Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

1

c'est donc par terre que les Celtes font venus dans les Gaules. Prenez, je vous prie, Monfieur, une carte géographique, & voyez la route qu'ils ont dû tenir pour s'y rendre, de l'Arménie ou de l'Ibérie à prefent la Géorgie, premiere habitation d'Askenés; vous trouverez qu'ils ont fuivi les bords du Pont Euxin & des Paluds Méotides, jufqu'à ce qu'étant arrivés à l'embouchure du Danube, qui est le plus grand de tous les fleuves de l'Europe, ils l'ont probablement remonté jufqu'à fa fource; parce qu'ils trouvoient fur fes rives, toutes les commodités dont ils avoient befoin dans leur voyage, & qu'ils découvroient toujours de meilleurs Païs. C'est ce que nous avons pratiqué dans le Canada, comme les Espagnols dans l'Amérique; & les Peuples qui ont fait des découvertes, ont ordinairement fuivi & remonté le cours des grands fleuves.

Les Celtes parvenus à la fource du Danube, n'étoient qu'à quelques lieuës de Bafle fur le Rhein. Ils ont dû paffer ce fleuve pour entrer dans les Gaules, & ils n'ont pû le faire dans un endroit plus commode qu'à Bafle même, qui étoit fur leur route. Les bords du Rhein y font bas, & c'étoit encore du tems des Romains, le paffage le plus fréquenté de toute l'Allemagne dans les Gaules, foit pour les armées foit pour le commerce.

C'est donc, fuivant toutes les aparences, par Bafle ou par les environs, que les Celtes font entrés dans les Gaules. Ils y ont trouvé d'abord, ce beau & fertile canton qui eft entre le Rhein, le Mont de Vauge, la Sône, le Rhône & le mont Jura. C'est le Païs des Séquanois, que Jules Céfar convient être un excellent Païs : ager Sequa

nus,

*

totius Gallia optimus. Il est bien à croire, que les Lib. 1. de Bell. Celtes y ont fait leur premier établissement; puifqu'ils Gall. s'y font fixés, & qu'ils y ont trouvé ce qu'ils avoient cherché fi long-tems avec tant de fatigues. Auffi je me fouviens d'avoir lû dans la Méthode de Bodin, que le nom de nos Séquanois avoit en langue Celtique, le même fens que celui d'Indigenes, & fignifioit les premiers Habitants du Païs.

[ocr errors]

Je ne fçais fur quoi Bodin s'eft fondé; mais il me paroît que, les Celtes parlant de la Gorge, comme font encore aujourd'hui ceux de leurs defcendants qui ont confervé leur premiére langue, ils ont dû prononcer Askaüanes, pour Askenés, & qu'on peut dire avec affez de vrai-femblance, que c'est de là qu'eft dérivé le mot de Sequani; d'où je conclus que les Séquanois étoient les principaux d'entre les Celtes, puifqu'ils ont porté le nom de l'auteur de la nation.

Ils ont rencontré le Doux à peu de diftance de Bafle. En le fuivant, ils ont vû le lieu où Befançon eft fitué, & ce lieu leur a dû paroître très - propre à y bâtir une Ville: car je ne crois pas qu'on puiffe trouver une fituation plus heureuse, pour faire une place capable d'une longue deffense contre l'ancienne maniere d'attaquer. C'est le jugement qu'en a porté le plus grand Capitaine de l'antiquité: Oppidum fic naturâ munitum, ut magnam ad ducendum bellum daret facultatem; & in quo fumma Caf. de Bell. erat facultas, omnium rerum qae ad bellum ufui erant. *

Gall. lib. 1.

Ne penferez-vous pas, Monfieur, en lifant ceci, que je vous fais un Roman plûtôt qu'une Hiftoire ? Je me flate que vous conviendrez au moins que je ne vous dis rien que de vraisemblable, & cela peut fuffire; car la vraifemblance & les conjectures tiennent lieu des meilleures raifons, dans les faits hiftoriques; fi anciens, qu'on ne peut point avoir de preuves plus fortes.

Voici donc mon argument. Les Gaules ont été peuplées avant, ou du moins auffi-tôt que l'Italie. Îl eft très-probable que le Païs des Séquanois a été le premier canton que les Celtes ont habité en-deçà du Rhein, & il eft vraisemblable que Befançon a été la premiere Ville des Séquanois. Befançon eft donc plus ancien que Rome, puifque c'est l'une des plus anciennes, & probablement même la plus ancienne Ville des Gaules. Je ne fixe pas l'époque de fa fondation, mais je la raporte à l'entrée des Celtes dans le Païs dont le tems n'eft connu, & par conféquent à la plus haute antiquité.

pas

Voilà, Monfieur, ce qui me paroît pouvoir être dit de plus raisonnable fur l'ancienneté de Besançon, & qui apuïe merveilleufement la tradition, qui ne vous a pas fatisfait toute feule. J'y joins le témoignage des Auteurs: car quoiqu'ils ne foient que des derniers fiécles, qu'ils parlent au hafard & s'écartent de la vérité, en fixant une époque certaine à la fondation de cette Ville, & en l'attribuant aux Compagnons d'Enée; il réfulte du moins de ce qu'ils difent, qu'il eft certain parmi les Sçavans que Besançon eft l'une des plus anciennes Villes des Gaules.

Vous me demandez enfuite quel a été le nom ancien de Befançon, & fon étimologie. Il m'eft facile de vous fatisfaire fur la premiere partie de votre demande, mais permettez-moi pour répondre à l'autre, de recourir encore aux conjectures.

