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nombre des étoiles', en disant: Il n'y en a que mille vingt

deux 2. nous le savons.

37.

L'homme est ainsi fait, qu'à force de lui dire qu'il est un sot, il le croit; et, à force de se le dire à soi-même, on se le fait croire. Car l'homme fait lui seul une conversation intérieure, qu'il importe de bien régler: Corrumpunt mores bonos colloquia prava. Il faut se tenir en silence autant qu'on peut, et ne s'entretenir que de Dieu qu'on sait être la vérité; et ainsi on se le persuade à soi-même.

38.

Quelle différence entre un soldat et un chartreux, quant à l'obéissance? Car ils sont également obéissants et dépendants, et dans des exercices également pénibles. Mais le soldat espère toujours devenir maître, et ne le devient jamais (cer les capitaines et princes même sont toujours es

1 « Des étoiles. » Jérém., XXXIII, 22: « Ainsi qu'on ne saurait compter » les étoiles du ciel, ni les sables du rivage, ainsi je multiplierai la race » de David mon serviteur. Cf. Gen., xv, 5; XXII, 47, etc.

2 << Mille vingt-deux. » C'est le nombre des étoiles comprises dans le catalogue de Ptolémée, d'après les observations d'Hipparque. Mais on lit dans le Cosmos, t. I, page 169 de la traduction de M. H. Faye : « On porte » par estime à 18 millions le nombre des étoiles que le télescope permet » de distinguer dans la voie lactée. Pour se faire une idée de la grandeur » de ce nombre, ou plutôt pour s'aider d'un terme de comparaison, il suffit » de se rappeler que nous ne voyons pas à l'œil nu, sur toute la surface du » ciel, plus de 8000 étoiles; tel est en effet le nombre des étoiles com» prises entre la première et la sixième grandeur. »

3 «On se le fait croire. » Et c'est où Pascal veut qu'on arrive, à mépriser la sagesse naturelle et la raison.

4

Colloquia prava. » « Les mauvaises conversations corrompent les » bonnes mœurs. » I Cor, xv, 33. Colloquia mala, dans le texte.

5 « Qu'on sait être la vérité. » C'est-à-dire, on sait que la vérité est qu'il y a un Dieu. P. R. supprême à tort ces mots essentiels; Pascal n'a pa exiger qu'on s'efforcât de se persuader à soi-même ce qu'on ne saurait pas être la vérité. Cf. x, 4.

6 « Quelle différence. » C'est une interrogation, et non une exclama❤ tion Quelle différence y a-t-il?

claves et dépendants); mais il l'espère toujours, et travaille toujours à y venir; au lieu que le chartreux fait vœu de n'être jamais que dépendant. Ainsi ils ne diffèrent pas dans la servitude perpétuelle, que tous deux ont toujours, mais dans l'espérance, que l'un a toujours, et l'autre jamais.

89.

La volonté propre1 ne se satisfera jamais, quand elle aurait pouvoir de tout ce qu'elle veut; mais on est satisfait dès l'instant qu'on y renonce. Sans elle, on ne peut être malcontent; par elle, on ne peut être content.

...

La vraie et unique vertu est donc de se haïr2, car on est haïssable par sa concupiscence, et de chercher un être véritablement aimable, pour l'aimer. Mais, comme nous ne pouvons aimer ce qui est hors de nous, il faut aimer un être qui soit en nous, et qui ne soit pas nous, et cela est vrai d'un chacun de tous les hommes. Or, il n'y a que l'Être universel qui soit tel. Le royaume de Dieu est en nous; le bien universel est en nous-mêmes", et ce n'est pas nous.

Il est injuste qu'on s'attache à moi, quoiqu'on le fasse

1 « La volonté propre.» La volonté propre est appelée ainsi par oppo❤ sition à celle qui s'abandonne à Dieu.

2 « De se hair. » Cf. 54, et ailleurs. C'est ici que Pascal a donné à sa pensée la forme la plus répugnante à la nature; mais voir le paragraphe 5o, 3 «< Hors de nous. » Il semble que Pascal devait expliquer cela davantage.

