Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

au travers d'un petit verre, pour se familiariser avec cette connaissance, en voyant chaque partie du ciel en chaque partie du verre. Mais s'ils ne peuvent comprendre que des parties si petites, qu'elles nous sont imperceptibles, puissent être autant divisées que le firmament, il n'y a pas de meilleur remède que de les leur faire regarder avec des lunettes qui grossissent cette pointe délicate jusqu'à une prodigieuse masse : d'où ils concevront aisément que par le secours d'un autre verre encore plus artistement taillé, on pourrait les grossir jusqu'à égaler ce firmament dont ils admirent l'étendue. Et ainsi ces objets leur paraissant maintenant très-facilement divisibles, qu'ils se souviennent que la nature peut infiniment plus que l'art1. Car enfin qui les a assurés que ces verres auront changé la grandeur naturelle de ces objets, ou s'ils auront au contraire rétabli la vé ritable, que la figure de notre œil avait changée et raccourcie, comme font les lunettes qui amoindrissent".

Il est fâcheux de s'arrêter à ces bagatelles'; mais il y a des temps de niaiser ".

Il suffit de dire à des esprits clairs en cette matière que deux néants d'étendue ne peuvent pas faire une étendue. Mais parce qu'il y en a qui prétendent s'échapper à cette lumière par cette merveilleuse réponse, que deux néants

[ocr errors]

1 Plus que l'art. » Rien de plus ingénieux que cette démonstration de la prodigieuse divisibilité de la matière sensible.

1 « Qui amoindrissent. » Ici Pascal oublie que ce n'est point par la vue, mais par le toucher, que nous jugeons de la grandeur des choses. Il devrait bien aussi expliquer ce qu'il entend par la grandeur naturelle et véritable des corps, car cela est difficile à concevoir quand on n'admet pas d'éléments définitifs et de point d'arrêt.

3 « A ces bagatelles. Ces bagatelles sont fort curieuses, mais les plus belles expériences ne sauraient livrer l'infini, puisqu'elles s'arrêtent aux bornes de nos sens

• Des temps de niaiser. Expression suggérée sans doute par un passage célèbre de l'Ecclésiaste, quoiqu'elle n'en soit pas traduite préci sément. Cf. page 355, note 5.

«S'échapper. » Plus correctement schapper.

d'étendue peuvent aussi bier faire une étendue que deux unités dont aucune n'est nombre font un nombre par leur assemblage; faut leur repartir qu'ils pourraient opposer, de la même sorte, que vingt mille hommes font une armée, quoique aucun d'eux ne soit armée; que mille maisons font une ville, quoique aucune ne soit ville; ou que les parties font le tout, quoique aucune ne soit le tout; ou, pour demeurer dans la comparaison des nombres, que deux binaires font le quaternaire, et dix dizaines une centaine, quoique aucun ne le soit. Mais ce n'est pas avoir l'esprit juste que de confondre par des comparaisons si inégales la nature immuable des choses avec leurs noms libres et volontaires, et dépendant du caprice des hommes qui les ont composés. Car il est clair que pour faciliter les discours on a donné le nom d'armée à vingt mille hommes, celui de ville à plusieurs maisons, celui de dizaine à dix unités ; et que de cette liberté naissent les noms d'unité, binaire, quaternaire, dizaine, centaine, différents par nos fantaisies, quoique ces choses soient en effet de même genre par leur nature invariable, et qu'elles soient toutes proportionnées entre elles et ne diffèrent que du plus ou du moins, et quoique, ensuite de ces noms, le binaire ne soit pas quaternaire, ni une maison une ville, non plus qu'une ville n'est pas une maison. Mais encore, quoique une maison ne soit pas une ville, elle n'est pas néanmoins un néant de ville; il y a bien de la différence entre n'être pas une chose et en être un néant.

Car, afin qu'on entende la chose à fond, il faut savoir que la seule raison pour laquelle l'unité n'est pas au rang les nombres est qu'Euclide et les premiers auteurs qui ont traité d'arithmétique, ayant plusieurs propriétés à donner qui convenaient à tous les nombres hormis à l'unité, pour éviter de dire souvent qu'en tout nombre, hors l'unité,

telle condition se rencontre, ils ont exclu l'unité de la si gnification du mot de nombre, par la liberté que nous avons déjà dit qu'on a de faire à son gré des définitions. Aussi, s'ils eussent voulu, ils en eussent de même exclu le binaire et le ternaire, et tout ce qu'il leur eût plu; car on en est maître, pourvu qu'on en avertisse: comme au contraire l'unité se met quand on veut au rang des nombres, et les fractions de même. Et, en effet, l'on est obligé de le faire dans les propositions générales, pour éviter de dire à chaque fois : En tout nombre, et à l'unité et aux fractions, une telle propriété se trouve; et c'est en ce sens indéfini que je l'ai pris dans tout ce que j'en ai écrit. Mais le même Euclide qui a ôté à l'unité le nom de nombre, ce qui lui a été permis, pour faire entendre néanmoins qu'elle n'est pas un néant, mais qu'elle est au contraire du même genre, il définit ainsi les grandeurs homogènes. Les grandeurs, dit-il, sont dites être de même genre, lorsque l'une étant plusieurs fois multipliée peut arriver à surpasser l'autre. Et par conséquent, puisque l'unité peut, étant multipliée plusieurs fois, surpasser quelque nombre que ce soit, elle est de même genre que les nombres précisément par son essence et par sa nature immuable, dans le sens du même Euclide qui a voulu qu'elle ne fût pas appelée nombre.

