Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

<< les autres peuples, la liberté de suivre leurs. imaginations. >>>

Au lieu de ces mots: Cette contrainte lasse ces bons Pères, les éditeurs ont dit: Il y a des gens que cette contrainte lasse. Les jésuites disparaissent ici devant la prudence de Port-Royal pour faire place à des personnages anonymes auxquels Pascal n'avait point songé.

De même qu'on retranchait tout ce qui attaquait, ou pouvait choquer les jésuites, on supprima aussi avec soin tout ce qui eût semblé porter atteinte au pouvoir de la papauté et à l'orthodoxie catholique. Sous ce rapport, les éditeurs de Port-Royal ne furent que trop bien secondés par les pieux théologiens qui furent chargés d'approuver le livre des Pensées.

Aucun ouvrage de religion ne pouvait alors paraître, sans avoir été examiné et approuvé par un certain nombre de docteurs. L'auteur ou l'éditeur choisissait lui-même1 ses approbateurs; mais il était d'usage, si l'ouvrage s'imprimait à Paris, que ces approbateurs fussent pris, du moins en partie, dans la faculté de théologie. Cette approbation n'en était pas moins une véritable cen

sure.

'On voit, dans un entretien qui eut lieu entre l'archevêque de Paris et le libraire Desprez, à l'occasion du livre même des Pensées, que l'archevêque trouvait beaucoup à redire à cette faculté laissée aux éditeurs de choisir eux-mêmes leurs approbateurs, et qu'il se proposait de faire cesser ce qu'il appelait un abus. (Voy, Appendice, no IX.)

La première édition des Pensées est précédée de neuf approbations, signées de trois évêques, d'un archidiacre et de treize docteurs de Sorbonne, parmi lesquels on distinguait M. Fortin, proviseur du collège d'Harcourt, et M. Le Camus, aumônier du roi.

Or, chacun de ces nombreux approbateurs fit ses remarques, ses corrections, et même ses suppressions, afin de donner à l'œuvre posthume de Pascal le plus haut degré d'orthodoxie. La preuve en est dans une lettre que l'évêque de Comminges écrivait à M. E. Perier le fils, pour le remercier de l'honneur qu'il lui avait fait de vouloir que son nom parût dans cet excellent ouvrage (les Pensées). « Pour « les endroits, monsieur, sur lesquels j'ai proposé des doutes, j'ai sujet, ajoutait l'évêque, « de me louer de la bonté de ceux qui ont pris « soin de l'impression; et ils ont bien voulu avoir << assez de condescendance pour faire les changements qui m'ont paru nécessaires, etc. '. »

[ocr errors]

Il faut voir aussi une lettre d'Arnauld au même E. Perier, dans laquelle il est question des difficultés que faisait M. Le Camus, l'un des approbateurs : « Je n'ai pu vous écrire plus tôt, ni con«férer avec ces messieurs, sur les difficultés de « M. l'abbé Le Camus. J'espère que tout s'ajustera, et que, hormis quelques endroits qu'il

Lettre du 21 janvier 1670. Voyez Appendice, n° VI.

« sera absolument bon de changer, on les fera conve<«< nir de laisser les autres comme ils sont, etc. '. >>>

A ces témoignages, il faut ajouter encore un extrait de la relation, adressée par le libraire Desprez à Perier le père, d'un entretien qui eut lieu entre ce libraire et l'archevêque de Paris. L'archevêque dit à Desprez qu'un fort habile homme lui avait dit « qu'il avait lu le livre de M. Pascal, « et qu'il fallait être d'accord que c'était un livre << admirable; mais qu'il y avait un endroit où il y «< avait quelque chose qui semblait favoriser la « doctrine des jansénistes, et qu'il valait bien << mieux faire un carton que d'y laisser quelque «< chose qui en pût troubler le débit; qu'il en se«rait fâché, à cause de l'estime qu'il avait pour « la mémoire de feu M. Pascal.

« Je lui exprimai de mon mieux, ajoute Des« prez, que pour ce que lui avait dit cette per<«< sonne, je ne lui en pouvais pas parler, parce « que cela n'était pas de mon métier; mais que je << le pouvais assurer que, depuis qu'on imprime, «< on n'avait point imprimé de livre qui ait été « examiné avec plus de rigueur et plus de sévé« rité que celui-là; que les approbateurs l'avaient gardé six mois pendant lesquels ils l'avaient lu <«< et relu, et que tous les changements qu'ils ont << trouvé à propos de faire, on les avait faits sans

[ocr errors]
[ocr errors][merged small]

<< en excepter un seul; que personne ne pouvait « lui en rendre un compte plus exact que moi, << d'autant que M. votre fils m'avait chargé du « soin de ces approbations; que c'était moi qui << en avais été le solliciteur auprès de messei« gneurs les prélats et de messieurs les docteurs; «< que c'était pourquoi je pouvais lui en parler «< positivement, et partant qu'il devait être assuré qu'on n'y avait rien laissé passer qui pût com« promettre, ni celui qui en était l'auteur, ni sa « mémoire 1. »

[ocr errors]

Les approbateurs, comme on voit, ne se bornèrent pas à de simples attestations de complaisance ils remplirent un véritable office de censeurs. Ils ne furent pas les seuls; les amis de Pascal, c'est-à-dire Arnauld, Nicole, le duc de Roannez 2, auxquels il faut joindre Dubois de Lacour et M. de Brienne, ainsi qu'Étienne Perier, neveu de Pascal, donnèrent des soins à la première édition des Pensées, et se crurent le droit de modifier à leur gré le style, et quelquefois même la pensée de Pascal.

Ier Recueil MS. du Père Guerrier.

-

Nous reproduisons, dans l'Appendice, no IX, d'après ce MS., les passages les plus intéressants de la relation de Desprez, qui est un curieux document, non-seulement pour l'histoire des Pensées, mais encore pour celle de la liberté de la presse au XVIIe siècle. Cette relation n'a été publiée qu'en abrégé dans le Recueil de plusieurs pièces pour servir à l'histoire de Port-Royal (par Barbot). Utrecht, 1740.

2 Domat était alors à Clermont.

Ces fragments, que la maladie et la mort avaient laissés inachevés, subirent, sans cesser d'être immortels, toutes les mutilations et les altérations qu'une prudence exagérée et un zèle malentendu pouvaient suggérer : les unes, causées par le même scrupule d'orthodoxie qui avait dirigé les approbateurs; les autres, inspirées par le désir d'éclaircir, d'améliorer, d'embellir même le style de l'auteur des Provinciales.

Le style de Pascal! Qui donc, parmi ses amis ou ses contemporains, eût pu toujours comprendre ce style naïf, qui est tellement identifié avec l'âme de l'écrivain, qu'il n'est que la pensée elle-même, parée de sa chaste nudité comme une statue antique? Seuls, peut-être, Corneille et Bossuet eussent accepté, sans crainte d'offenser le goût, les expressions simples et hardies qui abondent sous la plume de Pascal, surtout lorsqu'il jette rapidement les grands traits d'une première esquisse.

Les écrits de Marguerite Perier signalent le duc de Roannez comme ayant eu le plus de part à la première édition des Pensées. On conçoit que M. de Roannez, l'ami passionné de Pascal, se soit montré le plus zélé à réclamer cette publication; mais il n'est nullement probable que le jeune duc ait eu la principale part à la révision en quelque sorte littéraire des fragments laissés par Pascal. Il est plùs naturel de penser qu'il abandonna cette tâche à ceux à qui elle revenait

« ZurückWeiter »