4 « Est en nous-mêmes. » Luc, XVII, 20: « Les Pharisiens lui deman› dant quand viendrait le royaume de Dieu, il répondit : Le royaume de » Dieu ne vient pas d'une manière qui se fasse remarquer. Et on ne dira » point, Il est ici, ou, Il est là; dès à présent le royaume de Dieu est > parmi vous. »

$ « Et ce n'est pas nous. » Cf. 1, 9, second fragment.

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frère.

« Il est injuste.» Madame Perier a cité ce fragment dans la Vie de son

avec plaisir et volontairement. Je tromperais ceux à qui j'en ferais naître le désir; car je ne suis la fin de personne, et n'ai pas de quoi les satisfaire. Ne suis-je pas prêt à mourir? Et ainsi l'objet de leur attachement mourra'. Donc comm je serais coupable de faire croire une fausseté, quoique je la persuadasse doucement, et qu'on la crût avec plaisir, et qu'en cela on me fit plaisir de même, je suis coupable de me faire aimer 2, et si j'attire les gens à s'attacher à moi. Je dois avertir ceux qui seraient prêts à consentir au mensonge, qu'ils ne le doivent pas croire, quelque avantage qui m'en revint; et de même, qu'ils ne doivent pas s'attacher à moi; car il faut qu'ils passent leur vie et leurs soins à plaire à Dieu, ou à le chercher 3.

40.

C'est être superstitieux, de mettre son espérance dans

1 « Mourra. » Les éditeurs de P. R. ont effacé partout le je dans ce morceau: Il est injuste qu'on s'attache à nous, etc. Cf. vi, 20. Ils mettent ici: «Ne sommes-nous pas prêts à mourir ? et ainsi l'objet de leur >> attachement mourrait. » Quelle froideur dans cette observation collective! Il mourrait, c'est l'objection de gens qui raisonnent. Il mourra donc, c'est la sentence de condamnation que Pascal prononce contre lui-même, nous entendons le cri de cette âme, qui contemple toute sa misère, mais qui au lieu de s'attacher dans cette détresse à l'amour des siens, le repousse par pitié et par respect pour eux, parce qu'elle sait que c'est une chose horrible de sentir s'écouler tout ce qu'on possède (16), et qu'elle voit bien qu'elle va s'écouler. Combien cette tristesse est haute et généreuse! La raison n'est pas là sans doute, ni la vraie vertu. Quand Pascal s'efforçait de rebuter jusqu'à la tendresse de sa sœur (c'est cette sœur qui en témoigne), cela même, c'était passion et faiblesse; mais quelle faiblesse est la plus intéressante, de celle du voluptueux qui murmure,

Aimons donc, aimons donc; de l'heure fugitive,
Hâtons-nous, jouissons!

ou de celle d'un cœur tellement épris de l'idéal, qu'il ne veut voir que néant dans tout le reste, et se sacrifiant lui-même, s'ensevelit de ses propres mains! Cf. 56.

<< De me faire aimer. » Il suffit de souligner de pares traits, sans réflexion. Mais quelle subtilité d'esprit se mêle à cette fièvre de l'âme! 3 << Ou à le chercher. » On plaît à Dieu dans l'état de grâce; on le cherche seulement quand on est encore dans le péché. Cf. 50.

les formalités; mais c'est être superbe, de ne vouloir s'y soumettre.

41.

Toutes les religions et les sectes du monde ont eu la raison naturelle pour guide. Les seuls chrétiens ont été astreints à prendre leurs règles hors d'eux-mêmes, et à s'informer de celles que JÉSUS-CHRIST a laissées aux anciens pour être transmises aux fidèles. Cette contrainte lasse ces bons pères1. Ils veulent avoir, comme les autres peuples, la liberté de suivre leurs imaginations. C'est en vain que nous leur crions, comme les prophètes disaient autrefois aux Juifs: Allez au milieu de l'Église; informez-vous des lois que les anciens lui ont laissées, et suivez ces sentiers. Ils ont répondu comme les Juifs : Nous n'y marcherons pas : mais nous suivrons les pensées de notre cœur2; et ils ont dit: Nous serons comme les autres peuples.