[ocr errors]

Il n'en est pas de même d'un indivisible à l'égard d'une étendue; car non-seulement il diffère de nom, ce qui est volontaire, mais il diffère de genre, par la même définition; puisqu'un indivisible, multiplié autant de fois qu'on voudra, est si éloigné de pouvoir surpasser une étendue, qu'il ne peut jamais former qu'un seul et unique indivisible; ce qui est naturel et nécessaire, comme il est déjà montré. Et comme cette dernière preuve est fondée sur la définition de ces deux choses, indivisible et étendue, on va achever et consommer la démonstration.

Un indivisible est ce qui n'a aucune partie, et l'étendue est ce qui a diverses parties séparées.

Sur ces définitions, je dis que deux indivisibles étant unis ne font pas une étendue. Car, quand ils sont unis, ils se touchent chacun en une partie 1; et ainsi les parties par où ils se touchent ne sont pas séparées, puisque autrement elles ne se toucheraient pas. Or, par leur définition, ils n'ont point d'autres parties: donc ils n'ont pas de parties séparées, donc ils ne sont pas une étendue, par la définition de l'étendue qui porte la séparation des parties. On montrera la même chose de tous les autres indivisibles qu'on y joindra, par la même raison. Et partant un indivisible, multiplié autant qu'on voudra, ne fera jamais une étendue. Donc il n'est pas de même genre que l'étendue, par la définition des choses du même genre.

Voilà comment on démontre que les indivisibles ne sont pas de même genre que les nombres. De là vient que deux unités peuvent bien faire un nombre, parce qu'elles sont de même genre; et que deux indivisibles ne font pas une étendue, parce qu'ils ne sont pas de même genre. D'où l'on voit combien il y a peu de raison de comparer le rapport qui est entre l'unité et les nombres à celui qui est entre les indivisibles et l'étendue.

Mais si l'on veut prendre dans les nombres une comparaison qui représente avec justesse ce que nous considérons dans l'étendue, il faut que ce soit le rapport du zéro aux nombres; car le zéro n'est pas du même genre que les nombres, parce qu'étant multiplié, il ne peut les surpasser: de sorte que c'est un véritable indivisible de nombre, comme

1 En une partie. » Pascal s'embarrasse dans les termes; car, après avoir dit: Un indivisible est ce qui n'a aucune partie, comment peut-il dire Ils se touchent cnacun en une partie? Il eût fallu écrire : Un indi visible est ce qui n'a pas plusieurs parties.

l'indivisible est un véritable zéro d'étendue. Et on en trouvera un pareil entre le repos et le mouvement, et entre un instant et le temps; car toutes ces choses sont hétérogènes à leurs grandeurs, parce qu'étant infiniment multipliées, elles ne peuvent jamais faire que des indivisibles, non plus que les indivisibles d'étendue, et par la même raison. Et alors on trouvera une correspondance parfaite entre ces choses; car toutes ces grandeurs sont divisibles à l'infini, sans tomber dans leurs indivisibles, de sorte qu'elles tiennent toutes le milieu entre l'infini et le néant1.

Voilà l'admirable rapport que la nature a mis entre ces choses, et les deux merveilleuses infinités qu'elle a proposées aux hommes, non pas à concevoir, mais à admirer2; et pour en finir la considération par une dernière remarque, j'ajouterai que ces deux infinis, quoique infiniment différents, sont néanmoins relatifs l'un à l'autre, de telle sorte que la connaissance de l'un mène nécessairement à la connaissance de l'autre. Car dans les nombres, de ce qu'ils peuvent toujours être augmentés, il s'ensuit absolument qu'ils peuvent toujours être diminués, et cela clairement : car si l'on peut multiplier un nombre jusqu'à 100000, par exemple, on peut aussi en prendre une 100000 partie, en le divisant par le même nombre qu'on le multiplie, et ainsi tout terme d'augmentation deviendra terme de division, en changeant l'entier en fraction. De sorte que l'augmentation infinie enferme nécessairement aussi la division infinie. Et dans l'espace le même rapport se voit entre ces deux infinis contraires; c'est-à-dire que, de ce qu'un espace peut être infiniment prolongé, il s'ensuit qu'il peut être infini

1 « Et le néant. Ajoutons, pour ne l'oublier jamais, que m le point, ni l'instant, ni le zéro, ni le néant ne sont rien de réel, et n'expriment que de simples négations de notre esprit.

« A admirer. Voir nos réflexions à ce sujet, page 18, note 3.

« ZurückWeiter »