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n'en sent pas la vérité où elle est, et que, la mettant où elle n'est pas, ses opinions sont toujours très-fausses et tresmalsaines1.

Il est donc vrai 2 de dire que tout le monde est dans l'illusion: car, encore que les opinions du peuple soient saines, elles ne le sont pas dans sa tête, car il pense que la vérité est où elle n'est pas. La vérité est bien dans leurs opinions, mais non pas au point où ils se figurent. Par exemple, il est vrai qu'il faut honorer les gentilshommes, mais non pas parce que la naissance est un avantage effectif, etc.

3

Le plus grand des maux est les guerres civiles. Elles sont sûres, si on veut récompenser les mérites; car tous diront qu'ils méritent. Le mal à craindre d'un sot, qui succede par droit de naissance, n'est ni si grand, ni si sûr ^.

4.

Pourquoi suit-on la pluralité "? est-ce à cause qu'ils ont plus de raison'? non, mais plus de force. Pourquoi suiton les anciennes lois et les anciennes opinions? est-ce

1

Très-malsaines. » On dirait maintenant très-peu saines.

<< li est donc vrai. » En titre, Raison des effets.

3 << Le plus grand des maux. » En titre, Opinions du peuple saines. 4 « Ni si grand, ni si sûr. » Cette défense de l'hérédité royale pouvait paraître irrévérencieuse, et P. R. a cru prudent de la supprimer. L'esprit qui sur le trône de Louis XIV osait par supposition placer un sot, et qui ne se prononçait pour ce sot que de peur d'une guerre civile, était moins oumis qu'il ne croyait. Cf. 7 et 9.

5 « Pourquoi suit-on la pluralité? » Nous disons aujourd'hui, la majorité. Ils. La pluralité, ceux qui la composent.

6 Plus de raison. » C'est parce que, la majorité et la minorité se composant d'hommes qui ont en moyenne autant de raison les uns que les autres, il y a probabilité, si toutes les opinions sont libres de se produire, que 'a plus généralement adoptée sera la plus raisonnable. Ce n'est qu'une probabilité, mais on s'en contente faute de mieux.

qu'elles sont les plus saines? non, mais elles sont uniques, et nous ôtent la racine de la diversité 1.

5.

L'empire fondé sur l'opinion et l'imagination règne quelque temps, et cet empire est doux et volontaire : celui de la force règne toujours. Ainsi l'opinion est comme la reine du monde 2, mais la force en est le tyran.

6.

Que l'on a bien fait de distinguer les hommes par l'extérieur, plutôt que par les qualités intérieures! Qui passera de nous deux? qui cédera la place à l'autre? Le moins habile? mais je suis aussi habile que lui; il faudra se battre sur cela. Il a quatre laquais, et je n'en ai qu'un cela est visible; il n'y a qu'à compter; c'est à moi à céder *, et je suis un sot si je conteste. Nous voilà en paix par ce moyen; ce qui est le plus grand des biens.

7.

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La coutume de voir les rois accompagnés de gardes,

1 « La racine de la diversité. » Il parle de la diversité ou de la contrariété comme d'un vice, qui se trouve ainsi extirpé, déraciné.

2 « La reine du monde. » Cf. 111, 3. Ne vaudrait-il pas mieux dire que c'est la raison qui est la reine du monde, et que le préjugé, armé de la force, en est le tyran?

8 « Que l'on a bien fait. » Cette pensée n'est pas dans le manuscrit; on y trouve seulement cette ligne isolée : Il a quatre laquais. On est bien tenté cependant d'attribuer à Pascal ce développement, dont la forme est vive, familière, dramatique. Peut-être les éditeurs l'ont-ils reproduit de souvenir, d'après une conversation de Pascal.

« C'est à moi à céder. » Mais pourquoi faut-il qu'il y en ait un qui cède? ne peuvent-ils aller de pair? Et là même où il faut une préférence, pourquoi se battre? pourquoi ne pas s'en rapporter au libre choix des juges naturels? Se battait-on, du temps de Pascal, pour décider qui entrerait à l'Académie? ou réglait-on cela d'après le nombre des laquais ?

