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eux-mêmes 1; ils ne savent pas que ce n'est que la chasse, et non la prise, qu'ils recherchent.

Ils s'imaginent que, s'ils avaient obtenu cette charge, ils se reposeraient ensuite avec plaisir, et ne sentent pas la nature insatiable de leur cupidité. Ils croient chercher sincèrement le repos, et ne cherchent en effet que l'agitation2.

Ils ont un instinct secret qui les porte à chercher le divertissement et l'occupation au dehors, qui vient du ressentissement de leurs misères continuelles; et ils ont un autre instinct secret, qui reste de la grandeur de notre première nature, qui leur fait connaître que le bonheur n'est en effet que dans le repos et non pas dans le tumulte; et de ces deux instincts contraires', il se forme en eux un projet confus, qui se cache à leur vue dans le fond de leur âme*, qui les porte à tendre au repos par l'agitation', et à se figurer toujours que la satisfaction qu'ils n'ont point leur arrivera, si, en surmontant quelques difficultés qu'ils envisa-. gent, ils peuvent s'ouvrir par là la porte au repos.

Ainsi s'écoule toute la vie. On cherche le repos en combattant quelques obstacles; et si on les a surmontés, le

1 << Pas eux-mêmes. » En marge dans le manuscrit : Le gentilhomme croit sincèrement que la chasse est un plaisir grand et un plaisir royal; mais son piqueur n'est pas de ce sentiment-là.

2 « Que l'agitation. » C'est uniquement à force de logique que Pascal arrive à ces traits si simples qui pourtant surprennent, à ces vérités qui ont un air paradoxal.

3 « De ces deux instincts contraires. » Cette finesse d'analyse est merveilleuse.

4 << Dans le fond de leur âme. » Que d'imagination dans l'expression à côté de cette rigueur mathématique !

3 «Par l'agitation. >>

Haud ita vitam agerent, ut nunc plerumque videmus
Quid sibi quisque velit nescire et quærere semper,
Commutare locum, quasi onus deponere possit.

Et ce qui suit dans Lucrèce. Le poëte épicurien n'est pas moins amer que
Pascal.

« Ainsi s'écoule. » La brièveté de cette phrase en fait la force. Eila coupe court aux illusions.

repos devient insupportable. Car, ou l'on pense aux misères qu'on a, ou à celles qui nous menacent. Et quand on se verrait même assez à l'abri de toutes parts, l'ennui1, de son autorité privée 2, ne laisserait pas de sortir au fond du cœur, où il a des racines naturelles, et de remplir l'esprit de son venin.

Le conseil qu'on donnait à Pyrrhus, de prendre le repos qu'il allait chercher par tant de fatigues, recevait bien des difficultés.

Ainsi l'homme est si malheureux, qu'il s'ennuierait même sans aucune cause d'ennui, par l'état propre de sa complexion; et il est si vain', qu'étant plein de mille causes essentielles d'ennui, la moindre chose, comme un billard et une balle' qu'il pousse, suffit pour le divertir".

Mais, direz-vous, quel objet a-t-il en tout cela? Celui de se vanter demain entre ses amis de ce qu'il a mieux joué qu'un autre. Ainsi les autres suent dans leur cabinet pour montrer aux savants qu'ils ont résolu une question d'algè

«

1 << L'ennui. >> Ce mot, isolé par la virgule qui le suit, frappe davantage. Voilà l'ennemi.

ร « De son autorité privée. » Mont., Apol., p. 257: « Et, de son auc Storité privee, à cett'heure le chagrin predomine en moy, à cett'heure l'a⚫ laigresse. »

3 « Ne laisserait pas de sortir. »

4

Necquicquam, quoniam medio de fonte leporum

Surgit amari aliquid, quod in ipsis floribus angat. (LUCR., IV, 1129.)

« Le conseil qu'on donnait à Pyrrhus. » Mont., I, 42, p. 197; Boileau, Épître Are

5 « De prendre. » De prendre immédiatement, sans se déranger.

6 << Recevait. » Latinisme. C'est-à-dire comportait, avait en soi. Ces difficultés se réduisent à ce qui a été dit, que l'homme ne peut rester en repos seul avec lui-même.