1

42.

Il y a trois moyens de croire: la raison, la coutume,

« Ces bons pères. » P. R. met discrètement : « Il y a des gens que >> cette contrainte lasse.» Pascal attaque ici encore la probabilité des Jé❤ suites, et la morale des casuistes qu'il oppose à celle des Pères de l'Eglise, comme il fait dans les Provinciales continuellement. En effet ce fragment commençait d'abord par les lignes suivantes, que Pascal a ensuite barrées « State super vias..., et interrogate de semitis antiquis... et ambu» late in eis... Et dixerunt: Non ambulabimus, sed post cogitationem nos» tram ibimus [Jérém., vi, 16. Mais les cinq derniers mots ne sont pas » dans la Vulgate. ] Ils ont dit aux peuples Venez avec nous, suivons » les opinions des nouveaux auteurs. La raison sera notre guide; nous >> serons comme les autres peuples qui suivent chacun sa lumière na»turelle. Les philosophes ont.... »

2 ◄ De notre creur. » Pascal interprète le texte de Jérémie (voir plus haut). Voici la traduction exacte de ce texte : « Voici ce que dit le Sei>> gneur : Tenez-vous sur la voie; considérez et demandez quels sont les > sentiers anciens, où est la bonne voie, et marchez-y, et vous trouverez » le rafraichissement de vos âmes. Et ils ont dit: Nous n'y marcherons » pas. » << Les autres peuples. » Et erimus nos quoque sicut omnes gentes. I Rois, VIII, 20. C'est ce que disent les Juifs quand ils persistent à vouloir un roi, malgré les avertissements de Samuel.

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l'inspiration'. La religion chrétienne, qui seule a la raison, n'admet pas pour ses vrais enfants ceux qui croient san inspiration ce n'est pas qu'elle exclue la raison et la cou tume; au contraire, mais il faut ouvrir son esprit aux preu◄ ves2, s'y confirmer par la coutume'; mais s'offrir par les humiliations aux inspirations, qui seules peuvent faire le vrai et salutaire effet: Ne evacuetur crux Christi,

43.

Jamais on ne fait le mal si pleinement et si gaiement que quand on le fait par conscience".

44.

Les Juifs, qui ont été appelés à dompter les nations et les rois, ont été esclaves du péché; et les chrétiens, dont la vocation a été à servir et à être sujets', sont les enfants libres.

45.

[Est-ce courage à un homme mourant d'aller, dans la faiblesse et dans l'agonie, affronter un Dieu tout-puissant et éternel?']

1 « L'inspiration. » Pascal avait mis d'abord la révélation,

« Aux preuves. » Voilà pour la raison.

3 << Par la coutume. Cf. x, 4.

A « Et salutaire effet.» Cf. encore x, 4, et XXIV, 5 et 52.

18 « Crux Christi. » I Cor., 1, 47: « Le Christ m'a envoyé pour prêcher » l'Evangile, mais non par la sagesse de la parole, pour ne pas rendre » vaine la croix de Jésus-Christ » (il y a ut non evacuetur, dans le texte). в << Par conscience. » P. R., par un faux principe de conscience. Cela s'adresse encore aux casuistes.

7 « Et à être sujets. » Du moins dans les premiers siècles du christianisme. Sur cette servitude des infidèles et cette liberté des croyants, cf. Rom., v1, 20; VIII, 14, 15, etc.

8

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Est-ce courage.» Nous enfermons cette pensée entre deux crochets, parce que Pascal l'avait barrée.

« Et éternel. » Les mots sont opposés deux à deux; d'un côté faiblesse, de l'autre toute-puissance; d'un côté agonie et mort, de l'autre éternité.

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