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« La coutume de voir les rois. » Cette pensée, qui s'attaque eлocre au prestige et à la religion de la royauté, a été supprimée dans P. R. u 3.

de tambours, d'officiers, et de toutes les choses qui plient la machine vers le respect et la terreur, fait que leur visage, quand il est quelquefois seul et sans ces accompagnements, imprime dans leurs sujets le respect et la terreur, parce qu'on ne sépare pas dans la pensée leur personne d'avec leur suite, qu'on y voit d'ordinaire jointe. Et le monde, qui ne sait pas que cet effet a son origine dans cette coutume, croit qu'il vient d'une force naturelle; et de là ces mots: Le caractère de la Divinité est empreint sur son visage, ete.

La puissance des rois est fondée sur la raison et sur la folie du peuple, et bien plus sur la folie. La plus grande❜ et la plus importante chose du monde a pour fondement la faiblesse et ce fondement-là est admirablement sûr'; car il n'y a rien de plus sûr que cela, que le peuple sera faible". Ce qui est fondé sur la seule raison est bien mal fondé, comme l'estime de la sagesse.

8.

Les Suisses s'offensent d'être dits gentilshommes, et

1 La machine. Pascal appelle ainsi cette partie de l'homme par laquelle il est machine, comme l'animal, et n'obéit pás à la réflexion, mais à l'instinct. (Cf. x, 4.)

« Et de là ces mots. » Comme il déshabille l'idole! Louis XIV commençait à peine de régner quand Pascal s'exprimait ainsi, et Pascal écrivait au fond de sa retraite. Quand parut l'édition de P. R., le roi avait passé trente ans, il était dans toute la splendeur de son règne; les poëtes, les écrivains, les orateurs mêmes de la chaire l'encensaient, et de telles pároles, tombant dans le public, auraient paru un blaspheme.

· La plus grande. » Pascal n'est pas un frondeur, il s'en faut bien; la royauté n'a pas un sujet plus fidèle. Mais sa philosophie l'emporte.

• Admirablement sûr. Pascal se trompait!

« Le peuple sera faible. Mais il peut changer de faiblesse.

Les Suisses s'offensent. Je ne sais où Pascal a pris cette assertica, qui est bien loin d'être exacte. Les Suisses ne se sont jamais offensés d'atre dits gentilshommes; nulle part au contraire l'esprit aristocraique n'est demeuré plus fortement enraciné que dans les cantons. On n'y a

prouvent la roture de race pour être jugés dignes de grauds emplois.

9.

On ne choisit pas pour gouverner un vaisseau celui des voyageurs qui est de meilleure maison.

Saint Augustin a vu qu'on travaille pour l'incertain, sur

jamais fait de preuve de roture pour les emplois, mais bien preuve de bourgeoisie; on est à la fois noble et bourgeois, c'est-à-dire membre de la cité. Un fait mal interprété de l'histoire de Bâle a pu donner lieu à cette méprise. Dans les petites républiques d'Italie, lorsqu'elles passèrent, au xiv• Siėele, du gouvernement des nobles à celui des corps d'état et des marchands, les nobles furent exclus à perpétuité des emplois, et, dans certaines villes, on ordonna que si une famille troublait l'ordre établi, elle serait inscrite, par décision des juges, au rôle des nobles, et déchue ainsi de tous ses droits à l'administration de la cité. (Sismondi, Républ. ital., t. IV, p. 96, 165.) Au reste, de telles lois ne contredisent point, comme paralt le supposer Pascal, le préjugé de la noblesse; elles le confirmeraient plutôt si elles ne tombaient pas avec le temps. Ces exclusions, contraires à l'égalité même qu'elles voulaient protéger, ressemblaient à celles qui frappent encore parmi nous les familles princières. La noblesse, dans ces républiques, était comme une royauté.

