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défendre celles qu'ils veulent conserver , parce qu'ils manquent de principes ou plutôt parce qu'ils ne gardent ces vérités qu'en dépit de leurs propres principes. Il est donc de la plus haute importance de chercher, à l'aide de la science , à restituer aux principes sacrés des mœurs leur véritable caractère et à les asseoir sur une base scientifique inébranlable. Telle est aujourd'hui la mission d'une bonne philosophie morale.

S VII. Division de la morale.

Nous divisons la morale en deux parties, dont la première pourra se nommer morale générale ou théorique, la seconde morale spéciale ou pratique ; celle-la établit et discute les rapports généraux et théoriques du Bien avec la volonté créée , celle-ci particularise et applique ces principes aux différents ordres de relations que l'homme soutient. La seconde partie n'est qu'une application de la première.

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L'idée du bon ou du bien est toujours présente à l'esprit de l'homme, elle luit incessamment aux regards de sa raison. Quel est l'homme, en effet, à qui il n'arrive chaque jour de prononcer en lui-même ce jugement moral : cette action est bonne, voilà une bonne action, ou encore : cette action est mauvaise , voilà une mauvaise action? Or il ne serait pas possible de parler ainsi et de s'entendre soi-même, si l'on n'avait présente à l'esprit l'idée du hon, à laquelle on compare, comme à sa règle suprême, cette action que l'on apprécie; on la déclare bonne ou mauvaise suivant qu'elle parait conforme ou opposée à cette bonté que la raison aperçoit sans cesse et que tous les esprits voient partout la même.

Mais quelle est cette bonté que mon esprit aperçoit constanment et à laquelle il mesure tous les actes libres de l'homine?

à Quelle est la nature de cette idée du bon ? Quels en sont les caractères? D'abord il est manifeste que l'idée du bien est une idée sui generis, laquelle se distingue de toute autre idée. Le bien ne peut se confondre ni avec l'agréable, ni avec l’utile,

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ni avec le beau, ni avec le vrai. L'agréable est ce qui plait aux sens; il a sa mesure dans la partie sensible de notre étre, il n'existe même que dans la sensibilité, il change, varie et passe avec elle : le bien est supérieur à la sphère de la sensibilité tant interne qu'externe. – L'utile n'a pas sa fin en soi, il est toujours rapporté à autre chose, tandis que le bien veut être aimé pour lui-même (1). Le beau n'a point, comme le bien, un rapport direct et nécessaire à la volonté; nous en dirons autant du vrai, qui, en tant que vrai, est l'objet, non de la volonté, mais de l'intelligence.

Le bien est donc vraiment une idée sui generis.

Mais quels sont les traits généraux sous lesquels le bien se révèle à notre esprit ? L'examen attentif de ces traits va nous montrer que le bien considéré en soi n'est point distinct de Dieu lui-même.

Le bien se présente-t-il à notre raison comme quelque chose de changeant, de passager, de temporaire, de contingent, de relatif, pouvant exister en Europe et non en Asie, en deçà et non au delà du Rhin ? Rien de semblable ne se remarque dans l'idée du bien ; il nous apparait immuable, absolu, nécessaire et éternel. Cette proposition est de la dernière évidence aux yeux de quiconque réfléchit un instant. Il est visible que le bien ne dépend ni des temps, ni des lieux, qu'il ne varie ni avec les climats, ni avec les âges. Au fond, tout le monde est d'accord à cet égard, C'est pour cela que ce qui est regardé comme essentiellement conforme à la règle du bien est proclamé bon dans tous les pays et dans tous les siècles. Ce qui est intrinsèquement bon ici est bon partout. Obéir aux lois justes, honorer ses parents, soulager ceux qui souffrent, voilà des actes que mon esprit proclame bons dans tous les lieux du monde. Le bien ne change pas plus avec les temps qu'avec les lieux. Dites-vous jamais en parlant d'un acte que vous jugez bon intrinsèquement : cet acte fut bon - cet acte sera bon?

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(1) « Quamquam, dit S. Augustin , omne honestum utile, et omne utile honestum esse, subtiliter defendi queat; tamen quia magis proprie et usitatius honestum dicitur quod pter seipsum expetendum est, utile autem quod ad aliud aliquid referendum est... » De diversis quæstt. 83, 9. 30.