7 « Si vain. » Si léger.

8 « Un billard et une balle. » Supprimé par P. R., qui semble avoir trop obéi par avance à la règle de Buffon, de ne nommer les cnoses que par les termes les plus généraux, pour donner au style de la noblesse.

9 « Pour le divertir. » P. R. ajoute ici une phrase dont la fin est belle : Et ses divertissements sont infiniment moins raisonnables que son ⚫ ennui »

bre' qu'on n'aurait pu 2 ti ɔuver jusqu'ici; et tant d'autres s'exposent aux derniers périls pour se vanter ensuite d'une place qu'ils auront prise, et aussi sottement, à mon gré'. Et enfin les autres se tuent pour remarquer toutes ces choses, non pas pour en devenir plus sages, mais seulement pour montrer qu'ils les savent; et ceux-là sont les plus sots de la bande, puisqu'ils le sont avec connaissance, au lieu qu'on peut penser des autres qu'ils ne le seraient plus s'ils avaient cette connaissance.

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Tel homme passe sa vie sans ennui, en jouant tous les jours peu de chose. Donnez-lui tous les matins l'argent qu'il peut gagner chaque jour, à la charge qu'il ne joue point: vous le rendez malheureux. On dira peut-être que c'est qu'il cherche l'amusement du jeu, et non pas le gain. Faites-le donc jouer pour rien, il ne s'y échauffera pas et s'y ennuiera. Ce n'est donc pas l'amusement seul qu'il recherche un amusement languissant et sans passion l'ennuiera. Il faut qu'il s'y échauffe et qu'il se pipe lui-même, en s'imaginant qu'il serait heureux de gagner ce qu'il ne voudrait pas qu'on lui donnât à condition de ne point jouer, afin qu'il se forme un sujet de passion, et qu'il excite sur cela son désir, sa colère, sa crainte, pour l'objet qu'il s'est formé, comme les enfants qui s'effraient du visage qu'ils ont harbouillé.

1

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« Une question d'algèbre. » Il semble que Pascal pense ici à ses recherches sur la roulette.

« Qu'on n'aurait pu.» 11 emploie le conditionnel, parce que c'est une supportion. Cela n'est pas régulier grammaticalement.

3

A mon gré. » Il ajoute cela, parce que, dans l'opinion, la prise d'une place est quelque chose de plus sérieux que la solution d'un problème. Pascal ne voit dans l'un comme dans l'autre qu'un divertissement.

4 « Les plus sots de la bande. » Cette rude apostrophe s'adresse aux moralistes tels que Montaigne, et l'effort continuel de Pascal était sans doute de ne pas la mériter.

« Tel homme passe sa vie. » Pascal paralt reprendre ici en sous-œuvre les mêmes idées.

«Comme les enfants. » Mont., Apol., p. 182 : « C'est pitié que now

D'où vient que cet homme, qui a perdu depuis peu de moís son fils unique, et qui, accablé de procès et de querelles, était ce matin si troublé, n'y pense plus maintenant? Ne vous en étonnez pas : il est tout occupé à voir par où passera ce sanglier que les chiens poursuivent avec tant d'ardeur depuis six heures'. Il n'en faut pas davantage 2.

▸ nous pipons de nos propres singeries et inventions.... comme les enfant » qui s'effroyent de ce mesme visage qu'ils ont barbouillé et noircy à leur » compaignon. » Cette comparaison, qui paraît imitée de Séneque (lettre 24), est mieux amenée dans Montaigne que dans Pascal.

1 << Depuis six heures. » Voltaire prétend que Louis XIV allait à la chasse le jour qu'il avait perdu quelqu'un de ses enfants, et qu'il faisait fort sagement. On aime mieux l'homme de Pascal, qui ne se laisse distraire ainsi de sa douleur que quelques mois après sa perte. Je ne sais du reste où Voltaire a pris ce fait, qui ne me paraît ni vrai, ni vraisemblable, et que je n'ai pas trouvé dans Saint-Simon.

