Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

83.

... Les malheureux', qui m'ont obligé de parler du fond de la religion!... Des pécheurs purifiés sans pénitence, des justes justifiés sans charité, tous les chrétiens sans la grâce de JÉSUS-CHRIST, Dieu sans pouvoir sur la volonté des hommes, une prédestination sans mystère, une Rédemption sans certitude!

84.

Unité2, multitude. En considérant l'Église comme unité, le pape qui en est le chef, est comme tout. En la considérant comme multitude, le pape n'en est qu'une partie. Les Pères l'ont considérée, tantôt en une manière, tantôt en l'autre. Et ainsi ont parlé diversement du pape. Saint Cyprien Sacerdos Dei'. Mais en établissant une de ces deux vérités, ils n'ont pas exclu l'autre. La multitude qui ne se réduit pas à l'unité est confusion; l'unité qui ne dépend pas de la multitude est tyrannie. Il n'y a presque plus que la France où il soit permis de dire que le concile est au-dessus du pape.

:

85.

Dieu ne fait point de miracles dans la conduite ordinaire

1 « Les malheureux. » C'est encore ici comme un fragment des Provinciales; ces malheureux sont les Jésuites. Il entend qu'il a été conduit par leurs attaques à montrer qu'ils ont corrompu la religion dans son fond même. Il va dire comment. Voir, à la suite de la Vie de Pascal, la note sur les doctrines du jansénisme. On lit encore à un autre endroit du manuscrit : « Ces malheureux, qui nous ont obligé de parler des mi> racles ! »

• « Unité. En titre: Eglise, Pape. Cf. 77.

<< Sacerdos Dei. » Le prêtre de Dieu (par excellence). Saint Cyprien appelle ainsi le pape, dont il soutient fortement la prééminence dans son livre sur l'Unité de l'Église. Mais le même saint Cyprien combattit énergiquement le pape saint Etienne sur un point de doctrine, et refusa de céder à son autorité. Il aurait cédé, dit saint Augustin, si la vérité avait été manifestée pa. un concile universel. Voir sur ce dissentiment entre saiat Cyprien et le pape la Défense de l'Eglise gallioane de Bossuet, dissertation préliminaire, 67 sqq. et livre IX, chap. 3.

de son Église. C'en serait un étrange, si l'infaillibilité était dans u; mais d'être dans la multitude, cela paraît si naturei, que la conduite de Dieu est cachée sous la nature, comme en tous ses autres ouvrages.

86.

Sur ce que la religion chrétienne n'est pas unique. — Tant s'en faut que ce soit une raison qui fasse croire qu'elle n'est pas la véritable, qu'au contraire, c'est ce qui fait voir qu'elle l'est1.

87.

2

L'éloquence est un art de dire les choses de telle façon, 1° que ceux à qui l'on parle puissent les entendre sans peine, et avec plaisir; 2° qu'ils s'y sentent intéressés, en sorte que l'amour-propre les porte plus volontiers à y faire réflexion. Elle consiste donc dans une correspondance qu'on tâche d'établir entre l'esprit et le cœur de ceux à qui l'on parle d'un côté, et de l'autre les pensées et les expressions dont on se sert; ce qui suppose qu'on aura bien étudié le cœur de l'homme pour en savoir tous les ressorts, et pour trouver ensuite les justes proportions du discours qu'on veut v assortir3. Il faut se mettre à la place de ceux qui doivent

1 « Qu'elle l'est. Parce qu'elle-même enseigne qu'il y aura toujours des croyances contraires : oportet et hæreses esse (1 Cor., XI, 19). Mais Pascal s'est mal exprimé. Il veut dire seulement que, sans cela, la religion ne serait pas vraie; et non que cela suffise pour qu'elle le soit.

2 « Les cntendre. Dans le sens de les comprendre. Il faut d'abord que l'on nous comprenne, sans peine, et avec plaisir; ce qui suppose des idées justes et claires et des raisonnements bien faits. Tò yap pavðávelv fadiwg rồù qúou nãoiv touɩ, disait Aristote (Rhét., III, 40). Voilà pour l'esprit, ce qui suit est pour le cœur.

