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comme ailleurs donnent tant d'autorité à l'écrivain, et qui fixent la critique, comme le style des classiques fixe la langue.

M. Cousin, dès 1830, dans une de ses plus belles leçons, prenant Pascal, non pas en lui-même, mais à sa place dans l'histoire de la philosophie et du mouvement des idées, expliquait déjà avec beaucoup de force et de lumière, et ce que c'est en général que le scepticisme théologique, et ce qui fait en particulier l'originalité du scepticisme des Pensées. Douze ans après il lisait le manuscrit autographe, et publiait le livre Des Pensées de Pascal. La république des lettres, comme on s'exprimait autrefois, fut tout émue par l'apparition de cet éclatant manifeste, écrit dans un langage au niveau des hauteurs du grand siècle par un des plus grands esprits de ce temps-ci, promoteur en toute carrière (c'est M. Sainte-Beuve qui parle ainsi). Je n'ai pas besoin de dire que mon travail relève de ce livre, comme tout ce qui se fera jamais sur les Pensées en relèvera nécessairement. On trouvera partout dans ce volume la trace de M. Cousin. J'ajouterai donc seulement ici, sans m'arrêter davantage, que sa puissante initiative agit sur les esprits en deux sens : d'une part, à l'occasion de Pascal, il fit débattre de nouveau avec ardeur, pour les confirmer, les titres de la raison et les droits de la philosophie; de l'autre, il appela à se porter sur les textes du dix-septième siècle une curiosité philologique et historique qui ne s'était guère attachée encore qu'à ceux des auteurs de l'antiquité. C'est cette dernière pensée que j'ai voulu suivre dans le commentaire que j'ai entrepris.

L'étude sur Pascal, dans l'Histoire de la littérature française de M. Nisard, est un des plus remarquables chapitres de ce beau livre. Je l'ai citée à propos de la Prière pour la maladie (p. 509), et je m'en suis inspiré plusieurs fois sans la citer. Il est particulièrement éloquent

lorsqu'il parle du coeur de Pascal, trop oublié dans le disputes qui s'étaient élevées sur ses idées. Du reste, suivant l'esprit habituel de sa critique et de son livre, il ne s'attache pas à la partie historique et personnelle de son sujet, mais à sa partie générale et humaine : il prend Pascal comme ayant représenté, au plus beau moment de la plus belle des langues modernes, un certain ordre d'idées et de sentiments humains dont il a rencontré l'expression la plus lumineuse et la plus sublime. M. Nisard a mis dans ces observations sa fine et sévère analyse, sa précision magistrale, et surtout cette distinction qui me paraît son ambition principale et son principal caractère; car c'est un talent qui ne souffre rien de commun, quoiqu'il n'admette rien que d'universel.

Mais le travail le plus étendu et le plus approfondi à la fois qui ait été fait sur Pascal est celui de M. Sainte-Beuve Ce n'est plus une courte étude, un chapitre d'histoire litté raire, ou le large développement d'un seul point de vue; c'est Pascal étudié à loisir dans sa vie et dans sa pensée, avec cette longue patience qui en tout genre fait les monuments (a). Toutes les qualités d'un esprit merveilleursment doué pour la critique concourent dans ce livre : une finesse incroyable, qui n'est que l'extrême justesse et l'extrême sagacité, et à laquelle aucun repli n'échappe; et en même temps une vue d'en haut, et à vol d'oiseau, pour ainsi dire, qui embrasse très-bien l'ensemble, saisit tout de suite ce qui est dominant, et subordonne les détails; une richesse de littérature et de connaissances qui féconde tout, fournissant partout des développements, des rapprochements, des contrastes; l'esprit le plus philosophique sans aucune prétention de philosophie, dégagé de tout préjugé

(a) Voyez tout le livre III de Port-Royal, tomes 11 et 111.

et ne s'en rapportant de rien qu'à lui-même, s'arrêtant aux choses et non aux mots, parfaitement dépouillé, et que saisje? peut-être trop dépouillé de tout autre intérêt que celui de la critique; et par-dessus tout cela, une facilité de sentir et d'imaginer, un coloris d'expression, une grâce de mouvements, reste précieux du poëte dans le critique, qui rend l'exposition vivante et attrayante au dernier point. C'est un ouvrage qui captive tout esprit curieux et amateur des lettres, et le retient par mille attaches. Tout y est dit, à ce qu'il semble, et je n'aurais pas essayé de faire de nouvelles réflexions sur les Pensées, si les conditions d'un travail placé en tête d'une édition n'étaient tout autres que celles du grand tableau qui est tracé dans Port-Royal. Souvent d'ailleurs, je n'ai fait que répéter ce que M. Sainte-Beuve avait dit; je l'ai redit sous forme de résumé et d'analyse, plus sèchement, plus didactiquement, comme un répétiteur qui reprend la leçon du maître. J'ai cité quelquefois le texte même, mais j'aurais voulu tout citer. Dans le dernier chapitre surtout, il n'y a pas un mot qui ne laisse des traces (a),

