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Instinct et raison1, marques de deux natures.

16.

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Quand je considère la petite durée de ma vie, absorbée dans l'éternité précédant et suivant'; le petit espace que je remplis, et même que je vois‘, abîmé dans l'infinie im mensité des espaces que j'ignore et qui m'ignorent ; je m'effraie, et m'étonne de me voir ici plutôt que là; car il n'y a point de raison pourquoi ici plutôt que là, pourquoi à présent plutôt que lors. Qui m'y a mis? par l'ordre et la conduite de qui ce lieu et ce temps a-t-il été destiné à moi? Memoria hospitis unius diei prætereuntis”.

17.

Combien de royaumes nous ignorent!

pose le même principe. Ensuite il soutient que les animaux, quoiqu'ils aient une faculté de réminiscence, n'ont pas véritablement la mémoire; parce qu'en se rappelant le passé, ils ne se le rappellent pas comme passé, et ne font pas entrer dans leur souvenir l'idée du temps. Il en conclut que les animaux n'ont point la puissance de réfléchir, l'entendement, la pensée. Je serais porté à croire que, quand Pascal écrivait cette phrase, c'était aussi pour arriver à cette conclusion.

<< Instinct et raison.» La raison témoigne d'une nature divine; l'ınstinct, d'une nature dégradée jusqu'à l'animalité.

« Quand je considèrê. » On a déjà vu la même pensée hón moins éloquemment rendue (1x, pages 160–161).

• « Précédant et suivant. » Qui précédé et qui suit, qui est avant et après. Cf. IX, page 164, note 4.

« Q¶ je vois. » C'est-à-dire, combien est petit l'espace que je remplis, et même l'espace que je vois.

« Abimě. » Ce petit espace est abime dans l'immensité, comme cetv petite durée est absorbée dans l'éternité. La phrase est parfaitement symé trique. De même plus bas : Pourquoi ici plutôt que là, pourquoi à présent plutôt que lors.

« Et qui m'ignorent. » Voir au paragraphe 17.

จ « Prætereuntis. » Sagesse, v, 15: « L'espoir de l'impie est comme le > duvet qui vole au vent, comme l'écume..., comme la fumée..., comme » le souvenir d'un hôte d'un jɔur qui ne fait que passer. »

• « Combien de royaumes.» Voir le paragraphe précédent. Cette pensée

Le silence éternel de ces espaces infinis m'effraye.

18.

Je porte envie1 à ceux que je vois dans la foi vivre avec tant de négligence, et qui usent si mal d'un don duquel il me semble que je ferais un usage si différent.

19.

Chacun est un tout à soi-même, car lui mort, le tout est mort pour soi. Et de là vient que chacun croit être tout à tous. Il ne faut pas juger de la nature selon nous, mais selon elle".

20.

Le monde ordinaire a le pouvoir de ne pas songer à ce qu'il ne veut pas songer'. Ne pensez pas aux passages du Messie', disait le Juif à son fils. Ainsi font les nôtres' sou

est développée magnifiquement dans le Songe de Scipion, mais Cicéron voulait seulement exprimer le peu qu'est la gloire humaine. L'idée de Pascal ne va-t-elle pas plus loin?

1 « Le silence éternel. » Ainsi ailleurs, en regardant tout l'univers muet (XI, 8); et encore (XIV, 1, deuxième fragment): La nature ne m'offre rien qui ne soit matière de doute et d'inquiétude. Mais ces paroles sont peu de chose auprès de ce grand cri, que Port Royal avait étouffé.

2 « Je porte envie. Il parle au nom de celui qui ne croit pas encore; il se suppose dans cette situation d'esprit.

3 « Tout à tous. » Non pas dans le sens où Paul disait qu'il s'était fait tout à tous pour sauver tous (1, Cor., 1x, 22). Saint Paul tâchait de satisfaire à toutes les exigences des autres; l'homme de Pascal prétend avoir sur les autres tous les droits.

▲ « Mais selon elle. » Cette phrase serait une épigraphe excellente pour un livre de philosophie.

