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autorité que celle de la raison qui les aperçoit et les proclame (1). »

Or l'existence de Dieu est assurément un dogme religieux, c'est le premier dogme de la religion ; donc, suivant le chef de l'Eclectisme, la morale subsisterait indépendante du dogme de l'existence de Dieu.

Cependant dans l'ouvrage qu'il a publié tout récemment sous ce titre : Du Vrai, du Beau et du Bien (2), M. Cousin reconnaît et affirme que l'idée du Bien, comme toutes les idées nécessaires et absolues, subsiste et ne peut subsister qu'en Dieu , seul étre nécessaire et absolu (5). Mais s'il en est ainsi, pourquoi hésiter encore à placer Dieu à la tête de l'ordre moral aussi bien qu'à la tête de l'ordre religieux ?

Plusieurs des disciples de M. Cousin affirment clairement cette indépendance absolue de l'ordre moral. Jouffroy, la plus forte intelligence de cette école, place le fondement de la loi morale dans l'ordre universel de la création, c'est-à-dire dans l'ensemble des fins de tous les êtres créés : cet ordre universel est absolu à ses yeux, il oblige par lui-même et indépendamment de Dieu. L'ordre universel, dit l'auteur, est « une loi qui se légitime par elle-même, qui oblige immédiatement, qui n'a besoin , pour se faire respecter et reconnaitre, d'invoquer rien qui lui soit étranger, rien qui lui soit antérieur ou supérieur (4). » Jouffroy ajoute un peu plus loin : « Cette idée de l'ordre elle-même, si haute qu'elle soit, n'est pas le dernier terme de la pensée humaine, elle fait un pas de plus et s'élève jusqu'à Dieu qui a créé cet ordre universel, et qui a donné à chaque créature qui y concourt sa constitution, et par conséquent sa fin et son bien. Ainsi rattaché à sa substance éternelle, l'ordre sort de son abstraction métaphysique et devient l'expression de la pensée divine : dès lors aussi la morale montre son côté religieux. Mais il n'était pas besoin qu'elle le montrat

(1) (Euvres de Platon, traduites par M. Cousin, tom. 1. (2) Paris 1854.

(3) Voyez Leçon IVe : Dieu principe des principes; et Leç. XVI: Dieu principe de l'idée du bien. (4) Cours de droit naturel, leç. II', tom. I, p. 50.

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pour qu'elle füt obligatoire. Au delà de l'ordre, notre raison n'aurait pas vu Dieu, que l'ordre n'en serait pas moins sacré pour elle ; car le rapport qu'il y a entre notre raison et l'idée d'ordre subsiste indépendamment de toute pensée religieuse. Seulement, quand Dieu apparait comme substance de l'ordre, si je puis parler ainsi, comme la volonté qui l'a établi, comme l'intelligence qui l'a pensé, la soumission religieuse s'unit à la soumission morale, et par là encore l'ordre devient respectable (1). »

Il est donc nianifeste que Jouffroy estime la morale indépendante de Dieu : sans doute elle est étroitement unie à la religion, elle se rattache à Dieu; mais pourtant elle subsiste par elle-même, elle a une valeur absolue, elle est indépendante de tout dogme religieux.

M. Saisset professe la même doctrine dans sa Morale (2). Cette doctrine de la morale abstraite et indépendante de la religion est tellement répandue aujourd'hui, que M. Guizot luimême n'a pas craint de s'exprimer ainsi sur ce point : « Pour ceux d'entre vous qui ont fait des études philosophiques un peu étendues, il est, je crois, évident aujourd'hui que la morale existe indépendamment des idées religieuses; que la distinction du bien et du mal moral , l'obligation de fuir le mal, de faire le bien, sont des lois que l'homme reconnaît dans sa propre nature aussi bien que les lois de la logique, et qui ont en lui leur principe comme, dans sa vie actuelle, leur application (5). »

Cette doctrine des rationalistes français est insoutenable en philosophie. Elle trouve sa réfutation dans ce que nous avons dit en parlant de Kant et dans les principes que nous avons établis précédemment sur la loi morale : l'ordre moral, bien loin d'être indépendant de l'ordre religieux, n'en est pas même distinct; car la loi qui lui sert de base se confond nécessairement avec Dieu. De l'aveu de tous ces auteurs, la loi morale

)

(1) Loc. cit. p. 55–54. (2) Morale, v. 8 1, dans le Manuel de philosophie d l'usage des colléges.

(5) Histoire de la civilisation en Europe, ve leçon; p. 153 de l'édition de Bruxelles 1835.

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est nécessaire, immuable, absolue : donc elle ne peut subsister que dans un être également nécessaire, immuable, absolu: et cet Être est Dieu. C'est ce que M. Jules Simon 'lui-même, l'un des meilleurs écrivains de l'école rationaliste française, vient enfin de reconnaître. Dans son livre intitulé Le Devoir, il affirme et prouve comme nous que la justice, qu'il identifie avec la loi morale, étant nécessaire et absolue, ne saurait être qu'un attribut de Dieu. Citons quelques-unes de ses paroles : « La justice, dit-il, est un attribut. — Attribut de qui ? D'un être nécessaire, puisqu'elle est nécessaire; et puisqu'elle est éternelle, d'un être éternel. Elle est donc un attribut de la substance divine. En d'autres termes , Dieu est la substance de la justice. Le véritable réalisme consiste à voir en Dieu la substance de toutes les idées de la raison. Ou plutôt, les idées de la raison ne sont autre chose que Dieu même. Leur commune réalité est d'appartenir également à la substance divine. Elles sont les formes diverses sous lesquelles Dieu nous apparait (1).»