1 « On ne choisit pas. Dans les manuscrits du médecin Vallant, contemporain de Pascal, conservés à la Bibliothèque Nationale, se trouve un cahier de quelques pages portant pour titre, Pensées de M. Pascal. M. Faugêre a trouvé dans ce cahier le développement suivant de cette pensée : Les choses du monde les plus déraisonnables deviennent les plus rai» sonnables, à cause du déréglement des hommes. Qu'y a-t-il de moins » raisonnable que de choisir pour gouverner un État le premier fils d'une » reine? On ne choisit pas pour gouverner un bateau celui des voyageurs » qui est de meilleure maison; cette loi serait ridicule et injuste. Mais >parce qu'ils le sont et le seront toujours [ridicules et injustes], elle devient raisonnable et juste. Car qui choisira-t-on ? Le plus vertueux et le plus habile? Nous voilà incontinent aux mains: chacun prétend être le > plus vertueux et le plus habile. Attachons donc cette qualité à quelque » chose d'incontestable. C'est le fils aîné du roi; cela est net, il n'y a point de dispute. La raison ne peut mieux faire, car la guerre civile est le plus » grand des maux. Nicole a fondu cette rédaction dans le texte de son traité de la Grandeur, le partie, chap. 5. Voir tout le chapitre.

1 << Saint Augustin a vu qu'on travaille. » Le fond de cette pensée, que, même dans les choses humaines, on se conduit souvent d'après une simple croyance et sans certitude démonstrative, revient souvent dans saint Augustin, particulièrement dans les traités de Fide rerum quæ non videntur; de Fide, Spe et Charitate; de Utilitate credendi.

mer, en bataille, etc.; il n'a pas vu la règle des partis, qui démontre qu'on le doit 2. Montaigne a vu qu'on s'offense d'un esprit boiteux', et que la coutume peut tout *; mais il n'a pas vu la raison de cet effet. Toutes ees personnes ont vu les effets, mais ils ne voient pas les causes; ils sont à l'égard de ceux qui ont découvert les causes comme ceux qui n'ont que les yeux à l'égard de ceux qui ont l'esprit; car les effets sont comme sensibles, et les causes sont visibles seulement à l'esprit. Et quoique ces effets-là se voient par l'esprit, cet esprit est à l'égard de l'esprit qui voit les causes comme les sens corporels à l'égard de l'esprit.

10.

D'où vient qu'un boiteux' ne nous irrite pas, et un esprit boiteux nous irrite? A cause qu'un boiteux reconnaît que nous allons droit, et qu'un esprit boiteux dit que c'est nous qui boitons; sans cela nous en aurions pitié et non colère.

Épictète demande bien plus fortement pourquoi nous ne nous fâchons pas si on dit que nous avons mal à la tête, et que nous nous fâchons de ce qu'on dit que nous raisonnons mal, ou que nous choisissons mal. Ce qui cause cela, est que nous sommes bien certains que nous n'avons pas

1 «La règle des partis. » Sur la règle des partis, cf. x, 4.

2 « Qui démontre qu'on le doit. » uf. XXIV, 88.

3

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« Qu'on s'offense d'un esprit boiteux. » Voir le paragraphe suivant.

« Que la coutume peut tout. » Cf. III, 8.

« La raison de cet effet. » Voir les notes sur v, 2.

« Comme sensibles. » Il dit seulement comme sensibles, parce que ce sont des faits moraux qui se voient par l'esprit, ainsi qu'il le dit ensuite.

« D'où vient qu'un boiteux. » Mont., III, 8 (de l'Art de conferer), p. 425: « De vray, pourquoi, sans nous esmouvoir, rencontrons-nous » quelqu'un qui ayt le corps tortu et mal basti; et ne pouvons souffrir le » rencontre d'un esprit mal rengé sans nous mettre en cholere? »

8

<< Epictète demande. » Voir les Entretiens d'Épictète recueillis par Arrien, IV, 6.

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