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18.

Les choses qui nous tiennent le plus, comme de cacher son peu de bien, ce n'est souvent presque rien. C'est un néant que notre imagination grossit en montagne. Un autre tour d'imagination nous le fait découvrir sans peine.

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19.

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C'est l'effet de la force', non de la coutume; car ceux qui sont capables d'inventer sont rares; les plus forts en nombre ne veulent que suivre, et refusent la gloire aux inventeurs qui la cherchent par leurs inventions. Et s'ils s'obstinent à la vouloir obtenir, et mépriser ceux qui n'inventent pas, les autres leur donneront des noms ridicules, leur donneraient des coups de bâton'. Qu'on ne se pique donc pas de cette subtilité, ou qu'on se contente en soimême

1 « Nous le fait découvrir. » C'est-à-dire nous fait découvrir que c'est un néant.

2 « C'est l'effet de la force. » Cela se rapporte à quelque chose qui manque; mais on voit qu'il s'agit de la difficulté qu'il y a à produire des nouveautés, difficulté qui ne vient pas seulement de la coutume, mais de la force, que les nouveautés ont contre elles.

3 Des coups de bâton.» P. R. épargne au sage ces coups de bâton, qui ne sont pourtant qu'au conditionnel, et met seulement, On les traite de visionnaires. P. R. fait comme Sosie.

Pour des injures,

Dis-m'er tant que tu voudras

Mais Pascal n'a pas peur de se figurer les penseurs maltraités grossièrement par la force brutale. Cf. 43. C'est ainsi que Platon nous représente le philosophe souffleté par le méchant (Gorgias, pages 486, 527). Remarquez qu'après avoir parlé de noms ridicules, visionnaires serait bien faible. 4 « De cette subtilité. » De cette subtilité qui fait les inventeurs, qu fait qu'on secoue l'opinion commune

• « Qu'on se contente en soi-même. » C'est-à-dire qu'on se satisfasse dans son for intérieur, dans la conscience qu'on a de son génie, sans es sayer de le produire au dehors

ARTICLE VI,

I.

Toutes les bonnes maximes sont dans le monde : on ne manque qu'à les appliquer. Par exemple, on ne doute pas qu'il ne faille exposer sa vie pour défendre le bien public, et plusieurs le font; mais pour la religion, point'.

Il est nécessaire qu'il y ait de l'inégalité parmi les hommes, cela est vrai; mais cela étant accordé, voilà la porte ouverte non-seulement à la plus haute domination, mais à la plus haute tyrannie, Il est nécessaire de relâcher un peu l'esprit; mais cela ouvre la porte aux plus grands débordements. Qu'on en marque les limites. Il n'y a point de bornes dans les choses; les lois y en veulent mettre, et l'esprit ne peut le souffrir.

2.

La raison nous commande bien plus impérieusement qu'un maître car en désobéissant à l'un on est malheureux, et en désobéissant à l'autre on est un sot'.

1 « Mais pour la religion, point. » Plainte d'un janséniste, d'un sectaire, qui accuse le monde de ne pas se sacrifier pour ce qu'il regarde comme la vraie et pure foi.

« Il n'y a point de bornes. » Horace a dit tout le contraire: Est modua in rebus. A la rigueur, le corps non plus ne peut souffrir de bornes (comment fixer absolument la mesure du marcher, du manger? etc.). Cependant nous lui en fixons tous les jours. Il est donc possible d'en fixer aussi dans les choses de l'esprit, et Horace a eu raison.

« On est un sot. Combien ce tour est piquant! On attend ce qui peut être pire que d'être malheureux, et on trouve que c'est d'être un sot; et on s'en étonne d'abord, et à la réflexion on sent que cela est juste.

3.

Pourquoi me tuez-vous ? Eh quoi! ne demeurez-vous pas de l'autre côté de l'eau? Mon ami, si vous demeuriez de ce côté, je serais un assassin, cela serait injuste de vous tuer de la sorte; mais, puisque vous demeurez de l'autre côté, je suis un brave, et cela est juste.

4.

Ceux qui sont dans le déréglement disent à ceux qui sont dans l'ordre que ce sont eux qui s'éloignent de la nature, et ils la croient suivre : comme ceux qui sont dans un vaisseau croient que ceux qui sont au bord fuient. Le langage est pareil de tous côtés. Il faut avoir un point fixe pour en juger. Le port juge ceux qui sont dans le vaisseau; mais où prendrons-nous 2 un port dans la morale?

5.

Comme la mode fait l'agrément, aussi fait-elle la justice.

6.

La justice' est ce qui est établi; et ainsi toutes nos lois établies seront nécessairement tenues pour justes sans être examinées, puisqu'elles sont établies.