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« Il n'en faut pas davantage. » On trouve ailleurs dans le manuscrit cet autre développement de la même pensée, que Pascal a barré : « Cet >> homme si affligé de la mort de sa femme et de son fils unique, qui a cette » grande querelle qui le tourmente, d'où vient qu'à ce moment il n'est pas » triste, et qu'on le voit si exempt de toutes ces pensées pénibles et inquiétantes? Il ne faut pas s'en étonner; on vient de lui servir une balle, » et il faut qu'il la rejette à son compagnon. Il est occupé à la prendre à >> la chute du toit pour gagner une chasse; comment voulez-vous qu'il » pense à ses affaires, ayant cette autre affaire à manier? Voilà un soin >> digne d'occuper cette grande âme, et de lui ôter toute autre pensée de » l'esprit. Cet homme, né pour connaître l'univers, pour juger de toutes » choses, pour régir tout un État, le voilà occupé et tout rempli du soin » de prendre un lièvre. Et s'il ne s'abaisse à cela et [qu'il] veuille être >> toujours tendu, il n'en sera que plus sot, parce qu'il voudra s'élever » au-dessus de l'humanité, et qu'il n'est qu'un homme, au bout du compte, » c'est-à-dire capable de peu et de beaucoup, de tout et de rien. Il n'est > ni ange ni bête, mais homme. [Nous retrouverons ailleurs cette der» nière pensée.]· Une seule pensée nous occupe, nous ne pouvons penser à deux choses à la fois. Dont bien nous prend selon le monde, non >> selon Dieu. » Ce développement, qui est très-beau pris à part, devait Stre resserré ici pour ne pas interrompre la suite des idées. Du reste, l'image de l'homme occupé à prendre la balle à la chute du toit, est peutêtre plus piquante encore que celle de notre texte. Dans la phrase, C homme né pour, etc., Pascal passe d'une espèce de divertissement à u autre; c'est un second exemple. Les dernières lignes, Une seule pensés nous occupe, demandent à être expliquées. Pascal veut dire que nous në pouvons penser à la fois aux choses du dehors et à notre misère intérieure: ce qui est bon selon le morde, car ainsi les divertissements nous sauvent de l'ennu., mais mauvais selon Dieu, car ainsi ils nous empêchent de nous

n

1

L'homme, quelque plein de tristesse qu'il soit, si l'on peut gagner sur lui de le faire entrer en quelque divertissement, le voilà heureux pendant ce temps-là. Et l'homme1, quelque heureux qu'il soit, s'il n'est diverti et occupé par quelque passion ou quelque amusement qui empêche l'ennui de se répandre, sera bientôt chagrin et malheureux. Sans diver tissement il n'y a point de joie, avec le divertissement n'y a point de tristesse. Et c'est aussi ce qui forme le bonneur des personnes de grande condition, qu'ils ont un nombre de personnes qui les divertissent, et qu'ils ont le pouvoir de se maintenir en cet état.

Prenez-y garde. Qu'est-ce autre chose d'être surintendant, chancelier, premier président', sinon d'être en une condition où l'on a dès le matin un grand nombre de gens qui viennent de tous côtés pour ne leur laisser pas une heure en la journée où ils puissent penser à eux-mêmes? Et quand ils sont dans la disgrâce et qu'on les envoie à leurs maisons des champs, où ils ne manquent ni de biens, ni de domestiques pour les assister dans leurs besoins, ils ne laissent pas d'être misérables et abandonnés, parce que personne ne les empêche de songer à eux.

La dignité royale n'est-elle pas assez grande d'elle-même

armer sur notre salut et d'y pourvoir. Voir le dernier alinéa de ce paras graphe.

« Et l'homme. » Remarquer l'effet que produit ce mot, placé deux fois à la tête de la phrase et détaché. Il arrête l'esprit sur l'étrange nature de cet être extraordinaire; il fait ressortir la puissance du divertissemen en la faisant paraître dans deux tableaux opposés et symétriques

«Surintendant. » Des finances. Le dernier surintendant fut Fouquet, qui était encore en place quand Pascal écrivait ceci; sa disgrâce est dr 4664.

3 « Premier président. » Du parlement de Paris.

4. Et qu'on les envoie. » A cette époque, et encore longtemps apra un ministre, un homme revêtu d'une grande charge ne perdait guère sa place sans recevoir une lettre de cachet qui l'exilait dans ses terres.

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