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Lettre à un Journaliste.

MONSIEUR.

Vous dites en rendant compte des Promenades d'un solitaire, que cet ouvrage est d'un homme de bien, et je suis très-sensible à cet éloge. Mais il m'est impossible de partager votre opinion quand vous me reprochez de manquer de méthode. J'avais répondu à cette critique au commencement de mon livre. En désirant que j'eusse écrit un autre ouvrage dans lequel j'aurais fait entrer la plupart des idées, qui se trouvent dans celui que j'ai publié, il me paraît que vous désirez l'impossible. Connaissez-vous une matière unique qui contienne' toutes les matières ? Comment aurais-je pu trouver un centre, puisque je n'avais pas l'in

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tention de tracer un cercle, mais une multitude de petits cercles plus ou moins excentriques? Je parle, dans mon livre, de morale, de métaphysique, de théologie, de politique, d'art dramatique, de musique, de théisme, d'athéisme, de plusieurs doctrines philosophiques, etc., et, par conséquent, je ne pouvais faire de tout cela un livre comme vous l'entendez. Si mes mélanges sont mauvais, j'ai eu tort de les livrer à l'impression; mais s'ils sont instructifs, amusans et écrits de manière à donner à penser au lecteur, ce qui a été mon intention, je ne crois pas qu'on soit fondé à les critiquer sous le rapport de la forme indépendante que j'ai adoptée. D'ailleurs, monsieur, je ne suis pas l'inventeur des mélanges, et je le serais même que je ne croirais avoir offensé ni le bon goût, ni la raison. Montaigne a beaucoup moins de méthode que moi, car j'en ai au moins dans chacun de mes chapitres, au lieu que lui n'en a nulle part. Mais Montaigne, comme vous

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le dites, est un de ces esprits privilégiés à qui il est donné de s'en passer : à cela je n'ai rien à répondre, sinon que les morts ont presque toujours raison contre les vivans. Je conviens cependant que le philosophe périgourdin se fait pardonner son absence totale de méthode, par une profondeur peu commune et un style piquant et original; mais, abstraction faite de ces considérations que je suis loin de m'appliquer, si vous avez raison contre moi, on est également fondé à dire de Montaigne qu'il aurait dû se tracer à l'avance un plan judicieux, dans lequel la plupart de ses réflexions eussent naturellement trouvé place. Il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée; en d'autres termes, il ne faut pas avoir deux poids et deux mesures. Si le plan des Essais est bon, celui des Promenades d'un solitaire n'est pas mauvais. Vous sentez, monsieur, que je n'ai nullement l'intention d'élever mon ouvrage à côté de celui de Montaigne. Je sais me rendre justice, mais rendez-la moi aussi,

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et convenez que mes chapitres sont une suite d'opinions et de doctrines dont il était impossible de faire un tout homogène, un autre livre enfin que celui

que j'ai publié.

Daignez agréer, etc.

Paris, le 29 août 1829.

OU

SUITE DES PROMENADES

D'UN SOLITAIRE.

LIVRE PREMIER.

CHAPITRE PREMIER.

AVERTISSEMENT.

J'AVERTIS le lecteur qu'il trouvera dans ce livre,
comme dans le premier recueil que j'ai publié
sous le même titre, l'expression franche et sin-
cère de mes opinions. On est excusable de man-
quer de talent, mais on ne l'est jamais de manquer
de bonne foi.

Parmi les matières que j'effleure en passant, et
toujours le plus laconiquement qu'il m'est possible,

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