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Vous fûtes racheté par deux colombes; mais ce rachat ne vous délivroit pas du sacrifice de la croix où vous deviez mourir : au contraire, votre présentation au temple étoit le commencement et les prémices de votre offrande au Calvaire. Ainsi, Seigneur, toutes les choses extérieures que je vous donne ne pouvant me racheter, il faut que je me donne moimême tout entier, et que je meure sur la croix. Perdre le repos, la réputation, les biens, la vie, ce n'est encore rien; il faut se perdre soi-même, ne se plus aimer, se livrer sans pitié à votre justice, devenir étranger à soi-même, et n'avoir plus d'autre intérêt que celui de Dieu à qui on appartient.

X. POUR LE CARÊME.

Mon Dieu, voici un temps d'abstinence et de privation. Ce n'est rien de jeûner des viandes grossières qui nourrissent le corps, si on ne jeûne aussi de tout ce qui sert d'aliment à l'amour-propre. Donnez-moi donc, ô époux des ames, cette virginité intérieure, cette pureté du cœur, cette séparation de toute créature, cette sobriété dont parle votre apôtre, par laquelle on n'use d'aucune créature que pour le seul besoin, comme les personnes sobres usent des viandes pour la nécessité. O bienheureux jeûne, où l'ame jeûne toute entière, et tient tous les sens dans la privation du superflu! O sainte abstinence, où l'ame, rassasiée de la volonté de Dieu, ne se nourrit jamais de sa volonté propre ! Elle a, comme Jésus-Christ, une autre viande dont elle se nourrit. Donnez-le moi, Seigneur, ce pain qui est au-dessus de toute sub

stance; ce pain qui apaisera à jamais la faim de mon cœur ; ce pain qui éteint tous les désirs; ce pain qui est la vraie manne, et qui tient lieu de tout.

O mon Dieu, que les créatures se taisent donc pour moi, et que je me taise pour elles en ce saint temps! Que mon ame se nourrisse dans le silence en jeûnant de tous les vains discours! Que je me nourrisse de vous seul, et de la croix de votre fils Jésus !

Mais quoi, mon Dieu! faudra-t-il donc que je sois dans une crainte continuelle de rompre ce jeûne intérieur par les consolations que je goûterai au dehors! Non, non, mon Dieu, vous ne voulez point cette gêne et cette inquiétude. Votre Esprit est l'esprit d'amour et de liberté, et non celui de crainte et de servitude. Je renoncerai donc à tout ce qui n'est point de votre ordre pour mon état, à tout ce que j'éprouve qui me dissipe trop, à tout ce que les personnes qui me conduisent à vous jugent que je dois retrancher; enfin à tout ce que vous retrancherez vous-même par les événemens de votre providence. Je porterai paisiblement toutes ces privations. Voici encore ce que j'ajouterai; c'est que, dans les conversations innocentes et nécessaires, je retrancherai ce que vous me ferez sentir intérieurement qui n'est qu'une recherche de moi-même. Quand je me sentirai porté à faire là-dessus quelque sacrifice, je le ferai gaiement. Mais d'ailleurs, ô mon Dieu, je sais que vous voulez qu'un cœur qui vous aime soit au large. J'agirai avec confiance comme un enfant qui joue entre les bras de sa mère; je me réjouirai devant le Seigneur; je tâcherai de réjouir les autres; j'épancherai mon cœur sans crainte dans l'assemblée

des enfans de Dieu. Je ne veux que candeur, innocence, joie du Saint-Esprit. Loin, loin, ô mon Dieu, cette sagesse triste et craintive qui se ronge toujours elle-même, qui tient toujours la balance en main pour peser des atomes, de peur de rompre ce jeûne intérieur ! C'est vous faire injure que de n'agir pas avec vous avec plus de simplicité : cette rigueur est indigne de vos entrailles paternelles. Vous voulez qu'on vous aime uniquement; voilà sur quoi tombe votre jalousie : mais quand on vous aime, vous laissez agir librement l'amour, et vous voyez bien ce qui vient véritablement de lui.

