a établi dans l'homme une seconde nature. Elle a ses heureux, ses malheureux, ses sains, ses malades, ses riches, ses pauvres'; elle fait croire, douter, nier la raison'; elle suspend les sens, elle les fait

de laquelle est écrit : « Il faut commencer par là le chapitre des Puis»sances trompeuses. » On ne peut douter que tout ce qui compose ce paragraphe 3 ne dût être compris dans ce chapitre. L'imagination est la pre mière de ces puissances trompeuses. Nicole a substitué partout l'opinion, ne voulant pas sans doute reconnaître qu'il y ait dans les facultés mêmes de notre esprit une cause d'erreur. Mais Nicole lui-même a écrit un traité du Prisme, ou que les différentes dispositions font juger différemment les objets.

1 « C'est parmi eux. » Pascal en est quelquefois lui-même une grande preuve.

2 << A beau crier. » Toujours cette même passion qui anime tout.

3 « Ne peut mettre le prix. » C'est-à-dire elle ne peut obtenir que co soit d'après elle qu'on estime ce que les choses valent.

4 a Pour montrer. » Cela se lie avec la fin de la phrase.

« Une seconde nature. » Cf. 11, 4.

« Ses sains, ses malades, ses riches, ses pauvres. » C'est ce que disaient les stoïciens; ils pensaient que le sage seul était sain, riche, heu reux, même quand il paraissait aux hommes malade, pauvre, misérable. Au contraire, ceux qui n'avaient pas la sagesse ne pouvaient avoir de santé, de richesse ou de bonheur qu'imaginaires.

2 « Elle fait croire, douter, nier la raison. » La raison est le sujet et Lon le régime de ces trois verbes. C'est "magination qui fait que la raison croit, doute ou nie.

sentir1; elle a ses fous et ses sages 2 : et rien ne nous dép davantage que de voir qu'elle remplit ses hôtes d'une saisfaction bien autrement pleine et entière que la raison. Les habiles par imagination se plaisent tout autrement à eux-mêmes que les prudents ne se peuvent raisonnablement plaire. Ils regardent les gens avec empire; ils disputent avec hardiesse et confiance; les autres, avec crainte et défiance et cette gaieté de visage leur donne souvent l'avantage dans l'opinion des écoutants, tant les sages imaginaires ont de faveur auprès des juges de même nature. Elle ne peut rendre sages les fous; mais elle les rend heureux, à l'envi de la raison, qui ne peut rendre ses amis que misérables, l'une les couvrant de gloire, l'autre de honte..

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Qui dispense la réputation? qui donne le respect et la vénération aux personnes, aux ouvrages, aux lois, aux grands, sinon cette faculté imaginante? Toutes les richesses de la terre sont insuffisantes sans son consentement. Ne diriez-vous pas que ce magistrat, dont la vieillesse

1. Elle les fait sentir. » C'est-à-dire elle fait qu'ils sentent. « Ses fous et ses sages. »

Ces gens étaient les fous, Démocrite le sage.

LA FONTAINE, Démocrite et les Abdéritains.

« Ne se peuvent. » Et non ne peuvent se. On parlait encore ainsi dans la première moitié du XVIe siècle. Nous retrouverons ce tour à chaque page.

4 « Des écoutants. » Ce mot, étant tout français, est plus familier et pour ainsi dire plus sensible que le mot latin auditeurs.

« Les sages imaginaires. » C'est-à-dire sages par l'imagination. — Des ages de même nature. Qui jugent par l'imagination.

« De honte. » Par le mépris que les vrais sages s'attirent de la foule. Montaigne, III, 8 (de l'Art de conferer), p. 444 : « Au demourant rien ne » me despite tant en la sottise que de quoy elle se plaist plus que auicune » raison ne se peult raisonnablement plaire. C'est malheur que la pru» dence vous deffend de vous satisfaire et fier de vous [fier est le verbe], » et vous renvoye tousiours mal content et craintif, là où l'opiniastreté et » la temerité remplissent leurs hostes d'esiouissance et d'asseurance. C'est

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