3 << Y assortir. Cette rhétorique philosophique est la même dont Platon a le premier exposé les principes dans le Phèdre : « Puisque l'œuvre ▾ de l'éloquence est une espèce d'évocation des âmes (fʊyarwɣta), celui qui » veut être orateur doit nécessairement connaître à fond l'âme humaine, » etc. (page 274).

nous entendre', et faire essai sur son propre cœur du tour qu'on donne à son discours, pour voir si l'un est fait pour l'autre, et si l'on peut s'assurer que l'auditeur sera comine forcé de se rendre. Il faut se renfermer, le plus qu'il est possible, dans le simple naturel; ne pas faire grand ce qui est petit, ni petit ce qui est grand'. Ce n'est pas assez qu'une chose soit belle, il faut qu'elle soit propre au sujet, qu il n'y ait rien de trop ni rien de manque.

L'éloquence est une peinture de la pensée; et ainsi, ceux qui, après avoir peint, ajoutent encore, font un tableau, au lieu d'un portrait'.

88.

S'il ne fallait rien faire que pour le certain, on he devrait rien faire pour la religion; car elle n'est pas certaine. Mais combien de choses fait-on pour l'incertain, les voyages

↑ « Nous entendre. » C'est aussi le précepte de Cicérón: de Oratóre, II, 24.

2

« Ce qui est grand. » « L'art se décrédite lui-même; il se trahit en » se montrant. Isocrate, dit Longin, est tombé dáns une faute de petit » écolier... Et voici par où il débute [dans le Panégyrique]: Puisque le ▾ Discours a naturellement la vertu de rendre les choses grandes petites, » et les petites grandes; qu'il sait donner lés grácés de la nouveauté aux ➤ choses les plus vieilles, et qu'il fait paraître vieilles celles qui sont nou» vellement faites... En faisant de cette sorte l'éloge du Discours, il fait » proprement un exorde pour avertir ses auditeurs de ne rien croire de ce » qu'il va diré. » FÉNELON; Lettre sur les occupations de l'Académie française, § IV.

»ete.

« D'un portrait. Voir Méré, Discours de la Conversation, p 59. « On compare souvent l'éloquence à la peinture; et je crois que la plupart » des choses qui se disent dans le monde sont comme autant de petits por » traits, qu'on regarde à part et sans rapport, et qui n'ont rien à se demander. On n'a pas le temps de faire de ces grands tableaux, Cette pensée n'est pas du tout la même que celle de Pascal, qui est que l'éloquence doit être le portrait exact de la pensée, et no za tableau d'imagination. Mais Pascal a peut-être pris à Méré l'idée de cette comparaison entre l'éloquence et la peinture, et ces expressions de tableau et de portrait.

4 S'il ne fallait. Cf. v, 9, page 75.

sur mer,

les batailles! Je dis donc qu'il ne faudrait rien faire du tout, car rien n'est certain; et qu'il y a plus de certitude1 à la religion, que non pas que nous voyions le jour de demain: car il n'est pas certain que nous voyions demain, mais il est certainement possible que nous ne le voyions pas. On n'en peut pas dire autant de la religion. Il n'est pas certain qu'elle soit; mais qui osera dire qu'il est certainement possible qu'elle ne soit pas1? Or, quand on travaille pour demain, et pour l'incertain, on agit avec raison. Car on doit travailler pour l'incertain, par la règle des partis' qui est démontrée.

