Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

noncé pour les lettres ne fut ni entravé ni affaibli par un séjour prolongé dans les camps, et par les soucis et les déboires de sa carrière administrative; il sut même mener de front et les devoirs impérieux de l'homme d'État et les études littéraires auxquelles il consacrait tous ses loisirs. L'époque où il vécut, les circonstances difficiles qu'il eut à traverser, les intrigues de cour contre lesquelles il fut obligé de lutter, influèrent très-peu sur sa vie littéraire et scientifique; car Grégoire Magistros, par sa persévérance, par sa patience et par son habileté, sut toujours se tirer des mauvaises situations où il s'était trouvé souvent engagé malgré lui. Chrétien fervent et philosophe sincère, il se consola toujours de ses disgrâces en demandant à l'étude, au travail et à la méditation un soulagement contre les rigueurs du sort et les ennuis de l'exil. On est même surpris que les préoccupations conti nuelles de son existence sans cesse agitée aient permis à Grégoire Magistros de pouvoir consacrer aux études littéraires le peu de loisirs que lui laissaient ses charges et ses emplois. Vivant à une époque où la langue nationale était en pleine décadence, Grégoire Magistros s'entoura de tous les chefsd'œuvre qui formaient alors le fonds de la littérature de l'Arménie; il fit plus, il apprit le grec et le syriaque, rassembla des manuscrits écrits dans ces deux langues et traduisit en arménien, comme il nous l'apprend、 lui-même dans sa correspondance, plusieurs ouvrages d'une importance capitale. Grégoire Magistros fut témoin de la chute du trône de ses souverains légitimes, les Bagratides d'Ani, arrivée vers le milieu du x1° siècle de notre ère. A cette époque l'Arménie, envahie de tous côtés par les Musulmans, ayant à lutter contre le despotisme de la cour de Byzance, perdait chaque jour de son caractère national. La foi religieuse était ellemême ébranlée par les sourdes menées du clergé grec et par la propagande de certains sectaires qui flattaient les passions du vulgaire, afin de le détacher plus facilement du clergé grégorien. La langue nationale subissait également l'influence des dominateurs étrangers et s'appropriait une foule de mots

empruntés aux idiomes, fort répandus alors dans le pays, des Grecs, des Persans et des Arabes. Aussi Grégoire, tout en essayant de relever la langue et la littérature nationales, en fondant des écoles et en encourageant les efforts du clergé, ne put se défendre lui-même contre les envahissements du néologisme. Ses écrits fourmillent en effet d'expressions étrangères à l'arménien et présentent une foule de tournures bizarres qui rendent de prime abord son style fort difficile à saisir. Grégoire composa, outre les traductions dont nous avons parlé, plusieurs ouvrages fort estimés chez les Arméniens. Il cultiva les muses, et sa facilité à faire des vers était telle, qu'il écrivit un long poëme religieux qui ne lui coûta que trois jours de travail. Mais ce qui contribua le plus à assurer la réputation littéraire de Grégoire, c'est sa correspondance, dans laquelle il a fait preuve d'une grande érudition. Comme il avait beaucoup lu et beaucoup retenu, Grégoire répandait à grands flots dans chacune de ses lettres les connaissances qu'il avait acquises. Connaissant à fond l'histoire sainte et profane, la mythologie grecque et orientale, la grammaire, la philosophie, l'histoire naturelle, la médecine, les mathématiques, il se plaisait à disserter sur toutes ces sciences. Chacune de ses lettres renferme en effet des détails curieux sur les sujets les plus divers, et l'on ne saurait mieux qualifier notre auteur qu'en lui donnant le titre d'encyclopédiste. C'est de la correspondance de Grégoire Magistros que je m'occuperai tout spécialement dans la seconde partie de ce mémoire. Je n'ai eu à ma disposition qu'un seul exemplaire des lettres de Grégoire Magistros. C'est une copie faite sur un original collationné et complété à l'aide d'un manuscrit d'Edchmiadzin, et appartenant à M. J. B. Emin, directeur du gymnase des Wladimir, sur la Kliazma (Russie), qui a bien voulu me permettre de le faire transcrire. Ce manuscrit, un des plus complets connus, contient quatre-vingt-trois lettres. Pour me rendre un compte bien exact du contenu de chacune des lettres de Grégoire Magistros, j'ai fait appel au savoir et à l'érudition des directeurs du collège arménien

Mourad de Paris, qui se sont prêtés, avec une obligeance parfaite, au pénible travail de déchiffrement de cette volumineuse correspondance. Je dois dire aussi qu'un de leurs jeunes élèves, qui montre les meilleures dispositions pour l'étude et qui promet de devenir un jour un savant distingué, M. Jean-Raphaël Emin, a mis un zèle très-louable à copier le manuscrit de son homonyme M. J. B. Emin. La connaissance parfaite que ce jeune homme avait acquise du contenu des lettres de l'épistolographe arménien, en se livrant à ce travail, lui a permis de se rendre un compte parfaitement exact du sens souvent énigmatique de plusieurs des épîtres de Grégoire Magistros, et ses observations m'ont été d'un très-utile secours. C'est la première fois que le recueil épistolaire du duc de la Mésopotamie aura été étudié dans son ensemble, car jusqu'à présent on ne connaissait de cette correspondance que des extraits fort courts, publiés dans quelques gazettes arméniennes et qui n'étaient pas suffisants pour permettre d'en apprécier l'importance et la valeur.

SI. BIOGRAPHie de grégoire MAGISTROS.

Grégoire, surnommé Magistros, issu de la race de Souren-Bahlav1, descendait des Arsacides de la Perse 2. Il naquit vraisemblablement à la fin du xo, ou peut-être dans les premières années du x1° siècle de notre ère. Son père, Vasag, dit le Martyr, seigneur de Pedchni 3, comptait parmi ses ancêtres maternels saint Grégoire l'Illuminateur, apôtre de

Agathange, Hist. de Tiridate, p. 144 de notre le volume de la Collect. des histor, arméniens. Moïse de Khorène, Histoire d'Arménie, liv. II, ch. LXVIII.

2 Matthieu d'Édesse, Chronique, i traduction française (Paris, 1858).

re

partie, ch. LIX, p. 70 de la

3 Forteresse du canton de Nik, en Ararat.

l'Arménie, et le catholicos saint Sahag1. Grégoire fut destiné, dès sa jeunesse, au métier des armes, et il eut plusieurs fois l'occasion de signaler sa valeur sur les champs de bataille2. Il était parvenu, grâce à sa naissance et à sa bravoure, à occuper un rang élevé dans l'armée arménienne, à l'époque où Constantin Monomaque était assis sur le trône de Constantinople et où Kakig II, prince bagratide d'Arménie, possédait le royaume d'Ani. Vasag, père de Grégoire, ayant été assassiné3, celui-ci lui succéda comme seigneur du château de Pedchni. Grégoire, en sa qualité de grand feudataire de la couronne des Bagratides, fut un des satrapes qui contribuèrent à l'élection de Kakig II comme roi d'Arménie, quand le trône devint vacant à la mort du roi Jean Sempad. Malgré les services qu'il avait rendus à Kakig, Grégoire ne tarda pas à tomber en disgrâce. Un satrape arménien, Vest-Sarkis, prince de Siounie, qui haïssait Grégoire, parce que celui-ci l'avait empêché d'usurper le trône d'Ani, à la mort du roi Jean Sempad 5, calomnia le seigneur de Pedchni auprès du prince bagratide dont la jeunesse excu

1

re

Matthieu d'Édesse, 1e partie, ch. x1, p. 9 et 10; ch. XII, p. 12. 2 Matthieu d'Édesse, 1 3 Matthieu d'Édesse, 1 d'Arménie, t. II, p. 903-904.

ге

partie, ch. LX, LXXIV.

partie, ch. x1.

Tchamitch, Histoire

4 Arisdaguès Lastiverdzi, Histoire d'Arménie, ch. x, p. 61 de la traduction française. Matthieu d'Édesse, 1re partie, ch. LVI, LVII, Senipad, Chronique, p. 57 de l'éd. Chahnazarian.

LVIII.

5

[ocr errors]

Arisdaguès Lastiverdzi, Histoire d'Arménie, ch. x, p. 60 de la traduction française. - Matthieu d'Édesse, loc. cit.

sait l'inexpérience, en l'accusant d'avoir appelé Aboulsévar en Arménie, et il décida Kakig à éloigner Grégoire des affaires et à le priver de ses charges.

Grégoire, complétement étranger à la trahison qui avait ouvert les frontières du royaume d'Ani aux Arabes, supporta sa disgrâce avec beaucoup de résignation. Il partit pour le canton de Daron, où se trouvaient ses domaines, et là il chercha à adoucir les rigueurs de l'exil, en se livrant à l'étude des lettres, pour lesquelles il avait une grande prédilection. Il avait payé de ses deniers les constructions du couvent de Saint-Jean Garabed (Précurseur), et il annexa à ce monastère, qui lui devait sa fondation, une école dans laquelle il entretenait des disciples choisis, qu'il faisait travailler sous sa direction.

Les intrigues que Vest-Sarkis ne cessait d'ourdir contre Grégoire, à la cour d'Ani, eurent pour résultat de tirer le seigneur de Pedchni de sa retraite; mais cette fois il fut obligé de quitter le pays et d'aller chercher un asile à Constantinople. Grégoire confia à un de ses confidents dévoués, Hraad, l'intendance des établissements qu'il avait fondés, et il prit la route de Grèce, non sans laisser d'amers regrets parmi ses disciples et ses serviteurs. Dans une de ses lettres, où il se plaint de l'ingratitude du roi et des vexations auxquelles il est en butte, Grégoire nous apprend qu'il recueillit sur sa route des témoignages de sympathie, et notamment un évêque, avec lequel il entretint plus tard des relations épistolaires, lui offrit une cordiale hospitalité.

« ZurückWeiter »