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qui ne tiennent point à nous : mais nous ôter cette sagesse propre, qui fait la vie la plus intime de l'ame, c'est arracher la peau, c'est nous écorcher tout vifs, c'est nous déchirer jusque dans la moelle des os. Hélas! j'entends ma raison qui me dit : Quoi donc, fautil cesser d'être raisonnable? Faut-il devenir comme les fous qu'on est contraint de renfermer? Dieu n'estla sagesse même ? La nôtre ne vient-elle pas de la sienne, et par conséquent ne faut-il pas que nous la suivions? Mais il y a une extrême différence entre être raisonnans et être raisonnables. Nous ne serons jamais si raisonnables que quand nous cesserons d'être si raisonnans. En nous livrant à la pure raison de Dieu, que la nôtre foible et vaine ne peut comprendre, nous serons délivrés de notre sagesse, égarée depuis le péché, incertaine, courte et présomptueuse; ou plutôt nous serons délivrés de nos erreurs, de nos indiscrétions, de nos entêtemens. Plus une personne est morte à elle-même par l'esprit de Dieu, plus elle est discrète sans songer à l'êtré : car on ne tombe dans l'indiscrétion que par vivre encore à son propre esprit, à ses vues et à ses inclinations naturelles; c'est qu'on veut, qu'on pense et qu'on parle encore à sa mode. La mort totale de notre propre sens feroit en nous la vraie et la consommée sagesse du Verbe de Dieu. Ce n'est point par un effort de raison au dedans de nous que nous nous élèverons au-dessus de nous-mêmes; c'est au contraire par l'anéantissement de notre propre être, et surtout de notre propre raison, qui est la partie la plus chère à l'homme, que nous entrerons dans cet être nouveau, où, comme dit saint Paul, Jésus-Christ fait notre vie,

notre justice et notre sagesse. Nous ne nous égarons qu'à force de nous conduire par nous-mêmes. Donc nous ne serons à l'abri de l'égarement qu'à force.de nous laisser conduire, d'être petits, simples, livrés à l'Esprit de Dieu, souples et prêts à toute sorte de mouvemens, n'ayant aucune consistance propre, ne résistant à rien, n'ayant plus de volonté, plus de jugement, disant naïvement ce qui nous vient, et n'aimant qu'à céder après l'avoir dit. C'est ainsi qu'un petit enfant se laisse porter, reporter, lever, coucher; il n'a rien de caché, rien de propre. Alors nous ne serons plus sages, mais Dieu sera sage en nous et pour nous. Jésus-Christ parlera en nous, pendant que nous croirons bégayer. O Jésus enfant, n'y a que les enfans qui puissent régner avec vous.

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IV. POUR LE JOUR DE SAINT JEAN L'ÉVANGÉLISTE:

O Jésus, je désire me reposer avec Jean sur votre poitrine, et me nourrir d'amour en mettant mon cœur sur le vôtre. Je veux être, comme le disciple bien-aimé, instruit par votre amour. Il disoit, cedisciple, pour l'avoit éprouvé, que l'onction enseigne toutes choses (1). Cette onction intérieure de votre Esprit instruit dans le silence. On aime, et on sait tout ce qu'il faut savoir; on goûte, et on n'a besoin de rien entendre. Toute parole humaine est à charge et ne fait que distraire, parce qu'on a au dedans la parole substantielle qui nourrit le fond de l'ame. On

(1) I Joan. 11. 27.

trouve en elle toute vérité. On ne voit plus qu'une seule chose, qui est la vérité simple et universelle ; c'est Dieu, devant qui la créature, ce rien trompeur, disparoît et ne laisse aucune trace de son mensonge.

O amour, vrai docteur des ames, on ne veut point vous écouter: on écoute de beaux discours, on écoute sa propre raison; mais le vrai maître, qui enseigne sans raisonnemens et sans paroles, n'est point écouté. On craint de lui ouvrir son cœur; on ne le lui offre qu'avec réserve; on craint qu'il ne parle et ne demande trop. On voudroit bien le laisser dire, mais à condition de ne prendre ce qu'il diroit que suivant la mesure réglée par notre sagesse : ainsi ce seroit notre sagesse qui jugeroit celui qui doit la juger.

