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sible dans le sacrement; mon cœur n'a point été nourri de cette vérité substantielle. Je vous sers, mon Dieu, mais à ma mode, et selon les vues de ma sagesse. Je vous aime, mais pour mon bien plus que pour votre gloire. Je désire vous glorifier, mais avec un zèle qui n'est point abandonné sans réserve à toute l'étendue de vos desseins. Je veux vivre pour vous, mais renfermé en moi, et je crains de mourir à moi-même. Quelquefois je crois être prêt à tous les plus grands sacrifices, et la moindre perte que vous exigez de moi un moment après me trouble, me décourage, et me scandalise.

O amour, ma misère et mon indignité ne vous rebutent point. C'est sous ce voile méprisable que vous voulez cacher la vertu et la grandeur de votre mystère. Vous voulez faire de moi un sacrement qui exerce la foi des autres et la mienne même. En cet état de foiblesse je me livre à vous : je ne puis rien, mais vous pouvez tout, et je ne crains point ma foiblesse, sentant si près de moi votre toute-puissance. Verbe de Dieu, soyez sous cette foible créature comme vous êtes sous l'espèce du pain. O parole souveraine et vivifiante! parlez dans le silence de mon ame: faites taire ce qui n'est point vous; faites taire mon ame même, et qu'elle ne se parle plus intérieurement, pour n'écouter que vous. O pain de vie! je ne me veux plus nourrir de vous seul : tout autre aliment me feroit vivre à moi-même, me donneroit une force propre, et me rempliroit de désirs.

que

Que mon ame meure de la mort des justes, de cette bienheureuse mort qui doit prévenir la mort corporelle; de cette mort intérieure qui divise l'ame

d'avec elle-même, qui fait qu'elle ne se trouve ni ne se possède plus, qui éteint toute ardeur, qui détruit tout intérêt, qui anéantit tout retour sur soi! O amour! vous tourmentez merveilleusement. Le même pain descendu du ciel fait mourir et fait vivre; il arrache l'ame à elle-même, et il la met en paix ; il lui ôte tout, et il lui donne tout; il lui ôte tout en elle; il lui donne tout en Dieu, en qui seul les choses sont pures. O mon amour, ô ma vie, ò mon tout je n'ai plus que vous. O mon pain! je vous mangerai tous les jours, et je ne craindrai que de perdre ma nourriture.

XII. POUR LE VENDREDI SAINT.

Le mystère de la passion de Jésus-Christ est incompréhensible aux hommes. Il a paru un scandale aux Juifs, et une folie aux Gentils (1). Les Juifs étoient zélés pour la gloire de leur religion; ils ne pouvoient souffrir l'opprobre de Jésus-Christ. Les Gentils, pleins de leur philosophie, étoient sages ; et leur sagesse se révoltoit à la vue d'un Dieu crucifié : c'étoit renverser la raison humaine que de prêcher ce Dieu sur la croix. Cependant cette croix, prêchée dans tout l'univers, surmonte le zèle superhe des Juifs et la sagesse hautaine des Gentils. Voilà donc à quoi aboutit le mystère de la passion de Jésus-Christ, à confondre non-seulement la sagesse profane des gens du monde, qui, comme les Gentils, regardent la piété comme une folie, si elle n'est tou

(1) I Cor. 1. 23.

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jours revêtue d'un certain éclat; mais encore le zèle superbe de certaines personnes pieuses, qui ne veulent rien voir dans la religion qui ne soit conforme à leurs fausses idées.

O mon Dieu, je suis du nombre de ces Juifs scandalisés. Il est vrai, ô Jésus, que je vous adore sur la croix; mais cette adoration n'est qu'en cérémonie, elle n'est point en vérité. La véritable adoration de Jésus-Christ crucifié consiste à se sacrifier avec lui, à perdre sa raison dans la folie de la croix, à en avaler tout l'opprobre, à vouloir être, si Dieu le veut, un spectacle d'horreur à tous les sages de la terre, à consentir de passer pour insensé comme Jésus-Christ.