1 « Pourquoi me tuez-vous?» Cf. III, 8 : « Se peut-il rien de plus » plaisant qu'un homme ait droit de me tuer parce qu'il demeure au-delà » de l'eau, et que son prince ait querelle avec le mien, quoique je n'en aie aucune avec lui. On voit que le plaisant de cette idée a saisi l'imagination de Pascal, et ce qui n'était qu'une proposition, est devenu un dialogue plein de verve satirique. Remarquons pourtant que même dans la guerre on a le droit de tuer, mais non pas d'assassiner.

2 a Le port juge... mais où prendrons-nous. » C'est absolument la même idée et le même tour qu'on a vus déjà, III, 2: « La perspective >> l'assigne dans l'art de la peinture; mais dans la vérité et dans la morale, qui l'assignera? »

« La justice. » Cf. 111, 8.

7.

Les seules règles universelles sont les lois du pays aux choses 2 ordinaires; et la pluralité aux autres'. D'où vient cela? de la force qui y est *.

Et de là vient que les rois, qui ont la force d'ailleurs, ne suivent pas la pluralité de leurs ministres.

Sans doute l'égalité des biens est juste; mais, ne pouvant faire qu'il soit force d'obéir à la justice, on a fait qu'il soit juste d'obéir à la force; ne pouvant fortifier la justice, on a justifié la force, afin que le juste et le fort fassent ensemble, et que la paix fût, qui est le souverain bien.

Summum jus, summa injuria.

La pluralité est la meilleure voie, parce qu'elle est visible, et qu'elle a la force pour se faire obéir; cependant c'est l'avis des moins habiles'.

Si on avait pu, on aurait mis la force entre les mains de la justice mais comme la force ne se laisse pas manier

2

« Les seules règles universelles. » Cf. 111, 8.

« Aux choses. » Nous dirions aujourd'hui, dans les choses.

3 « Aux autres. » Dans les cas qui, ne se présentant pas ordinairement, n'ont pas été prévus par les lois.

4 « De la force qui y est. » Non, mais de la probabilité que c'est là qu'est la justice. Cf. v, 4.

5 << Sans doute l'égalité des biens.» Affirmation aussi téméraire que tranchante. Il serait juste que tout le monde eût le même bien, comme il serait juste aussi, à ce qu'il semble, que tout le monde est la même santé, le même talent, la même bonté de caractère, fût également puissant, également honoré, entouré des mêmes affections. Si pourtant ces diverses égalités ne sont ni possibles, ni raisonnables à supposer, peuton penser que l'égalité des biens soit plus praticable, ou même plus naturelle et plus juste? Cf. 50.

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« Summum jus. » Pascal veut dire que ce qu'on appelle justice n'est donc pas vraiment juste, puisque la rigueur du droit n'est qu'iniquité.

1 « Des moins habiles. » Il y a là confusion. Les habiles sans doute sont en petit nombre, mais rien n'empêche qu'ils ne soient compris dans la pluralité; et au contraire il y a présomption que c'est eux que la pluralité a suivis. Cf. v,

4.

comme on veut, parce que c'est une qualité palpable, au lieu que la justice est une qualité spirituelle dont on dispose comme on veut, on a mis la justice entre les mains de la force; et ainsi on appelle juste ce qu'il est force d'ob

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8.

Il est juste1 que ce qui est juste soit suivi : il est nécessaire que ce qui est le plus fort soit suivi. La justice sans la force est impuissante; la force sans la justice est tyrannique. La justice sans force est contredite, parce qu'il y a toujours des méchants : la force sans la justice est accusée. Il faut donc mettre ensemble la justice et la force; et pour cela faire que ce qui est juste soit fort, et que ce qui est fort soit juste.

La justice est sujette à disputes: la force est très-reconnaissable et sans dispute. Ainsi on n'a pu donner la force à la justice, parce que la force a contredit la justice et a dit qu'elle était injuste, et a dit que c'était elle qui était juste: et ainsi ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort fût juste.

2

9.

Quand il est question de juger si on doit faire la guerre et tuer tant d'hommes, condamner tant d'Espagnols' à la mort, c'est un homme seul qui en juge, et encore intéressé : ce devrait être un tiers indifférent.

« Il est juste.» En titre : Justice, Foros.

2 « Et ainsi ne pouvant faire. » De telles paroles ont dû être inspirées à Pascal par les persécutions dont P. R. était l'objet de la part des pouvoirs établis. La Sorbonne, le Conseil du Roi n'avaient pas raison, mais ils étaient les plus forts, et ils avaient fait que ce qui était fort fût juste. Voir dans les Pensées de Nicole la 73: La religion chrétienne attachs sans erreur la justice à la force.

3 a Tant d'Espagnols. » Il semble que cela a pu être écrit vers le temps des négociations qui aboutirent au traité des Pyrénées, et que Pascal

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