« Veut pas songer. » C'est comme s'il eût dit, le monde ordinaire n'est pas philosophe. On n'est ni philosophe ni critique quand on peut s'empêcher de songer; et il y a des hommes distingués, et même de grands hommes, qui sont dans ce cas.

<< Du Messie. » C'est-à-dire aux passages de l'Ecriture qui prouvent que le Messie est venu.

« Les nôtres. Les catholiques. Ils disent: Ne pensez pas aux difficultés de l'Écriture, aux objections qu'on peut faire sur les dogmes, les mystères, etc.

vent. Ainsi se conservent les fausses religions; et la vraie même1, à l'égard de beaucoup de gens. Mais il y en a qui n'ont pas le pouvoir de s'empêcher ainsi de songer, et qui songent d'autant plus qu'on leur défend. Ceux-là se défont des fausses religions; et de la vraie même, s'ils ne trouvent des discours solides.

21.

Qu'il y a loin' de la connaissance de Dieu à l'aimer!

...

22.

Quand la force' attaque la grimace, quand un simple seldat prend le bonnet carré d'un premier président, et le fait voler par la fenêtre‘.

23.

Es-tu moins esclave', pour être aimé et flatté de ton maître? Tu as bien du bien, esclave: ton maître te flatte. Il te battra tantôt.

24.

Ce n'est pas dans Montaigne, mais dans moi, que je trouve tout ce que j'y vois.

1 << Et la vraie même. » Cf. x, 4, p. 194, note 4.

2 « Qu'il y a loin. » Cf. XXII, page 349.

3 « Quand la force. » Cf. 11, 3, page 39. Pascal avait signalé l'illusion qui nous fait respecter un bonnet carré comme représentant à l'imagination quelque chose de respectable. Il montre ici la force, chose plus réelle, dissipant cette illusion.

4 «Par la fenêtre. » Cela s'était vu au temps des Seize.

5 Es-tu moins esclave?» A qui s'adresse cette apostrophe originale? quel est cet esclave? J'imagine que c'est le mondain, esclave des sens, et qui dit qu'il ne s'aperçoit pas de sa servitude, qu'il se trouve bien de son état, que la vie lui est douce; Pascal répond: Ton maître te flatte (ce maître, c'est la créature, c'est l'objet sensible), il te battra tantôt. Pour avoir été l'esclave volontaire et satisfait du plaisir, tu seras l'esclave contraint et désespéré de la douleur. Car on n'a pas de force pour supporter si on n'en a pas eu pour s'abstenir. Au contraire la souffrance est sans pouvoir sur celui sur qui la volupté n'a pu rien; celui-là est un homme libre.

25.

Deviner1. La part que je prends à votre déplaisir. M. se Cardinal' ne voulait point être deviné.

J'ai l'esprit plein d'inquiétude. » Je suis plein d'inquiétude, vaut mieux.

1

« Eteindre le flambeau de la sédition,» trop luxuriant. « L'inquiétude de son génie; » trop, de deux mots hardis'.

Deviner. Ce fragment a été expliqué par M. Fr. Collet dans l'écrit intitulé: Fait inédit de la vie de Pascal, par le rapprochement d'un passage du chevalier de Méré (Discours de la Conversation, p. 72): « Les > choses qui n'ont rien de remarquable ne laissent pas de plaire quand » elles sont du monde... Il ne faut pourtant pas qu'elles soient si com» munes que celle-ci, que tout le monde sait par cœur, la part que je prends » à votre déplaisir. J'ai vu parier, en ouvrant une lettre de consolation » que cela s'y trouverait; et une dame fort triste qui l'avait reçue në put s'empêcher d'en rire. » Pascal veut donc dire qu'il ne faut pas écrire de ces banalités qu'on peut devinér.

2 « M. le Cardinal. » Mazarin, qui avait beaucoup d'esprit, et qui causait très-bien.

« J'ai l'esprit. Ce fragment et le suivant paraissent être des notes prises sur quelques phrases d'un écrit que Pascal lisait. Je ne sais quel pouvait être cet écrit.

