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La famille de Pascal avait été anoblie par Louis XI 1. Sur l'acte de naissance du fils, le père est qualifié de noble, la mère de noble damoizelle, et, dans son épitaphe, lui-même est appelé écuyer. Nous savons d'ailleurs qu'il avait des armoiries, puisqu'il les a changées après le miracle de la SainteEpine. Il était donc d'une bonne noblesse de robe; et, à considérer leur tableau généalogique, il semble qu'il y ait eu comme une dynastie des Pascal dans les cours de justice de l'Auvergne. Toutefois, si ancienne que fùt sa noblesse, elle était cependant assez modeste la noblesse de robe ne pouvait rivaliser avec la noblesse d'épée, et, un magistrat de Parlement de province n'est pas un de ces personnages de marque qui priment en tout lieu. Ainsi, sa naissance le plaçait à un rang intermédiaire, plus éloigné du peuple que des gentilshommes. de grande race, dans cette haute bourgeoisie, qui formait la classe la plus sérieuse de l'Etat.

Son père, Etienne Pascal, possédait vraisemblablement une certaine fortune. Nous n'avons point à ce sujet de renseignements très précis et très sûrs ; nous savons seulement qu'il avait placé son bien en rentes sur l'Hôtel de ville, puisqu'il fut un instant compromis par ses protestations contre le retranchement d'un quartier. Mais, pour qu'il renonçât à sa charge lucrative, et qu'il vint s'établir à Paris sans y solliciter aucune fonction, lui qui avait un fils à élever, et deux filles qu'alors il comptait bien marier toutes deux, il fallait assurément que ses revenus lui assurassent une existence indépendante. Il est vrai que, en 1653, nous verrons Pascal essayer de retenir une part de la fortune paternelle que Jacqueline veut donner au couvent; la mère Agnès reconnaîtra alors « qu'il ne lui reste pas assez pour vivre comme les autres de sa condition; » et MTM Périer nous apprend que plus tard, il avait « peu de bien », que sa dépense « excédait son revenu », et que parfois il était réduit à emprunter. Mais la fortune de son père était en ce moment partagée entre ses sœurs et lui; ses maladies longues et pénibles lui avaient coûté beaucoup; sa vie mondaine, à l'époque où parle la mère Agnès, devait l'entraîner à des frais assez considérables, car il voulait sans doute égaler en tout les jeunes gens plus riches que lui avec lesquels il était lié; et, à la fin, c'étaient ses aumônes excessives qui le forçaient à recourir aux banquiers. Dans la première période de sa vie, nous ne voyons jamais trace

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Lettres, opuscules et mémoires de MTM Périer et de Jacqueline Pascal, etc.

(FAUGÈRE.) Mémoire de Marguerite Périer, p. 418.

2 Ibid. Appendice 1. p. 475.

I prit un œil (ou un ciel) entouré d'une couronne d'épines. (SAINTE-Beuve. Port-Royal).

Lettres, opuscules, etc. Appendice 2, p. 476.

GONOD. Recherches sur la maison où B. Pascal est né, et sur la fortune d'Etienne Pascal. Clermont, 1847.

Lettres, opuscules et mémoires, etc.

Euphémie, p. 177.

7 M PÉRIER. Vie de Pascal.

Relation de sœur Jacqueline de Sainte

d'une pareille gêne, et il a certainement vécu à son aise, sans privation, même du superflu.

La riche bourgeoisie et la noblesse de robe, sous l'Ancien Régime, ont toujours affecté une certaine indépendance en matière de religion. C'est parmi les notables et les magistrats que se sont recrutés les défenseurs les plus obstinés des libertés gallicanes menacées par les ultramontains. Et, à l'égard même de l'église gallicane, ou du moins à l'égard du clergé, ils se piquaient de garder leur libre jugement et leur libre parler. Avec l'originalité et la verve en moins, avec la décence et la gravité en plus, la plupart semblent avoir eu les opinions. qu'a exprimées un Guy-Patin, par exemple : leur religion était solide, leur piété sincère, leur cœur chrétien, mais leur langue franche et volontiers hardie. C'est pour cela d'ailleurs qu'ils ont si facilement accepté le jansénisme : cette doctrine austère satisfaisait à leurs tendances morales et à leur sérieux professionnel; et elle se refusait à subir le joug de Rome, dans le temps où le gallicanisme semblait s'y résigner - précisément pour la mieux combattre. Magistrat, et d'une famille de magistrats, Etienne Pascal apportait dans les choses de la religion la même gravité respectueuse, tempérée par la même liberté. Sa foi, sans aucun doute, était sans réserves : l'air du siècle était chrétien, et le père de Pascal ne s'y sentait point gêné. C'est sans restriction aucune qu'il pouvait protester de son très grand respect pour la religion; et c'est tout naturellement qu'il l'inspirait à son fils, << lui donnant pour maxime que tout ce qui est l'objet de la foi ne le saurait être de la raison, et beaucoup moins y être soumis 1».

