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dans cette terre étrangère qu'à cause que vous m'y tenez. Je vous aime mieux que mon bonheur et que ma gloire. Il vaut mieux vous obéir que jouir de vous; il vaut mieux souffrir selon vos desseins, que goûter vos délices et voir la lumière de votre visage. En me privant de vous privez-moi de tout; dépouillez, arrachez sans pitié; ne laissez rien à mon ame, ne la laissez pas elle-même à elle-même.

Si la présence du Sauveur a dû nous être ôtée, que doit-il nous rester? Si Dieu a été jaloux d'une si sainte consolation pour les apôtres, avec quelle indignation détruira-t-il en nous tant d'amusemens qui nous conservent certains restes secrets d'une vie propre ? Quelle consolation sera aussi pure que celle de voir Jésus? Et par conséquent en reste-t-il quelqu'une dont nous osions encore refuser le sacrifice? O Dieu, n'écoutez plus ma lâcheté; dépouillez, écorchez, s'il le faut; coupez jusqu'au vif. Quand tout sera ôté, ce sera alors que vous resterez seul dans l'ame.

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Vous avez commencé, Seigneur, par ôter à vos apôtres ce qui paroissoit le plus propre à les soutenir, je veux dire la présence sensible de Jésus votre Fils: mais vous avez tout détruit pour tout établir,:, vous avez ôté tout pour rendre tout avec usure. Telle est votre méthode. Vous vous plaisez à renverser l'ordre du sens humain.

Après avoir ôté cette possession sensible de JésusChrist, vous avez donné votre Saint-Esprit. O privation, que vous êtes précieuse et pleine de vertu, puisque vous opérez plus que la possession du Fils de Dieu même! O ames lâches! pourquoi vous croyez-vous si pauvres dans la privation, puisqu'elle enrichit plus que la possession du plus grand trésor? Bienheureux ceux qui manquent de tout, et qui manquent de Dieu même, c'est-à-dire de Dieu goûté et aperçu! Heureux ceux pour qui Jésus se cache et se retire! L'Esprit consolateur viendra sur eux; il apaisera leur douleur, et aura soin d'essuyer leurs larmes. Malheur à ceux qui ont leur consolation sur la terre, qui trouvent hors de Dieu le repos, l'appui et l'attachement de leur volonté ! Ce bon Esprit promis à tous ceux qui le demandent n'est point envoyé sur eux. Le Consolateur envoyé du ciel n'est que pour les ames qui ne tiennent ni au monde ni à elles-mêmes.

Hélas! Seigneur, où est-il donc cet Esprit qui doit être ma vie? il sera l'ame de mon ame. Mais où est-il ? je ne le sens, je ne le trouve point. Je n'éprouve dans mes sens que fragilité, dans mon esprit que dissipation et mensonge, dans ma volonté qu'inconstance et que partage entre votre amour et mille vains amusemens. Où est-il donc votre esprit? Que ne vient-il créer en moi un cœur nouveau selon le vôtre? O mon Dieu, je comprends que c'est dans cette ame appauvrie que votre Esprit daignera habiter, pourvu qu'elle s'ouvre à lui sans mesure. C'est cette absence sensible du Sauveur et de tous ses dons qui attire l'Esprit saint. Venez donc, ô Esprit; vous

ne pouvez rien trouver de plus pauvre, de plus dépouillé, de plus nu, de plus abandonné, de plus foible que mon cœur. Venez, apportez-y la paix; non cette paix d'abondance qui coule comme un fleuve, mais cette paix sèche, cette paix de patience et de sacrifice; cette paix amère, mais paix véritable pourtant, et d'autant plus pure, plus intime, plus profonde, plus intarissable, qu'elle n'est fondée que sur le renoncement sans réserve.

O Esprit ô amour! ô vérité de mon Dieu! ô amour lumière! ô amour qui enseignez l'ame sans parler, qui faites tout entendre sans rien dire, qui ne demandez rien à l'ame, et qui l'entraînez par le silence à tout sacrifice! O amour qui dégoûtez de tout autre amour, qui faites qu'on se hait, qu'on s'oublie et qu'on s'abandonne! O amour qui coulez au travers du cœur comme la fontaine de vie, qui pourra vous connoître, sinon celui en qui vous serez? Taisez-vous, hommes aveugles; l'amour n'est point en vous. Vous ne savez ce que vous dites; vous ne voyez rien, vous n'entendez rien. Le vrai docteur ne vous a jamais enseignés.