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Votre raison vous permet-elle de dire sérieusement : il était bon hier d'étre juste il sera bon demain d'être bienfaisant? Votre esprit se refuse à admettre un tel langage, et il vous oblige à dire : il est bon d'être juste, il est impossible qu'il n'en soit pas ainsi. Et pourquoi parlez-vous de la sorte ? Parce que cette idée, ce type du bien, que votre raison aperçoit, se révèle à vous revêtu des caractères de la nécessité et de l'immutabilité, et tout ce qui est conforme à ce type, vous êtes contraint de le nommer hon. Il vous est tout aussi impossible d'exprimer par le passé ou le futur les principes que je viens d'énoncer, qu'il le serait de le faire de cette vérité mathématique : sept et trois font dix; de part et d'autre ce sont des vérités nécessaires et absolues, supérieures à la loi du temps et de la succession.

Nul doute sur ce point, ce type du bon toujours présent à notre intelligence est immuable, nécessaire, absolu; il subsiste indépendant de tous les temps, il est éternel. Entrainé par une évidence irrésistible, j'affirme sans crainte que ce type absolu était avant ma naissance, qu'il était il y a trente siècles, qu'il existerait lors même qu'il n'y aurait aucune intelligence humaine pour le voir et le comprendre. Qui donc me persuadera que cette bonté absolue que mon esprit aperçoit sans cesse dépend de moi, a son siége propre en moi et qu'elle n'est qu'une propriété ou un produit de mon âme? Mais loin de se confondre avec moi et de dépendre en quelque chose de ma pensée, c'est elle qui me domine, me corrige et me redresse quand je m'égare : elle est la bonté, et moi je ne suis point la bonté; je ne puis être que bon, et même pour être bon, je sens que je dois me conformer à elle. Je vois donc très-clairement qu'elle est au-dessus de moi, indépendante de moi, et que, fussé-je anéanti, elle ne périrait point '

avec moi. Elle se révèle à mon esprit comme une chose qui ne dépend ni de lui ni d'aucun esprit semblable, mais de laquelle au contraire tout esprit dépend et relève dans ses jugements moraux. Elle m'apparaît comme nécessaire, immuable, supérieure aux révolutions de l'espace et du temps; et je vois que, quand même tous les esprits semblables au mien cesseraient d'exister, elle ne disparaitrait pas avec eux, parce qu'il est trop évident pour

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moi qu'elle ne peut pas ne pas exister. Nous pouvons appliquer à l'idée du bien ces paroles par lesquelles Bossuet définit les vérités nécessaires : « J'entends , dit-il, par ces principes de vérités éternelles, que quand aucun autre être, que l'homme et moi-même ne serions pas actuellement, quand Dieu aurait résolude n'en créer aucun autre, le devoir essentiel de l'homme, dès là qu'il est capable de raisonner , est de vivre selon la raison, et de chercher son auteur, de peur de lui manquer de reconnaissance, si, faute de le chercher, il l'ignorait. Toutes ces vérités, et toutes celles que j'en déduis par un raisonnement certain, subsistent indépendamment de tous les temps : en quelque temps que je mette un entendement humain, il les connaitra, mais en les connaissant, il les trouvera vérités, il ne les fera pas telles ; car ce ne sont pas nos connaissances qui font leurs objets, elles les supposent. Ainsi ces vérités subsistent devant tous les siècles, et devant qu'il y ait eu un entendement humain; et quand tout ce qui se fait par les règles des proportions, c'est-à-dire, tout ce que je vois dans la nature, serait détruit, excepté moi, ces règles se conserveraient dans ma pensée; et je verrais clairement qu'elles seraient toujours bonnes et toujours véritables, quand moi-même je serais détruit, et quand il n'y aurait personne qui serait capable de les comprendre (1). »

Il nous reste maintenant à tirer la conclusion qui ressort immédiatement des prémisses que nous venons d'établir.

Si ce type du bon d'après lequel nous jugeons tous les actes qui émanent de la libre volonté est immuable, absolu, nécessaire, éternel, il doit résider dans un être également absolu, nécessaire et éternel; et cet être c'est Dieu. « Si je cherche maintenant, dit Bossuet en parlant des idées nécessaires en général, où et en quel sujet elles subsistent éternelles et immuables, comme elles sont, je suis obligé d'avouer un être, où la vérité est éternellement subsistante, et où elle est toujours

(1) De la connaissance de Dieu et de soi-même, ch. iv, $ 5. – Voyez aussi dans le Traité de l'existence et des attributs de Dieu, de Fénelon, la théorie des idées et de la raison, part. I, chap. 11, et part. II, chap. IV. Édit. de M. Gosselin , Lyon-Paris 1843.

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