Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

vénérable impose le respect à tout un peuple, se gouverne par une raison pure et sublime, et qu'il juge des choses par leur nature, sans s'arrêter à ces vaines circonstances qui ne blessent que l'imagination des faibles? Voyez-le entrer 1 dans un sermon où il apporte un zèle tout dévot, renforçant la solidité de la raison par l'ardeur de la charité". Le voilà prêt à l'ouïr avec un respect exemplaire. Que le prédicateur vienne à paraître : si la nature lui a donné une voix enrouée et un tour de visage bizarre, que son barbier l'ait mal rasé, si le hasard l'a encore barbouillé de surcroît, quelques grandes vérités qu'il annonce, je parie la perte3 de la gravité de notre sénateur.

4

Le plus grand philosophe du monde, sur une planche

» aux plus malhabiles de regarder les aultres hommes par dessus l'espaule, » s'en retournants tousiours du combat pleins de gloire et d'alaigresse; » et le plus souvent encores, cette oultrecuidance de langage et gayeté de visage leur donne gaigné à l'endroict de l'assistance, qui est commu>> nement foible et incapable de bien iuger et dicerner les vrais advanta» ges. » — Et plus haut, p. 434, en partant de la fortune : « N'ayant peu » faire les malhabiles sages, elle les faict heureux, à l'envy de la vertu. » 1 « Voyez-le entrer. » Les éditeurs de P. R. ont craint que tout ce passage ne fût une occasion de scandale; ils ont substitué au sermon une audience, et au prédicateur un avocat; mais il n'y a rien de bien extraordinaire à rire à l'audience, et un juge ne se contient pas beaucoup pour cela. Voyez au contraire que de circonstances Pascal rassemble, qui font au magistrat un devoir et comme une nécessité d'être grave. C'est un sermon, il y apporte un zèle tout dévot, il a une raison solide, renforcée encore par une charité ardente. Il se dispose à écouter avec un respect exemplaire, et le prédicateur annonce (dans son exorde) les plus grandes vérités. S'il rit après tout cela, s'il rit pour une voix enrouée ou une barbe mal faite, quelle force est-ce donc que celle de l'imagination? Voyez-le entrer, Le voilà prêt, Que le prédicateur. Tours vifs et animés, C'est une scène.

2 « L'ardeur de la charité. » C'est-à-dire de l'amour de Dieu. Voir XVI, 13.

3 « Je parie la perte. » Expression leste et moqueuse. Notre sénateur. Cette qualification pompeuse est encore une ironie. P. R. la détruit en écrivant, de la gravité du magistrat.

[ocr errors]

« Le plus grand philosophe. Cf. Mont., Apol., p. 313: « Qu'on loge un philosophe dans une cage de menus filets de fer clair-semez, qui soit suspendue au hault des tours Nostre Dame de Paris; il verra.

plus large qu'il ne faut, s'il y a au-dessous un précipice, quoique sa raison le convainque de sa sûreté, son imagination prévaudra. Plusieurs n'en sauraient soutenir la pensée sans pâlir et suer.

Qui ne sait que la vue de chats, de rats, l'écrasement d'un charbon, etc., emportent la raison hors des gonds? Le ton de voix1 impose aux plus sages, et change un discours et un poëme de force.

L'affection ou la haine changent la justice de face; et combien un avocat bien payé 2 par avance trouve-t-il plus juste la cause qu'il plaide! combien son geste hardi le fait-il paraître meilleur aux juges, dupés par cette apparence! Plaisante raison qu'un vent manie3, et à tout sens!

» par raison evidente, qu'il est impossible qu'il en tumbe; et si [et » pourtant] ne se sçauroit garder (s'il n'a accoustumé le mestier des couvreurs) que la veue de cette haulteur extreme ne l'espövante et ne le transisse... Qu'on iecte une poultre entre ces deux tours, d'une gros» seur telle qu'il nous la fault à nous promener dessus, il n'y a sagesse philosophique de si grande fermeté qui puisse nous donner courage d'y » marcher comme si elle estoit à terre. »