Toutefois, c'était là, ce me semble, cette « religion de coutume » dont parle Pascal, en déplorant qu'elle soit celle de tant de chrétiens 2. Uniquement acceptée par l'esprit, elle ne pénétrait point, pour ainsi dire, jusqu'au cœur ; elle n'était pas l'unique inspiratrice des actions, la seule règle de la conduite. La religion aisée, indulgente d'Etienne Pascal se conciliait sans peine avec les obligations et les plaisirs de la vie profane et mondaine comme le dit sévèrement l'historien de Port-Royal: « Il avait de la piété, mais elle n'était pas éclairée. Il ne connaissait pas encore les devoirs de la vie chrétienne et il croyait pouvoir allier des vues de fortune avec l'Evangile . » Ces sentiments ont plus tard laissé quelques traces dans la conduite d'Etienne Pascal, même après sa conversion comment expliquer autrement que lui, un janséniste fervent, ait jusqu'à sa mort interdit à sa fille Jacqueline l'entrée du couvent? Et même, la famille de Pascal était d'abord tellement éloignée des voies d'un christianisme austère qu'elle avait contre la vie religieuse des préventions qui ne sont point sans nous surprendre. MTM Périer ne nous dit-elle pas de celle qui sera plus tard sœur Euphémie <«< qu'elle avait un grand éloignement et même un peu de mépris pour la religion [c'est à dire ici le couvent], parce qu'elle croyait qu'on pratiquait

1 M PÉRIER. Vie de Pascal.

2 Cf Pensées, 424.

3 Histoire générale de Port-Royal. Tome III.

des choses qui n'étaient pas capables de satisfaire un esprit raisonnable 1. » ? Il n'est pas jusqu'à ce respect qu'Etienne Pascal manifestait pour la religion, en séparant si nettement les choses de la raison des choses de la foi, qui n'atteste le même état d'esprit. Un partage si net, si absolu, a sans doute pour but de ne point compromettre ou dégrader la religion en y mêlant rien de profane; mais n'est-il pas vrai que, de lui réserver si scrupuleusement son domaine, c'est aussi lui interdire le domaine de la raison, c'est séculariser, ou, comme nous dirions, laïciser toute une partie de la vie? Un respect qui interdit toute familiarité avec les choses saintes mène peut-être tout droit à une certaine indifférence pratique. Sans doute, cette indifférence n'est point du tout celle que nous pourrions trouver dans la bourgeoisie de notre temps. Le siècle est alors si généralement croyant, l'esprit de cette génération est si naturellement tourné vers la religion que cette tiédeur se concilie fort bien avec une foi sincère et même superstitieuse, Déjà le lien est rompu qui avait si étroitement rattaché la raison et la foi; mais, pendant quelque temps encore, elles feront route de conserve. En un mot, l'indépendance de la pensée chez le père de Pascal est celle d'un homme modéré, ami de la tradition et de la règle, élevé au milieu des enseignements du christianisme, en un temps où des incrédules comme le Prince de Condé et la Princesse Palatine, ne se sentant point sûrs dans leur impiété, avaient besoin de s'y encourager, et essayaient, dans cette intention, de brûler un morceau de la vraie croix. Nous en avons une preuve bien significative dans l'étrange histoire de sorcellerie que raconte Marguerite Périer 2. On sait comment, Blaise encore tout jeune étant gravement malade, une sorcière fut contrainte d'avouer qu'elle lui avait jeté un sort; menacée et battue par le grand père, elle sauva l'enfant, en transportant le sort sur un chat qui mourut. L'état d'esprit d'un homme instruit, d'un magistrat, qui ajoute foi à ces incantations, nous est devenu étranger: les hommes les plus religieux de notre temps sont jaloux d'éviter le reproche de superstition; mais c'est une preuve du moins qu'au XVII siècle, on était singulièrement plus enclin à croire au surnaturel que nous ne le sommes aujourd'hui, et Pascal lui-même a continué de croire aux sortilèges. En tout cas, ce récit de Marguerite Périer doit être noté une époque, où de semblables croyances sont répandues, est plus capable aussi d'une foi sans réserve.