O amour, vous voulez des ames livrées à vos transports, des ames qui ne craignent point, non plus que les apôtres, d'être insensées aux yeux du monde. Il ne suffit pas, ô divin Esprit, de se remplir de vous, il faut en être enivré. Que n'apprendroit-on point sans raisonnement, sans science, si on ne consultoit plus que le pur amour, qui veut tout pour lui, qui ne laisse rien à la créature, et qui met seul la vérité du règne de Dieu dans le fond de l'ame? L'amour décide dans tous les cas, et ne s'y trompe point; car il ne donné rien à l'homme, et rapporte tout à Dieu seul. C'est un feu consumant, qui embrase tout, qui dévore tout, qui anéantit tout, qui fait de sa victime le parfait holocauste. O qu'il fait bien connoître Dieu ! car il ne laisse plus voir que lui, mais d'une vue bien différente de celle des hommes, qui ne le considèrent que dans une froide et sèche spéculation. Alors on aime tout ce

qu'on voit, et c'est l'amour qui donne des yeux perçans pour le voir. Un moment de paix et de silence fait voir plus de merveilles que les profondes réflexions de tous les savans.

Mais encore, ô Amour, comment est-ce que vous enseignez toutes choses, vous qui.n'en pouvez souffrir qu'une seule, et qui fermez les yeux à tout le reste, pour les attacher immuablement à un seul objet ? O j'entends ce secret! c'est que la vraie manière de bien savoir tout le reste, pendant cette vie, est de l'ignorer par mépris. On sait de Dieu ce qu'on en peut savoir, en sachant qu'il est tout: on sait de la créature entière tout ce qu'il en faut savoir, en sachant qu'elle n'est rien. Voilà donc la toute-science, inconnue aux savans du siècle, et réservée aux pauvres d'esprit instruits par l'onction du pur amour : ils pénètrent au fond tout ce qui est créé en ne daignant pas même y faire attention, ni ouvrir les yeux pour le voir. Qu'importe qu'ils ne sachent point raisonner sur Dieu! Ils savent l'aimer, c'est assez. Bienheureuse science, qui éteint toute curiosité, qui rassasie l'ame de la vérité pure, qui non-seulement lui montre toute la vérité en l'occupant de Dieu, mais qui porte cette vérité simple et unique dans le fond de cette ame, pour n'être plus qu'une même chose avec elle.

Hélas! combien de grands docteurs qui ne voient goutte croyant tout savoir! Ils ne veulent rien ignorer, ni sur la nature des divers êtres, ni sur leurs propriétés, ni sur l'ordre de l'univers, ni sur l'histoire du genre humain, ni sur les ouvrages des hommes, ni sur les arts qu'ils ont inventés, ni sur leurs diverses langues, ni sur les règles de conduite qu'ils ont en

tre eux. O qu'ils seroient dégoûtés de toutes ces recherches curieuses, s'ils connoissoient bien l'homme! S'amuse-t-on à un ver de terre? et le néant même n'est-il pas encore plus indigne de nous occuper? Hé! que peut-on apprendre de ce qui n'est rien? Il n'y a qu'une seule vérité infinie, qui absorbe tout, et qui ne laisse aucune curiosité hors d'elle : tout le reste n'est que néant, et par conséquent mensonge. Qu'on s'instruise pour le besoin des conditions, c'est bien fait mais qu'on croie savoir quelque chose quand on ne sait que ce rien; qu'on espère en orner son esprit, qu'on cherche à le nourrir et à le satisfaire en l'occupant de la créature vaine et creuse : ô folie! ô ignorance de ceux qui veulent tout savoir!

O Jésus, je n'ai plus d'autre docteur que vous, plus d'autre livre que votre poitrine. Là j'apprends tout en ignorant tout, et en m'anéantissant moimême. Là je vis de la même vie dont vous vivez dans le sein de votre Père. Je vis d'amour; l'amour fait tout en moi. Ce n'est que pour l'amour que je suis créé; et je ne fais ce que Dieu a prétendu que je fisse en me créant, qu'autant que j'aime., Je sais donc tout, et je ne veux plus savoir que vous. Taisez-vous, monde curieux et sage; j'ai trouvé sur la poitrine de Jésus l'ignorance et la folie de sa croix, en comparaison de laquelle tous vos talens ne sont qu'ordure: méprisez-moi autant que je vous méprise.

V.

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