4 « Eteindre le flambeau. » Luxuriant est une expression latine qui se dit proprement d'un luxe de végétation, et par suite de toute espèce de surabondance. La vraie élégance, même en littérature, n'est pas si éloignée de cette élégance des mathématiciens, qui consiste à exposer la vérité de la façon la plus simple et la plus nette.

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5 « Mots hardis. » Excellente leçon de style. Le mot d'inquiétude est en effet d'une grande force, d'après l'étymologie; il signifie proprement l'impossibilité de demeurer en repos. C'est le sens qu'il a dans les vers de Racan.

Vallons, fleuves, rochers, aimable solitude,
Si vous fûtes témoins de mon inquiétude,
Soyez-le désormais de mon contentement.

De mon inquiétude, c'est-à-dire de l'agitation perpetuelle de ma vie. C'est celui du mot inquiet dans ce passage de Bossuet (Or. fun. de la Reins d'Angl.): « Ils ont dans le fond du cœur je ne sais quoi d'inquiet, q s'échappe si on leur ote ce frein nécessaire. » Et dans les vers de La Fontaine (Fables, IX, 2):

Faut-il que tant d'objets si doux et si charmants
Me laissent vivre au gré de mon âme inquiète!

Quant au mot génie, le génie d'un homme n'est pas seulement son naturel,

26.

Rien n'est si insupportable1 à l'homme que d'être dans un plein repos, sans passion, sans affaire, sans divertissement2, sans application. Il sent alors son néant, son abandon, son insuffisance, sa dépendance, son impuissance, son vide. Incontinent il sortira3 du fond de son âme l'enla noirceur, la tristesse, le chagrin, le dépit, le dés espoir".

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Quand un soldat se plaint de la peine qu'il a, ou un aboureur, etc., qu'on les mette sans rien faire".

son caractère, c'est comme une puissance mystérieuse qui réside en lui, et qui le fait ce qu'il est. Néron confie à Narcisse (Britannicus, II, 2) qu'il est las de subir l'ascendant d'Agrippine, et qu'il fait tout ce qu'il peut pour y échapper :

Mais enfin mes efforts ne me servent de rien;
Mon génie étonné tremble devant le sien.

Il suffit d'un pareil vers pour faire sentir tout ce qu'il peut y avoir dans un mot. Si maintenant on prodigue ces termes expressifs, on leur ôte leur effet, pour vouloir faire trop d'effet. Si on dit l'inquiétude de son génie, quand ce serait assez de dire, l'inquiétude de son esprit, ou même peutêtre, la mobilité de son esprit, on étonne plutôt qu'on ne touche, et bientôt on n'étonne même plus. Pour qu'une expression soit vraiment forte, il faut qu'elle ne soit employée qu'à propos. Mais plus on a écrit dans une langue, plus ceux qui écrivent craignent d'avoir un style faible et commun; ils mettent partout les mots les plus vifs, et ils les usent par cela même; de sorte qu'ils restent faibles et communs, et qu'ils sont de plus ampoulés et fatigants.

Rien n'est si insupportable. » En titre, Ennui.

Sans divertissement. » Voir tout l'article v sur le divertissement, « Il sortira. » Surgit amari aliquid. LUCR., IV, 4430.

« Le désespoir. » Plus le style de Pascal est sobre d'habitude, e plus nous sommes accoutumés à ne lui voir dire chaque chose qu'une seule fois et d'une seule façon; plus il nous accable ici par ces synonymes multipliés. Il nous fait mieux mesurer l'abime, en se reprenant à tant de fois pour le creuser devant nous. Montaigne, Apol., p. 42: « Car de là naist la source principale des maulx qui le pressent: peché, maladie, irresolution rouble, desespoir. >>

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« Quand un soldat. » En titre, Agitation.

« Sans rien faire. » N'est-ce pas comme s'il disait: quand un homme se plaint de manger des choses mauvaises et rebutantes, qu'on ie meite sans manger?

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