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ignorance savante qui se connaît. Ceux d'entre deux, qui sont sortis de l'ignorance naturelle, et n'ont pu arriver à l'autre, ont quelque teinture de cette science suffisante ', et font les entendus. Ceux-là troublent le monde, et jugent mai de tout. Le peuple et les habiles 2 composent le train du monde; ceux-là le méprisent', et sont méprisés. Ils jugent mal de toutes choses, et le monde en juge bien.

19.

L'homme n'est qu'un sujet plein d'erreur, naturelle et ineffaçable sans la grâce. Rien ne lui montre la vérité : tout l'abuse. Ces deux principes de vérités, la raison et les sens, outre qu'ils manquent chacun de sincérité, s'abusent réciproquement l'un l'autre. Les sens abusent la raison par de fausses apparences; et cette même piperie qu'ils lui apportent, ils la reçoivent d'elle à leur tour : elle s'en revanche. Les passions de l'âme troublent les sens, et leur font des impressions fausses. Ils mentent et se trompent à l'envi.

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1 « Cette science suffisante. » Pascal en avait-il parlé, ou pense-t-il être compris suffisamment en disant cette science? - Suffisante, c'est-à-dire sans doute qui suffit pour faire ce qu'on appelle les savants.

2 « Les habiles. » Il n'entend pas par là ceux d'entre deux, mais les esprits supérieurs qui sont arrivés à l'extrémité de la science. C'est ce que prouve un autre fragment (v, 2), qu'il faut rapprocher de celui-ci. Ceu.rlà sont les demi-habiles, les prétendus savants. Pascal met les habiles avec le peuple, parce que les habiles sont revenus, par une lumière supérieure, aux opinions du peuple, et s'accordent avec lui.

3 « Le méprisent. » Méprisent le train du monde.

•. L'homme n'est qu'un sujet. » En marge, dans le manuscr.t: « li faut » commencer par là le chapitre Des puissances trompeuses. » Cf. 111, 3. 5 « Cette même piperie. » Mont., Apol., p. 315 : « Cette mesme piperia que les sens apportent à nostre entendement, ils la receoivent à leur tour; ‣ nostre ame parfois s'en revenche de mesme : ils mentent et se trompent • al envy. »

ARTICLE IV.

1.

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On charge les hommes, dès l'enfance, du soin de leut honneur, de leur bien, de leurs amis, et encore du bien 1 et de l'honneur de leurs amis. On les accable d'affaires, de l'apprentissage des langues et d'exercices, et on leur fait entendre qu'ils ne sauraient être heureux sans que leur santé, leur honneur, leur fortune et celle de leurs amis, soient en bon état, et qu'une seule chose qui manque les rendrait malheureux. Ainsi on leur donne des charges et des affaires qui les font tracasser dès la pointe du jour. Voilà, direz-vous, une étrange manière de les rendre heureux! Que pourrait-on faire de mieux pour les rendre malheureux? Comment! ce qu'on pourrait faire? Il ne faudrait que leur ôter tous ces soins; car alors ils se verraient, ils penseraient à ce qu'ils sont, d'où ils viennent, où ils vont"; et ainsi on ne peut trop les occuper et les détourner; et c'est pourquoi, après leur avoir tant préparé d'affaires, s'ils ont quelque temps de relâche, on leur conseille de l'employer à se divertir, à jouer, et à s'occuper toujours tout entiers.

1 On charge les hommes. » En titre, dans le manuscrit : Divertissement. Pascal entend par divertissement tout ce qui distrait, suivant l'étymologie. Voir, au quatrième alinéa de ce paragraphe, s'il est sans divertissement, c'est-à-dire sans distraction.

2 Et encore du bien. >> Mont., I, 38, p. 117: « Nos affaires ne nous donnoient pas assez de peine; prenons encores, à nous tormente >> et rompre la teste, de ceulx de nos voisins et amis. » Cette pensée est dans Epictète, au premier chapitre de ses Entretiens, recueillis pat Arrien,

3 « Et qu'une seule chose, etc. » Pascal pousse toujours une iuee jusqu'i son plus grand effet. Alors les tours vifs, interrogation, exclamation, sor‹ tent naturellement; on en a besoin.

4 Où ils vont. Pensées, suivant Pascal, profondément tristes et troublantes.

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Quand je m'y suis mis quelquefois, à considérer les diverses agitations des hommes, et les périls et les peines où ils s'exposent, dans la cour, dans la guerre, d'où naissent tant de querelles, de passions, d'entreprises hardies et souvent mauvaises, j'ai découvert que tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre. Un homme qui å assez de bien pour vivre, s'il savait demeurer chez soi avec plaisir, n'en sortirait pas pour aller sur la mer ou au siége d'une place. On n'achètera une charge à l'armée si cher que parce qu'on trouvera insupportable de ne bouger de la ville; et on ne recherche la conversation et les divertissements des jeux que parce qu'on ne peut demeurer chez soi avec plaisir.

Mais quand j'ai pensé de plus près, et qu'après avoir trouvé la cause de tous nos malheurs, j'ai voulu en découvrir la raison, j'ai trouvé qu'il y en a une bien effective, qui consiste dans le malheur naturel de notre condition faible et mortelle, et si misérable, que rien ne peut nous consoler, lorsque nous y pensons de près.

Quelque condition qu'on se figure, si l'on assemble tous les biens qui peuvent nous appartenir, la royauté est le

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Quand je m'y suis mis. » Cet y n'est qu'un pléonasme.