Je jeûnerai donc, ô mon Dieu, de toute volonté qui n'est point la vôtre; mais je jeûnerai par amour, dans la liberté et dans l'abondance de mon cœur. Malheur à l'ame rétrécie et désséchée en elle-même, qui craint tout, et qui, à force de craindre, n'a pas le temps d'aimer et de courir généreusement après l'Époux !

O que le jeûne que vous faites faire à l'ame sans la gêner est un jeûne exact! Il ne reste rien au cœur que le bien-aimé, et encore il cache souvent le bienaimé, pour laisser l'ame défaillante et prête à expirer faute de soutien. Voilà le grand jeûne, où l'homme voit sa pauvreté toute nue, où il sent un vide affreux qui le dévore, et où Dieu même semble lui manquer, pour lui arracher jusqu'aux moindres restes de vie en lui-même. O grand jeûne de la pure foi, qui vous comprendrá ? Où est l'ame assez courageuse pour vous accomplir! O privation universelle! ô renoncement à soi comme aux choses les plus vaines du dehors! O fidélité d'une ame qui se laisse poursuivre

poursuivre sans relâche par l'amour jaloux, et qui souffre que tout lui soit ôté! Voilà, Seigneur, le sacrifice de ceux qui vous adorent en esprit et en vérité; c'est par ces épreuves qu'on devient digne de vous. Faites, Seigneur ; rendez mon ame vide, affamée, défaillante; faites selon votre bon plaisir. Je me tais; j'adore ; je dis sans cesse : Que votre volonté se fasse, et non la mienne (1)!

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XI. POUR LE Jeudi saint.

Jésus, sagesse éternelle, vous êtes caché dans le sacrement, et c'est là que je vous adore aujourd'hui. O que j'aime ce jour, où vous vous donnâtes vousmême tout entier aux apôtres! Que dis-je, aux apôtres ? Vous ne vous êtes pas moins donné à nous qu'à eux. Précieux don, qui se renouvelle de jour en jour depuis tant de siècles, et qui durera sans interruption autant que le monde! O gage des bontés du Père de miséricorde! ô sacrement de l'amour! ô pain au-dessus de toute substance! Comme mon corps se nourrit du pain grossier et corruptible, ainsi mon ame doit se nourrir chaque jour de l'éternelle vérité, qui s'est faite non-seulement chair pour être vue, mais encore pain pour être mangée et pour nourrir les enfans de Dieu.

Hélas! où êtes-vous donc, ô sagesse profonde qui avez formé l'univers? Qui pourroit croire que vous fussiez sous cette vile apparence? On ne voit qu'un peu de pain, et on reçoit, avec la chair vivifiante (1) Luc. XXII. 42.

FENELON. XVIII.

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du Sauveur, tous les trésors de la divinité. O sagesse, ô amour infini! pour qui faites-vous de si grandes choses? Pour des hommes grossiers, aveugles, stupides, ingrats, insensibles, incapables de goûter votre don. Où sont les ames qui se nourrissent de votre pure vérité, qui vivent de vous seul, qui vous laissent vivre en elles, et qui se transforment en vous? Je le comprends; vous voulez faire en sorte que par ce sacrement nous n'ayons plus d'autre sagesse que la vôtre, ni d'autre volonté que votre volonté même qui doit vouloir en nous. Cette sagesse divine doit être cachée en nous, comme elle l'est sous les voiles du sacrement. Le dehors doit être simple, foible, méprisable à l'orgueilleuse sagesse hommes; le dedans doit être tout mort à soi, tout transformé, tout divin.

Jusqu'ici, ô mon Sauveur, je ne me suis point nourri de votre vérité: je me suis nourri des cérémonies de la religion, de l'éclat de certaines vertus qui élèvent le courage, de la bienséance et de la régularité des actions extérieures, de la victoire que j'avois besoin de remporter sur mon honneur pour ne montrer rien qui ne fût parfait. Voilà le voile grossier du sacrement: mais le fond du sacrement même, mais cette vérité substantielle et au-dessus de toute substance bornée et comprise, où est-elle ? Hélas! je ne l'ai point cherchée. J'ai songé à régler le dehors, sans changer le dedans. Cette adoration en esprit et en vérité, qui consiste dans la destruction de toute volonté propre pour laisser régner en moi celle de Dieu seul, m'est encore presque inconnue. Ma bouche a mangé ce qui est extérieur et sen

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