Mais à ce moment, le père de Pascal n'est pas encore arrivé à la ferveur passionnée du jansénisme. Il est tout au monde, tout aux études profanes. Nous avons peu de renseignements sur ce qu'il pensait de la philosophie de Descartes : mais nous savons que le P. Mersenne, le factotum de Descartes, et son représentant à Paris, qui tenait les savants au courant des idées de son maître, était en relations étroites avec Etienne Pascal. De plus, le principe de la séparation de la raison et de la foi qui d'ailleurs se trouve déjà dans Montaigne est un des principes fondamentaux du cartésianisme : l'auteur du Discours de la méthode a

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2 Lettres, opuscules, etc. Mémoire de Marguerite Périer, p. 447
3 Cf Pensées, 773 et 422.

toujours témoigné ou affecté pour la religion et la morale ce même respect que professait Etienne Pascal. Enfin, la méthode, sinon la philosophie de Descartes était bien faite pour plaire à ce chrétien qui n'avait rien d'un ascète. C'est seulement quand une croyance est très vivante en nous que nous pensons à tout examiner à sa lumière, à en faire, pour ainsi dire, la pierre de touche des théories étrangères. Le cartésianisme ne pourra s'accorder avec le jansénisme qui méprise le monde et la science; il s'accordait sans peine avec ce christianisme facile qui se concilie sans peine avec toutes les jouissances honnêtes de la vie, et toutes les curiosités de l'esprit. En effet, Etienne Pascal se livrait avec ardeur et sans aucun scrupule aux recherches scientifiques. La conformité des goûts et des connaissances l'avait lié avec le P. Mersenne, Roberval, Carcavi, Le Pailleur, et d'autres savants. Toutes les semaines, on se réunissait chez le P. Mersenne pour s'y communiquer des travaux, se proposer des problèmes de mathématiques ou des questions de physique, et discuter les inventions des étrangers avec qui on entretenait un commerce réglé de lettres. C'est à cette libre académie, devenue plus tard l'Académie des sciences, que Pascal a dédié plusieurs ouvrages en 1654; et le père de Pascal y tenait une place importante. Nous le voyons toujours s'intéresser vivement aux inventions de son fils: c'est à lui que Pascal dédia ses Nouvelles expériences touchant le vide (1647), et c'est lui, qui, en 1648, écrivit au P. Noël la longue et énergique épître, où il défend à la fois et les théories scientifiques, et l'honneur de son fils.

Pourtant il ne fit point aux sciences une part excessive dans l'éducation de Pascal; au contraire, <« comme il savait que la mathématique est une science qui remplit et qui satisfait beaucoup l'esprit, dit Me Périer, il ne voulut point que mon frère en eût aucune connaissance de peur que cela ne le rendit négligent pour la [langue] latine et les autres langues dans lesquelles il voulait le perfectionner. » Elle nous dit aussi qu'il avait une méthode particulière — toute de raisonnement et de logique — pour enseigner le latin, le grec, et « les diverses parties de la philosophie ». Fût-ce, comme Etienne Pascal le craignait, parce que les sciences ont exclusivement absorbé l'esprit de son fils, ou parce que le père était lui-même peu capable de bien enseigner tout ce qui échappait à sa compétence de savant? toujours est-il que Pascal ne paraît pas avoir connu grand chose en dehors de la géométrie et la physique. Il parle assez rarement des anciens, et, d'ordinaire, ce qu'il en sait lui vient de Montaigne; de la littérature française, il n'a guère lu que ce même Montaigne, et son disciple Charron, quelques traités de Du Vair 3, les pièces de Corneille qui était lié avec sa famille et peut-être quelques autres ouvrages à la mode 5; quant aux études

1 Cf BRUNETIÈRE. Etudes critiques. 4" série. