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SECONDE DISSERTATION.

MONSIEUR,

Lorfque vous me confeillates de m'apliquer à l'Hiftoire, & particuliérement à celle de notre Province, vous me promites de me choifir les livres néceffaires, & de me donner une méthode, qui me rendroit cette étude plus facile & plus agréable. Vous avez pris la peine de faire l'un & l'autre, & dèflors je me fuis fait une habitude de lire, très-agréable à un Gentilhomme, qui, vivant à la campagne, ne chaffe que par amusement, & n'aime les plaifirs de la table que pour la fociété. Les heures fi longues & fi pleines d'ennui que je paffois dans ma Terre, me paroiffent des moments, à préfent que je les emploie à la lecture; & je connois par expérience la vérité de ce que vous me difiez, qu'on peut fans fentir aucune des incommodités des longs voyages, parcourir l'Univers & le voir tel qu'il a été depuis fa création; connoître dans le cours d'une vie ordinaire, les hommes de toutes les Nations & de tous les tems; fe former le cœur & l'efprit dans fon cabinet, & aprendre une infinité de chofes, qu'il convient à un homme de condition de fçavoir, & qu'il lui feroit même honteux d'ignorer. Quelle obligation ne vous ai-je pas, Monfieur, de m'avoir donné un confeil, qui me procure tant d'utilité & d'agrément! Cependant avec tout le goût que je me fens pour l'Hiftoire, je ne me trouve pas encore capable de l'aplication & de la patience, qui font néceffaires pour lever bien des doutes qu'elle fait naître. J'ai besoin de quelqu'un qui me les éclairciffe, & j'ai affez de confiance en votre amitié, Monfieur, pour me perfuader que vous ne me refuserez pas ce secours. Il y va même de

votre

votre honneur de me l'accorder; car vous perfectionnerez votre ouvrage, en me faifant part de vos lumieres. De mon côté, j'en userai avec difcrétion ; j'attendrai vos réponses fans impatience, & je ne vous propoferai des questions pour le préfent, que fur l'Hiftoire de notre Province, que je trouve très-obfcure, & remplie de difficultés. Je commence à le faire par cette Lettre, avant même que vous aïez bien voulu vous engager à y répondre. Vous voyez combien je compte fur votre politeffe.

J'ai lû dans l'Hiftoire de Befançon, que cette Ville est plus ancienne que Rome, mais je n'en ai point trouvé de preuves folides. J'y ai lû auffi, qu'elle a tiré le nom. qu'elle porte, d'une efpèce de taureau fauvage, apellé Bifon, qui fut rencontré, dit l'Hiftorien, dans le lieu où on la bâtit. Il ne me paroît pas qu'il ait prouvé ce fait effentiel, quoiqu'il ait étalé beaucoup d'érudition fur le Bifon en général. J'ai crû fans peine ce qu'il ajoute, que Befancon a été une Ville Capitale depuis fa fondation. Cependant étant à Dole il y a quelque tems, un Magiftrat de cette Ville, m'afiura qu'elle avoit été, avant Besançon, la Capitale du Païs des Séquanois, dont le centre eft aujourd'hui le Comté de Bourgogne. Il m'en dit beaucoup de raifons, qu'il voulut bien me donner par écrit, & que je vous envoie. Je fus de là faire vifite à Monfieur le Marquis de Montrevel, dans fon Château de Pesme. Il m'engagea à une partie de chaffe ; & paffant par Broye, qui eft un Village de fa Terre, un Gentilhomme du voifinage qui chaffoit avec nous, me dit qu'il y avoit eu en cet endroit une grande Ville, Capitale des Séquanois avant l'arrivée de Jules Céfar dans les Gaules.

Je me fouvins alors, que c'eft dans ce lieu même, que l'Historien de Befançon place Amagétobrie, où les Séquanois, joints à Ariovifte, remportérent une victoire complette fur ceux d'Autun. Le Gouverneur d'un Comte: Allemand qui étoit de notre partie, foutint au contraire qu'Amagétobrie étoit à Bingen fur la Nave. Il prétendit

L.

le prouver par deux vers d'Aufone dans fa Mofellane & par les Remarques de Samfon fur la Carte de l'ancienne Gaule, où vous trouverez ces deux vers.

Je vous prie donc, Monfieur, de m'inftruire de ce que vous fçavez de l'ancienneté de Befançon; du premier nom que cette Ville a porté, & de fon étimologie; de la fondation de Dole ; du lieu où étoit Amagétobrie; & de l'ancienne Capitale du Païs des Séquanois. Mais fouvenez-vous que je ne vous demande ce plaifir, qu'à condition que vous ne vous détournerez pas de vos occupations ordinaires, & que vous n'emploierez que des moments de loifir, à me donner les éclairciffemens je fouhaite.

MONSIEUR,

que

Les éclairciffemens que vous me demandez, ne me donneront pas tant de peine, que j'ai de plaifir de voir que vous vous apliquez tout de bon à l'Hiftoire, & de connoître par les queftions que vous me faites, l'envie que vous avez de l'aprendre. Je fens mon amour propre qui fe réveille, & je m'aplaudis d'avoir contribué à acquerir à l'empire des Lettres, un excellent fujet : car je fuis perfuadé, qu'avec la pénétration & la folidité du jugement que je vous connois vous y ferez bien du progrès en peu de tems; & que travaillant par goût & par inclination vous n'aurez bientôt plus befoin d'une perfonne qui vous aide à réfoudre vos doutes. Je ne connois rien en effet de plus attirant que l'étude, ni de plus fatisfaifant que de trouver foi-même, le dénouement d'une difficulté. Je vais cependant tâcher de répondre à celles que vous me propofez; mais je crains que vous n'aïez conçu une idée trop avantageufe de mes connoiffances fur l'Hiftoire. Occupé par l'exercice d'une profeffion qui demande prefque tout mon loifir, il y a longtems que je n'étudie plus l'antiquité & les belles Lettres,

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que

pour me délaffer; & je ne me pique pas de les pofféder à fond, parce que ce n'eft pas la fcience effentielle à mon état. Pardonnez-moi donc, Monfieur, fi ce que je vous écrirai, ne répond pas à ce que vous attendez de moi; je ne m'y engage que pour vous obéir, & pour vous marquer que le defir que j'ai de vous plaire, peut me faire entreprendre ce qui feroit même au-deffus de mes forces.

L'Historien de Befançon cite des Auteurs qui attribuënt la fondation de cette Ville aux Compagnons d'Enée, & qui la fixent à l'an onze cent quarante-un avant la naiffance de Jefus-Chrift. Il ajoute, qu'on y conferve d'anciens manuscrits, qui portent qu'elle a été bâtie quatre cent trente ans avant Rome; & que c'est une tradition qui y eft autorifée, puifqu'on l'a expofée en vers dans fon Arfenal..

Vous vous êtes fans doute aperçû, Monfieur, que ces dates ne conviennent pas entr'elles. Vous avez crû que c'étoit vouloir deviner, que de donner une époque certaine à un fait auffi reculé que celui de la fondation de Besançon, dont aucun Auteur ancien n'a parlé : car vous fçavez que ceux que l'Hiftorien de cette Ville nomme, font modernes. Vous vous êtes défié avec raison, des' manufcrits qu'il cite; ils ne font que du onzième ou douziéme fiécle, & l'on n'en connoît pas l'Auteur. Enfin, Monfieur, vous n'avez pas voulu adopter une tradition, qui peut avoir été produite par l'inclination qu'on a communément à faire valoir fa patrie, & vous me demandez d'autres preuves de l'antiquité de Befançon.

Votre critique juste, mais sévére fur ce point, me fait craindre de ne pouvoir pas vous perfuader, comme je le fouhaiterois : car je n'ai ni ancien Historien, ni monument à vous alléguer. Les Gaulois nos peres, ne gravoient rien fur l'airain ni fur le marbre: ils n'écrivoient pas ce qui doit être tranfmis à la postérité. Leurs Sçavans le mettoient en vers, qu'ils confioient à leur mé moire. Personne n'a pris foin de conferver le contenu

*Germ. Ant. lib. 1. cap. 4.9 37.Genef. cap. 10.

de ces vers, & les Etrangers qui n'ont parlé de nous que par occafion, ne fe font pas apliquez à rechercher la date & les Auteurs des fondations de nos Villes. Peut-être même, n'y avoit-il rien de certain ni de connu fur la fondation des plus anciennes, parce qu'elles avoient été bâties en des tems d'ignorance & de la plus haute antiquité. Je ne vous donnerai donc que des conjectures fur ce que vous me demandez, & j'efpere que vous voudrez bien vous en contenter; puifqu'on ne peut point raporter d'autres preuves du tems auquel les anciennes Villes des Gaules ont été bâties, à moins que de donner dans la fable & dans l'illufion, comme ont fait ceux qui ont fixé une époque certaine, à la fondation des Villes de Befançon, Narbonne & Paris, & qui l'ont attribuée aux Compagnons d'Enée.

Je ne fçai aucun Auteur, qui ait parlé de Befançon avant Jules Céfar. Il dit, que c'étoit la plus grande Ville du Païs des Séquanois, maximum Sequanorum Oppidum. & que les Séquanois tenoient le premier rang dans les Gaules quand il les conquit, puifqu'ils avoient foumis ceux d'Autun. Il me femble qu'on en peut conclure que cette Ville étoit déja fort ancienne alors, puifqu'elle étoit très-grande, & la Capitale d'une République, diftinguée parmi tant d'autres, qui compofoient le corps d'une des plus puiffantes Nations du monde.

Les Celtes, que le docte Cluvier dit être defcendus d'Askenés, arrière-petit-fils de Noé, * ont été les premiers Habitants des Gaules. Ils y font venus des bords des Paluds Méotides, & du Pont-Euxin ; & elles étoient déja fi peuplées dans le fecond fiécle après la fondation de Rome, qu'elles furent obligées de fe décharger d'une partie de leurs Habitants, dans l'Italie & dans la Germanie.

Ce n'eft pas par la mer, que les Celtes font venus dans les Gaules. La tranfmigration des Nations entieres, ne pouvoit pas fe faire alors par cette voie. La navigation n'étoit pas encore connuë , ou fe faifoit avec un petit nombre de Vaiffeaux, qui ne s'écartoient pas des rivages:

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