(a) Je n'ai pu faire entrer dans cette revue que quelques acrivains, nos maltres à tous. Je voudrais du moins dans cette note nommer les autres écrits sur Pascal que j'ai lus et dont j'ai profité. Ce sont, en suivant l'ordre des dates, les deux Eloges de Pascal, par M. BORDAS-DEMOULIN et M. FAUCERE, entre lesquels l'Académie française a partagé le prix d'éloquence en 1842; le premier plus plein et plus fort, le second plus touchant. C'est le jugement de M. Villemain dans son Rapport sur les concours de 1842. Voyez ce rapport, où l'illustre écrivain a trouvé encore sur Pascal des traits nouveaux, pleins de lumière et de force.-Les Etudes sur Pascal de M. l'abbé FLOTTE, 1843-45. C'est une défense de Pascal et des Pensées, riche de bonnes observations et de bons arguments, œuvre d'un esprit éclairé et droit, mais qui oublie quelquefois qu'il ne faut pas vouloir trop prouver, et qu'il y a des textes dont tous les commentaires du monde ne sauraient détruire l'impression. Les Etudes sur Pascal de feu M. VINET, 4844-47, morceaux tout à fait distingués, originaux, où, comme dit Pascal, il n'y a pas seulement un autour, mais un homme. Il est curieux d'y voir le protestantisme tirant à lui les Pensées, et y faisant son butin avec un zèle ingénieux, mais obstiné et chagrin.Le chapitre sur Pascal, dans l'Histoire de France de M. Henri Martin, 1845, plein de vervo, de

Je vais finir, mais qu'on me permette encore une réflexion. Les ennemis de la philosophie se sont servis de Pascal contre elle; il n'est donc pas étonnant que ceux qui ont le droit de parler au nom de la philosophie aient compté Pascal parmi ses ennemis. On a été jusqu'à dire que les Pensées sont peut-être plus dangereuses qu'utiles. Je ne puis le croire; je ne puis penser qu'il y ait du danger dans le commerce d'un esprit si vigoureux et d'une âme si élevée. Ce n'est pas son jansénisme qui peut être à craindre aujourd'hui, et son scepticisme même me paraît une épreuve plus capable d'exercer la raison que de l'abattre. En le lisant, nous sommes plus souvent enhardis par le sentiment de sa force que troublés par la contagion de sa faiblesse. Non, Pascal n'est pas un ennemi de la philosophie, car la philosophie n'a d'ennemis, à mon sens, que ceux qui ne raisonnent pas et qui ne veulent pas qu'on raisonne, soit par une aveugle superstition, soit par un mépris stupide de l'intelligence. Mais un Pascal est philosophe quoi qu'il en ait, et le travail qui s'opère sous son influence dans un bon esprit ne peut être que philosophique. Et c'est Pascal enfin qui a répondu aux ennemis de la raison, aux esclaves de l'autorité et de la force, par une pensée à laquelle tous les

chaleur d'âme, de libéralisme d'esprit et de cœur, tout à fait digne de figurer dans un ouvrage auquel l'Académie française vient de décerner le prix de l'histoire éloquente. De la Méthode philosophique de Pascal, par M. LesCŒUR, 1850, petit écrit ingénieux et paradoxal, où l'auteur se jette dans l'argument du pari comme dans la seule voie de la foi et du salut : de là I combat contre les philosophes d'une main et contre les Jésuites de l'autre. Pascal, sa vie et son caractère, ses écrits et son génie, par M. l'abbé MAYNARD, 1850, 2 vol. in-8°. On y trouvera beaucoup de recherches et beaucoup d'habileté, qui sont employées à établir ces deux thèses pour les Provinciales, que Pascal s'est trompé sur les Jésuites; pour les Pensées, que le fond n'en est ni sceptique, ni janséniste, mais parfaitement édifiant dans tous les sens. C'est Pascal mis au point de vue de ses fameux adversaires, dans un livre qui est tout à fait selon leur esprit. Voir enfin le chapitre de Pascal dans les Études sur les moralistes français de Prévost-Paradol, 1865,

esprits indépendants feront écho, et qui sera toujours leur défense contre les peurs serviles et les menaces brutales (VI, 2): « La raison nous commande bien plus impérieuse➤ment qu'un maître; car en désobéissant à l'un, on est mal» heureux, et en désobéissant à l'autre, ON EST UN SOT. »

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