Voilà ce qu'on dit volontiers de bouche; mais voilà ce que le cœur ne dit point. On s'excuse par de vains prétextes, on frémit, on recule lâchement dès qu'il faut paroître nu et rassasié d'opprobres avec l'Homme de douleurs. O mon Dieu, mon amour, on vous aime pour se consoler; mais on ne vous aime point pour vous suivre jusqu'à la mort de la croix. Tous vous fuient, tous vous abandonnent, tous vous méconnoissent, tous vous renient. Tant que la raison trouve son compte et son bonheur à vous suivre, on court avec empressement, et l'on se vante comme saint Pierre; mais il ne faut qu'une question d'une servante pour tout renverser. On veut borner la religion à la courte mesure de son esprit ; et dès qu'elle surpasse notre foible raison, elle se tourne en scandale.

Cependant la religion doit être dans la pratique ce qu'elle est dans la spéculation; c'est-à-dire qu'il faut qu'elle aille réellement jusqu'à faire perdre pied

à notre raison, et à nous livrer à la folie du Sauveur crucifié. O qu'il est aisé d'être chrétien à condition d'être sage, maître de soi, courageux, grand, régulier et merveilleux en tout! Mais être chrétien pour être petit, foible, méprisable et insensé aux yeux des hommes, c'est ce qu'on ne peut entendre sans en avoir horreur. Aussi l'on n'est chrétien qu'à demi. Non-seulement on s'abandonne à son vain raisonnement comme les Gentils, mais encore on se fait un honneur de suivre son zèle comme les Juifs. C'est avidir la religion, dit-on, c'est la tourner en petitesse d'esprit: il faut montrer combien elle est grande. Hélas! elle ne le sera en nous qu'autant qu'elle nous rendra humbles, dociles, petits, et détachés de nous-mêmes..

On voudoit un Sauveur qui vînt pour nous rendre parfaits, pour nous remplir de notre propre excellence, et pour remplir toutes les vues les plus flatteuses de notre sagesse: au contraire, Dieu nous a donné un Sauveur qui renverse notre sagesse, qui nous met avec lui nu sur une infâme croix. O Jésus, c'est là que tout le monde vous abandonne. Il ne faut pas, dit-on, pousser les choses si loin; c'est outrer les vérités chrétiennes, et les rendre odieuses aux yeux du monde. Hé quoi! ne savons-nous pas que les profanes seront scandalisés, puisque quelques gens de bien même le sont?

Comment le mystère de la croix ne paroîtroit-il pas excessif à ces sages Gentils, puisqu'il scandalise les Juifs pieux et zélés? O Sauveur, boive qui voudra votre calice d'amertume; pour moi, je le veux boire jusqu'à la lie la plus amère. Je suis prêt à souffrir

la douleur, l'ignominie, la dérision, l'insulte des hommes au dehors, et au dedans la tentation et le délaissement du Père céleste; je dirai, comme vous l'avez dit pour mon instruction: Que ce calice passe et s'éloigne de moi; mais, malgré l'horreur de la nature, que votre volonté se fasse, et non la mienne (1), Ces vérités sont trop fortes pour les mondains, qui ne vous connoissent qu'à demi, et qui ne peuvent vous suivre que dans les consolations du Thabor. Pour moi, je manquerois à l'attrait de votre amour si je reculois. Allons à Jésus; allons au Calvaire : mon ame est triste jusqu'à la mort; mais qu'importe, pourvu que je meure percé des mêmes clous et sur la même croix que vous, ô mon Sauveur ?

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XIII. POUR LE SAMEDI SAINT.

Ce qui se présente à moi aujourd'hui, c'est Jésus entre la mort qu'il a soufferte et la vie qu'il va reprendre. Sa résurrection ne sera pas moins réelle que sa mort, et sa mort n'est qu'un passage de la misérable vie à la vie bienheureuse. O Sauveur, je vous adore, je vous aime dans le tombeau, je m'y renferme avec vous ; je ne veux plus que le monde me voie, je ne veux plus me voir moi-même, je descends dans les ténèbres et jusque dans la poussière; je ne suis plus du nombre des vivans. O monde! ô hommes, oubliez-moi, foulez-moi aux pieds; je suis mort, et la vie qui m'est préparée sera cachée avec Jésus-Christ en Dieu.

(1) Luc. xx11. 42.

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