Le premier & véritable nom latin de Befançon eft Vefontio,puifque nous le trouvons uniformément écrit de la forte dans les Commentaires de Céfar, qui a dû bien fçavoir le nom d'une Ville, dans laquelle il avoit été plufieurs fois. On l'a apellé dèflors Vifontio, Vifontium, Vefuntium, Bifuntio, Bifantium,& Bifontium. Ces changements viennent des Copistes, de l'altération qui fe fait des noms propres dans la bouche des Etrangers, & de ce qu'il étoit affez ordinaire de changer l'U en B dans la prononciation.

Cependant la reffemblance du mot Bifontium, avec le nom d'une espèce de taureau fauvage apellé Bifon, a fait imaginer qu'on avoit trouvé un de ces taureaux à Befançon lorfqu'on le bâtit, & qu'on lui en avoit donné le nom. Les Auteurs de nos Légendes & de nos Manufcrits, ont faifi cette idée qui étoit de leur goût & à leur portée. La crédulité de notre Hiftorien pour ces Manuf crits, l'a engagé à adopter leur fiftême fur ce point, la figure d'un Bifon imprimé fur une piéce d'argent trouvée à Besançon, & qui étoit dans fon médailler,a achevé de le déterminer. Il a cruique cette figure étoit une hiéro

&

gliphe de la fondation de la Ville, dont on confervoit la mémoire par des médailles; & le fait lui a paru foutenu par des exemples: car Albe la Longue, tiroit fon nom d'une laie, & un porc avoit donné occasion à celui de Milan. Il pouvoit ajouter, que Berne a été apellée de la forte, parce qu'on trouva dans une forêt voifine, où l'on coupoit du bois pour la bâtir, un Ours qu'on nomme Bern en Allemand.

Que je vous fçais de gré, Monfieur, de ne vous être pas laiffé furprendre par ces raifons, ni impofer par l'autorité d'un Hiftorien très-fçavant, mais qui a crû trop légérement les traditions du vulgaire, fans y diftinguer le vrai du faux.

La conjecture qu'on tire de la reffemblance des noms: pour en induire une étimologie, est bien foible, quand elle n'eft pas apuyée d'ailleurs; & ce n'étoit pas du mot. Bifontium qu'il falloit la tirer, parce que ce nom n'a été donné à Besançon que par corruption & fort tard.

La Légende qui fait le principal fondement de notre Hiftorien, porte que Befançon a été ruiné par l'invafion des Barbares, & que dans le tems qu'on le rétabliffoit comme il y étoit crû de grands bois, on y trouva un Bifon, dont on donna le nom à cette Ville. Vous reconnoiffez la fable à ce trait. Un animal trouvé à Besançon, peut-être deux mille ans après que cette Ville a été fondéc, lui a-t-il pû donner le nom qu'elle a porté dès les commencements! Pour foutenir cette abfurdité,on est encore tombé dans une autre, puifqu'on a fupofé que Befançon avoit été abandonné jusqu'au point qu'il y étoit crû une forêt,capable de fervir de repaire aux animaux les plus rares & les plus farouches; car c'est ainfi que les Hiftoriens nous dépeignent le Bifon. Mais fi Befançon a fouffert de l'invafion des Barbares, il eft certain que cette Ville n'a jamais été déferte.

Quant à la prétenduë Médaille trouvée à Besançon, ce n'eft qu'une plaque convexe, fur laquelle eft la figure d'un taureau qui a des crins comme un cheval, fans au

cune

pour

cune lettre ni légende qui puiffe marquer qu'elle a été fonduë conferver la mémoire d'un fait historique, plûtôt que pour fervir d'ornement à quelque meuble. Que fi le taureau fauvage étoit un hierogliphe de Befançon, comme la louve ou la tête cafquée d'une femme l'ont été de l'ancienne Rome, ne l'auroit - on pas imprimé de même fur des Médailles avec des Infcriptions? Et ne trouveroit-on pas à Besançon plufieurs de ces Médailles, comme tant d'autres de toute efpèce, qu'on y rencontre quand on youvre la terre? Seroit-il poffible qu'on n'y eût jamais vû que cette piéce irréguliere, qu'on cite cependant comme une preuve confiderable?

D'ailleurs, le nom de Bifon que portent certains taureaux fauvages, eft un mot de la langue grecque, qui n'a pû être donné à une Ville bâtie par des Celtes, qui ignoroient cette langue; car l'Hiftorien de Befançon s'est trompé, quand il a crû que les Druides étoient fçavants dans le grec. Jules Céfar qu'il cite, dit feulement qu'ils écrivoient en caractéres grecs ; & il paroît bien que les Gaulois l'ignoroient, puifque Céfar étoit obligé de fe fervir d'interprétes pour fe faire entendre à Divitiac, l'un des plus grands Seigneurs du Païs, qui ne fçavoit par conféquent ni le grec ni le latin; & puifque voulant donner avis à Quintus Cicéron qui étoit affiégé dans fon camp, qu'il marchoit à fon fecours, il lui écrivit en grec; afin, dit-il, que fa Lettre ne fût pas entenduë des Gaulois, fi elle tomboit entre leurs mains.

Enfin les Gaulois avoient leur langue particuliere, & ils n'en parloient point d'autre, avant que les Romains les euffent rangés fous leur domination. C'est donc dans cette langue, qu'il faut chercher l'étimologie du nom de leurs anciennes Villes. Jugez, Monfieur, fi je puis vous donner de grands éclairciffements fur celle du nom de Befançon, qui doit être tirée d'une langue, dont à peine entendons-nous encore quelques mots.

Il faudroit, premiérement, être für du nom Celtique, que Vefontio, Befançon a porté; car nous ne le con

M

« ZurückWeiter »