[ocr errors]

n

1 « Le ton de voix. » Mont., Apol., p. 311 : « On m'a voulu faire ac>> croire qu'un homme... m'avoit imposé en me recitant des vers qu'il avoit faicts; qu'ils n'estoient pas tels sur le papier qu'en l'air, et que mes yeulx en feroient contraire iugement à mes aureilles tant la prononcia» tion a de crédit à donner prix et façon aux ouvrages qui passent à sa

» mercy. »

2 « Un avocat bien payé. Cf. Mont., Apol., p. 258: « Vous recitez » simplement une cause à l'advocat, il vous y respond chancellant et » doubteux vous sentez qu'il luy est indifferent de prendre à soutenir » l'un ou l'aultre party : l'avez-vous bien payée pour y mordre et pour s'en >> formaliser, commence il d'en estre intéressé, y a il eschauffé sa » volonté, sa raison et sa science s'y eschauffent quand et quand; voylà » une apparente et indubitable verité qui sa presente à son entendement; » il y descouvre une toute nouvelle lumiere, et le croit à bon escient, et >> se le persuade ainsi. » Mais ce trait qui peint Combien son geste hardi..., est de Pascal. - Le fait-il paraître. Il faudrait, la fait-il paraître meilleure.

3 « Qu'un vent manie. » Mont., Apol., p. 315: Vraiment il y a bien » de quoy faire une si grande feste de la fermeté de cette belle piece [le ju>>.gement] qui se laisse manier et changer au bransle et accidents d'un si » legier vent! »

Je ne veux pas rapporter tous ses effets 1; je rapporterais presque toutes les actions des hommes qui ne branlent presque que par ses secousses. Car la raison a été obligée de céder, et la plus sage prend pour ses principes ceux que l'imagination des hommes a témérairement 2 introduits en chaque lieu.

2

Nos magistrats ont bien connu ce mystère. Leurs robes rouges, leurs hermines, dont ils s'emmaillottent en chats fourrés, les palais où ils jugent, les fleurs de lis, tout cet appareil auguste était fort nécessaire; et si les médecins. n'avaient des soutanes et des mules, et que les docteurs n'eussent des bonnets carrés et des robes trop amples de quatre parties, jamais ils n'auraient dupé le monde qui ne peut résister à cette montre si authentique. Les seuls gens de guerre ne sont pas déguisés de la sorte, parce qu'en

1 Ses effets. » De l'imagination.

2

<< Témérairement. » Dans le sens du latin temere, au hasard.

6

3 « Chats fourrés. Pascal emploie là un mot de Rabelais, qui a peint le parlement sous le nom des Chatz fourrez.

« Des soutanes et des mules. » Soutane ne se dit plus aujourd'hui que de la robe des prêtres. Les mules étaient une chaussure; on dit encore: la mule du pape.

<< Les docteurs. » Il y avait des docteurs dans les quatre Facultés, de théologie, de droit, de médecine, et des arts. C'est à cette dernière classe qu'appartiennent les docteurs de la comédie, comme le docteur Pancrace dans Molière. Mais la raillerie de Pascal atteint jusqu'aux docteurs en théologie. On entendait alors le plus souvent par un docteur, un théologien; on entend aujourd'hui par le même terme, un médecin. (Les deux Facultés des sciences et des lettres ont remplacé celle des arts.) — De quatre parties. C'est-à-dire des quatre cinquièmes.

6

«< Dupé le monde. » Le mot est dur; mais Pascal n'avait pas sans doute beaucoup de foi dans la médecine; et quant aux magistrats et aux docteurs, il leur gardait rancune des condamnations prononcées contre les jansénistes. P. R. supprime tout ce passage, pour ne blesser ni les docteurs, ni les magistrats, ni les médecins.

7 Authentique. » C'est-à-dire qui témoigne, aussi bien que le ferait un acte authentique, de la capacité qui est dans ces personnages.

8

[ocr errors]

Les seuls gens de guerre. » Aujourd'hui les gens de guerre ont un costume, et les médecins n'en ont plus. L'explication de Pascal n'est donc pas bonne.

effet leur part est plus essentielle1: ils s'établissent par la force, les autres par grimace 2.