« D'où naissent. » D'où se rapporte à ces agitations.

་ Mais quand j'ai pensé. » On voit la suite des idées : Quand je m'y suis mis, j'ai dit... ; mais quand j'ai pensé de plus près, j'ai trouvé. 4 << La raison. » La raison de cette cause.

« Nous y pensons de près. » Les éditeurs de P. R. ont intercalé ici deux alinéas de leur composition, dont l'intention est assez indiquée par cette première phrase: « Je ne parle que de ceux qui se regardent saus ➤ aucune vue de religion; car il est vrai que c'est une des merveilles de la > religion chrétienne de réconcilier l'homme avec soi-même, etc. Ils ont peur qu'on n'entende pas le fond de la pensée de Pascal.

6 « Si l'on assemble... la royauté. » Anacoluthe, ou défaut de suite dans la phrase, tel qu'on en laisse échapper en parlant.

plus beau poste du monde, et cependant qu'on s'imagine un roi accompagné de toutes les satisfactions qui peuvent le toucher; s'il est sans divertissement, et qu'on le laisse considérer et faire réflexion sur ce qu'il est, cette félicité languissante ne le soutiendra point'; il tombera par nécessité dans les vues qui le menacent, des révoltes qui peuvent arriver 2, et enfin de la mort et des maladies qui sont inévitables; de sorte que, s'il est sans ce qu'on appelle divertissement, le voilà malheureux, et plus malheureux que le moindre de ses sujets qui joue et qui se divertit.

De là vient que le jeu et la conversation des femmes, la guerre, les grands emplois, sont si recherchés. Ce n'est pas qu'il y ait en effet du bonheur, ni qu'on s'imagine que la vraie béatitude soit dans l'argent qu'on peut gagner au jeu, ou dans le lièvre qu'on court. On n'en voudrait pas s'il était offert. Ce n'est pas cet usage mol et paisible', et qui nous laisse penser à notre malheureuse condition, qu'on recherche, ni les dangers de la guerre *, ni la peine des emplois, mais c'est le tracas qui nous détourne d'y penser et nous divertit.

De là vient que les hommes aiment tant le bruit et le

1 Ne le soutiendra point. » Mais aussi quelle étrange supposition! et comment ce roi, s'il est accompagné de toutes les satisfactions qui peuvent le toucher, est-il en même temps sans divertissement?

2 « Des révoltes qui peuvent arriver. » Ce n'était pas sans doute l'état de la France à cette époque, malgré la Fronde, mais plutôt celui de l'Angleterre qu suggérait à Pascal cette pensée. Quoi qu'il en soit, P. R. ne voulut ni dire aux rois qu'ils étaient exposés aux révoltes, ni leur faire entendre des menaces de maladie et de mort, ni même avancer qu'un roi qui s'ennuie pouvait être plus malheureux que le moindre de ses sujets. Tout cet alinéa fut transformé.

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« Mol et paisible. » Épithètes parfaitement choisies, qui peignent ls chose et qui l'expliquent en même temps.

« Ni les dangers de la guerre. » Ici il n'y a pas besoin d'épithète, Il est trop clair que le danger n'a rien d'attrayant en soi, ni la peine. ↓ Et nous divertit. » Divertir signifie en effet proprement détourner.

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remuement; de là vient que la prison est un supplice si horrible; de là vient que le plaisir de la solitude est une chose incompréhensible. Et c'est enfin le plus grand sujet de félicité de la condition des rois, de ce qu'on essaie sans cesse à les divertir, et à leur procurer toutes sortes de plaisirs.

Le roi est environné de gens qui ne pensent qu'à divertir le roi, et l'empêchent de penser à lui. Car il est malheureux, tout roi qu'il est, s'il y pense.

Voilà tout ce que les hommes ont pu inventer pour se rendre heureux. Et ceux qui font sur cela les philosophes, et qui croient que le monde est bien peu raisonnable de passer tout le jour à courir après un lièvre qu'ils ne voudraient pas3 avoir acheté, ne connaissent guère notre nature. Ce lièvre ne nous garantirait pas de la vue de la mort et des misères, mais la chasse nous en garantit. Et ainsi quand on leur reproche que ce qu'ils cherchent avec tant d'ardeur ne saurait les satisfaire, s'ils répondaient, comme ils devraient le faire s'ils y pensaient bien, qu'ils ne cherchent en cela qu'une occupation violente et impétueuse qui les détourne de penser à soi, et que c'est pour cela qu'ils se proposent un objet attirant qui les charme et les attire avec ardeur, ils laisseraient leurs adversaires sans repartie *. Mais ils ne répondent pas cela, parce qu'ils ne se connaissent pat

1 « Et le remuement. » P. R.: et le tumulte du monde. Ils ont eu peur du mot familier. Il est le meilleur, puisqu'il rabaisse plus l'homme.

2 « Le plaisir de la solitude. » Tel que le goûtent les anachorètes Parmi les Pensées de Nicole, la 39e a pour titre : La solitude désagréabie el pourquot.

« Qu'ils ne voudraient pas. » Ce pluriel se rapporte au monde.

4 « Sans repartie. » Supprimé par P. R., qui craint qu'on ne prenne trop au sérieux cette justification des gens qui passent toute la journée à la chasse. Les éditeurs de P. R. sont des moralistes qui n'entendent pas rester sans repartie. Ici on lit en marge dans le manuscrit : La danse. Il faut bien penser où l'on mettra ses piede

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