< Plus de certitude. » La certitude n'a pas de plus et de moins. « Qu'elle ne soit pas. » Il y a ici une confusion manifeste. Pascal transporte la considération du possible dans un ordre de choses qui ne la comporte pas. Pour les faits, pour les choses accidentelles, ou, comme on dit en philosophie, contingentes, il y a être, il y a n'être pas, il y a, avant Tévénement, être possible. Mais pour les principes absolus et indépendants de tout événement, ils sont simplement vrais ou faux; là la consi dération du possible n'a plus lieu. Pour être certain qu'un fait quelconque peut n'être pas, il n'y a pas besoin d'être certain que ce fait n'est pas en effet; car telle chose est, qui pourrait ne pas être. Mais pour être certain que Dieu peut ne pas être, il faudrait être certain qu'il n'est pas; car s'il est, il ne pouvait pas ne pas être. Etre incertain s'il est, ou êtrẻ incertain s'il peut être, c'est la même chose, c'est un seul et même doute, et non deux degrés de doute différents. L'argument de Pascal mènerait jusqu'à l'absurde. Supposons qu'on présente à un homme cette proposi tion Les trois angles d'un triangle sont égaux à deux droits et demi; et que cet homme ne sache pas assez de géométrie pour affirmer que cette proposition n'est pas vraie; dès lors, et par cela seul, il est également incapable d'affirmer qu'elle peut n'être pas vraie. Lui dira-t-on : Voici une proposition douteuse pour vous, inais qui pourtant doit vous paraitre plus sûre qu'il n'est sûr que vous viviez demain; car vous êtes certain que vous pouvez ne pas vivre demain, et vous n'êtes pas certain que cette pro position puisse n'être pas vraie?

« Des partis. » Voir le second fragment du paragraphë v, 9, et x, 1,

page 177

[ocr errors]

« Demontrée. » Si elle est démontrée, il ne faut donc pas dire que rien n'est certain. Cela même, qu'on doit agir pour l'incertain, il faut qua ce soit une certitude. Et si la règle des partis était incertaine, Pascal ne nourrait nous proposer d'agir d'après la règle des partis.

89.

La nature de l'homme n'est pas d'aller toujours, elle a ses allées et venues. La fièvre a ses frissons et ses ardeurs, et le froid montre aussi bien la grandeur de l'ardeur de la fièvre que le chaud même. Les inventions des hommes de siècle en siècle vont de même. La bonté et la malice du monde en général en est de même : Plerumque grate principibus vices2.

90.

Il faut avoir' une pensée de derrière*, et juger de tout par là, en parlant cependant comme le peuple.

91.

La force est la reine du monde, et non pas l'opinion; mais l'opinion est celle qui use de la force.

92.

[Le hasard' donne les pensées, le hasard les ôte; point d'art pour conserver ni pour acquérir.]

[ocr errors]

1 << En est de même. » C'est-à-dire, il en est de même de la bonté et de la malice du monde. Il n'y a que trop de vérité dans cette pensée de Pascal; elle n'est pas cependant, nous l'espérons, toute la vérité. Si la nature de l'homme n'est pas d'aller toujours; si, à mesure qu'il avance, il recule enerite, du moins il ne recule pas toujours autant qu'il avance. La cause de la raison et de la justice avait bien gagné déjà dans le monde au temps de Pascal, elle a gagné depuis davantage. Que ceux qui emploient ieurs forces à servir cette cause ne se flattent donc pas, mais qu'ils ne déscspèrent pas non plus.

2

[ocr errors]

Principibus vices.» HORACE, Od., III, xxix, 13 : « Les grands se » plaisent à essayer tour à tour des contraires. » Le texte dit, les riches, divitibus. C'est la seconde citation d'Horace que nous trouvons dans Pascal.

3 « Il faut avoir » En titre, Raison des effets (voir l'article v).

4 « De derrière. » Cf. v, 2. On lit encore, à un autre endroit du manuscrit : « J'aurai aussi mes pensées de derrière la tête. »

[ocr errors]

« Le peuple. Sur ce que Pascal entend par le peuple, voir les notes 2.

• « La force.» Pascal contredit ici ou du moins modifie ce qu'il avait

dit ailleurs (v, 5).

[ocr errors][merged small]
« ZurückWeiter »