Nous ajouterons un mot sur la théorie particulière de Jouffroy. Pour comprendre le vice radical de cette théorie , il suffit d'observer que l'ordre universel, en tant que créé (et c'est ainsi que Jouffroy l'envisage) et considéré à part de l'intelligence et de la volonté divines, ne présente plus aucun des caractères que l'auteur lui-même attribue à la loi morale. Cet ordre, détaché de Dieu qui le conçoit et le pose, est quelque chose de créé, par conséquent de relatif et de contingent; il n'a plus rien de nécessaire, d'absolu, d'immuable; et dès lors il est destitué de toute valeur.

Avant de terminer cet article, nous croyons utile de dire un mot d'une doctrine analogue à celle de Jouffroy, et que l'on rencontre chez des moralistes qui d'ailleurs n'ont rien de commun avec le rationalisme.

Un grand nombre d'auteurs font dériver la loi morale le droit naturel ---- de ce qu'ils appellent la nature des choses ou l'essence des êtres. Pour que cette théorie soit exacte,

il faut considérer la nature ou l'essence des choses, non pas seu

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(1) Le Devoir, p. 125-126. Paris 1834.

lement en soi, mais unie à Dieu, c'est-à-dire en tant qu'elle est conçue et voulue par Dieu. Si l'on envisage la nature des choses isolée, séparée de Dieu , elle n'offre plus rien de nécessaire ni d'absolu; elle cesse par conséquent d'avoir une valeur obligatoire. C'est ce que n'ont pas assez remarqué la plupart des défenseurs de cette doctrine. Aussi plusieurs sont-ils tombés dans les plus graves inexactitudes. C'est ainsi que Grotius, égaré par des abstractions, a écrit que le droit naturel, parce qu'il est fondé sur l'essence des choses, subsisterait quand même il n'y aurait pas de Dieu (1). Plusieurs autres philosophes et théologiens, dans la vue de faire mieux ressortir ce caractère de nécessité et d'absolu que présente la morale, ont

comme Grotius, jusqu'à se demander si ces idées morales existeraient alors même qu'il n'y aurait pas de Dieu; question ridicule pour qui l'examine de près. Ces auteurs ne prenaient pas garde que toute idée nécessaire et absolue ne peut subsister que dans l'Être nécessaire et absolu. « Feu M. Jacques Thomasius, dit très-bien Leibniz à ce sujet, n'a pas mal observé qu'il n'est pas à propos d'aller tout-à-fait au-delà de Dieu, et qu'il ne faut point dire avec quelques scotistes, que les vérités éternelles subsisteraient, quand il n'y aurait point d'entendement, pas même celui de Dieu. Car c'est, à mon avis, l'entendement divin qui fait la réalité des vérités éternelles, quoique sa volonté n'y ait point de part. Toute réalité doit être fondée dans quelque chose d'existant. Il est vrai qu’un athée peut être géomètre. Mais s'il n'y avait point de Dieu, il n'y aurait point d'objets de la géométrie. Et sans Dieu non-seulement il n'y aurait rien d'existant, mais il n'y aurait même rien de possible (2). »

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(1) « Et hæc quæ jam diximus, locum aliquem haberent, etiamsi daremus, quod sine summo scelere dari nequit, non esse Deum. » De jure belli et pacis, Prolegom. n. 11.

(2) Théodicée, Ilo part. n. 184.

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SIV. De la doctrine qui fait dériver la loi morale de la libre

volonté de Dieu.

La doctrine dont nous allons parler est précisément l'inverse de celle que nous venons de discuter; elle fait dépendre la morale non-seulement de l'être de Dieu , mais de sa libre volonté.

Au moyen-âge il se rencontra quelques philosophes qui soutinrent que la distinction entre le bien et le mal repose sur la libre volonté de Dieu. Parmi eux on cite surtout Okkam, le fameux chef du nominalisme au xive siècle. Leibniz parle de plusieurs théologiens protestants qui ont défendu la mème doctrine. Il cite Retorfort, qui affirmait positivement « que rien n'est injuste ou moralement mauvais par rapport à Dieu et avant sa défense : ainsi, poursuit Leibniz, sans cette défense il serait indifférent d'assassiner ou de sauver un homme. d'aimer Dieu ou de le haïr, de le louer ou de le blasphemer (1). » Puffendorf semble avoir eu une opinion analogue; mais Leibniz observe qu'il ne doit pas être compté, parce qu'il n'était pas entré assez avant dans ces sortes de matières (2). Crusius (1712-1775) a soutenu les mêmes principes avec beaucoup d'éclat. Aujourd'hui certains écrivains catholiques, peu initiés aux grands travaux de la philosophie et de la théologie chrétienne, semblent vouloir ressusciter cette étrange théorie.

Dans ce système la loi morale a pour unique fondement la volonté libre de Dieu; dans l'ordre tout entier de la morale une chose est bonne, parce que Dieu l'a voulu ainsi; il eût pu le vouloir autrement, et dès lors cette même chose eûl été mauvaise. Or cette doctrine est fausse, elle mène directement à la négation de Dieu. La chose n'est point difficile à saisir. En effet, si Dieu pouvait déterminer librement ce qui constitue la nature du bien et du mal, il s'ensuivrait qu'il peut altérer sa propre essence et ses attributs, que par conséquent il n'est pas immuable. Car ce qui constitue le bien dans son fonde

(1) Théodicée, Ile part. n. 176. (2) Loc. cit. n. 182.

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