C'est lui qui rassasie l'ame de vérité sans aucune science distincte. C'est lui qui fait naître au fond de l'ame les vérités que la parole sensible de JésusChrist n'avoit exposées qu'aux yeux de l'esprit. On goûte, on se nourrit, on se fait une même chose avec la vérité. Ce n'est plus elle qu'on voit comme un objet hors de soi; c'est elle qui devient nousmêmes, et que nous sentons intimement comme l'ame se sent elle-même. O quelle puissante consolation sans chercher à se consoler! On a tout sans

rien avoir. Là on trouve en unité le Père, le Fils et le Saint-Esprit; le Père créateur, qui crée en nous tout ce qu'il veut y faire pour nous rendre des enfans semblables à lui; le Fils Verbe de Dieu, qui devient le verbe et la parole intime de l'ame, qui se tait à tout pour ne laisser plus parler que Dieu; enfin l'Esprit, qui souffle où il veut, qui aime le Père et le Fils en nous. O mon amour, qui êtes mon Dieu, aimez-vous, glorifiez-vous vous-même en moi. Ma paix, ma joie, ma vie sont en vous, qui êtes mon tout, et je ne suis plus rien.

XVI. POUR LA FÊTE DU SAINT SACREMENT.

J'ADORE Jésus-Christ au saint sacrement où il cache tous les trésors de son amour. O octave trop courte pour célébrer tant de mystères de Jésus anéanti! Je n'y vois qu'amour, que bonté et que miséricorde. Hélas! Seigneur, que voulez-vous ? Pourquoi cacher votre majesté éternelle ? Pourquoi l'exposer à l'ingratitude des ames insensibles, à l'irrévérence des hommes ? Ah! c'est que vous nous aimez, vous nous cherchez, vous vous donnez tout entier à nous. Mais encore de quelle manière faitesvous ce don? sous la figure de l'aliment le plus familier. O mon pain, ô ma vie, ô chair de mon Sauveur, venez exciter ma faim! je ne veux plus me nourrir que de vous.

O Verbe, Sagesse, & Parole, ô Vérité éter

nelle

nelle, vous êtes caché sous cette chair, et cette chair sacrée se cache sous cette apparence grossière du pain. O Dieu caché, je veux vivre caché avec vous pour vivre de votre vie divine. Sous toutes mes misères, mes foiblesses, mes indignités, je cacherai Jésus ; je deviendrai le sacrement de son amour: on ne verra que le voile grossier du sacrement, la créature imparfaite et fragile, mais au dedans vivra le vrai Dieu de gloire.

Hélas! ô Dieu d'amour, quand viendrez-vous donc? Quand est-ce que je vous aimerai? Quand est-ce que vous serez le seul aliment de mon cœur, et mon pain au-dessus de toute substance? Le pain extérieur, cette créature fragile, sera brisé et exposé à toutes sortes d'accidens; mais Jésus, immortel et impassible, sera en elle sans division et sans changement. Vivant de lui je ne vivrai plus que pour lui, et il vivra tout seul en moi.

Verbe divin, vous parlerez, et mon ame se taira pour vous entendre; cette simple parole qui a fait le monde se fera entendre de sa créature, et elle fera en elle tout ce qu'elle exprimera; elle formera sa nouvelle créature comme elle forma l'univers. Taisez-vous donc, mon ame; n'écoutez plus rien ici-bas; ne vous écoutez plus vous-même dans ce silence qui est l'anéantissement de l'esprit. Laissez parler le Verbe fait chair; ô qu'il dira de choses! Il est lui seul toute vérité. Quelle différence entre la créature qui dit en passant quelque vérité, et qui dit ce qui n'est point à elle, mais ce qui est comme emprunté de Dieu, et le Fils de Dieu qui est la vérité même ! Il est ce qu'il dit ; il est la vérité en substance: FÉNÉLON. XVIII.

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