4

C'est ainsi que nos rois n'ont pas recherché ces déguisements. Ils ne se sont pas masqués d'habits extraordinaires pour paraître tels; mais ils se sont accompagnés de gardes, de hallebardes ces trognes armées qui n'ont de mains et de force que pour eux, les trompettes et les tambours qui marchent au-devant, et ces légions qui les environnent, font trembler les plus fermes. Ils n'ont pas l'habit seulement, ils ont la force.. Il faudrait avoir une raison bien épurée pour regarder comme un autre homme le Grand Seigneur environné, dans son superbe sérail, de quarante mille janissaires.

5

S'ils avaient la véritable justice, si les médecins avaient le vrai art de guérir, ils n'auraient que faire de bonnets carrés la majesté de ces sciences serait assez vénérable d'ellemême. Mais n'ayant que des sciences imaginaires, il faut qu'ils prennent ces vains instruments qui frappent l'imagination à laquelle ils ont affaire; et par là, en effet, ils s'attirent le respect.

Nous ne pouvons pas seulement voir un avocat en soutane et le bonnet en tête, sans une opinion avantageuse de sa suffisance".

1 << Est plus essentielle. » A plus de réalité.

[ocr errors]

« Par grimace. » Par représentation, par comédie.

Pour paraître tels. » Pour paraître rois.

4 « Ces trognes armées. » Trivialité de génie. On y sent à plein le méris qu'inspire la force brutale à une intelligence supérieure enfermée dans in corps frêle. Ces satellites ne sont pas des hommes, ce sont des trognes qui ont des mains. Ce mot exprime une grosse face rébarbative. Mais un roi n'a pas toujours des gardes autour de lui. Pascal répond à cela, v, 7. 5 « Le Grand Seigneur. >> Pascal le choisit parmi les souverains comme pouvant faire couper des têtes à sa volonté. On sait que les janissaires n'existent plus, et que le Grand Seigneur n'est plus si terrible.

6 «S'ils avaient, » Nos magistrats. On revient à eux après une longue parenthese.

7 « De sa suffisance. Ce mot ne se dit plus en ce sens.

L'imagination dispose de tout; elle fait la beauté, la justice, et le bonheur, qui est le tout du monde. Je voudrais de bon cœur voir le livre italien, dont je ne connais que le titre, qui vaut lui seul bien des livres : Della opinione 1 regina del mondo. J'y souscris sans le connaître, sauf le mal, s'il y en a.

1

Voilà à peu près les effets de cette faculté trompeuse qui semble nous être donnée exprès pour nous induire à une erreur nécessaire. Nous en avons bien d'autres principes .

Les impressions anciennes ne sont pas seules capables de nous abuser les charmes de la nouveauté ont le même pouvoir. De là viennent toutes les disputes des hommes, qui se reprochent ou de suivre leurs fausses impressions de l'enfance, ou de courir témérairement après les nouvelles. Qui tient le juste milieu? Qu'il paraisse, et qu'il le prouve. Il n'y a principe, quelque naturel qu'il puisse être, même depuis l'enfance, qu'on ne fasse passer pour une fausse impression, soit de l'instruction, soit des sens. Parce, dit-on, que vous avez cru dès l'enfance qu'un coffre était vide lorsque vous n'y voyiez rien, vous avez cru le vide possible; c'est une illusion de vos sens, fortifiée par la coutume, qu'il faut que la science corrige. Et les autres disent Parce qu'on vous a dit dans l'école qu'il n'y a point de vide, on a corrompu votre sens commun, qui le comprenait si nettement avant cette mauvaise impression, qu'il faut corriger

↑ « Della opinione. » Mont., I, 22, p. 167, parlant de la coutume: « E+ » avecques raison l'appelle Pindarus, à ce qu'on m'a dict, la royne »emperiere du monde. » Dans Hérodote, III, 38

:

[ocr errors]

« Nous en avons bien d'autres principes. » D'erreur.

« Qu'il paraisse. >> C'est le même ton de défi que nous avons remarqué plus haut.

« Même depuis l'enfance. » Même étant en nous depuis l'enfance.

« Qu'un coffre était vide. » Voir dans les Opuscules le morceau qui commence par ces mots : Le respect de l'antiquité, et qui faisait partie d'un traité du vide,

« ZurückWeiter »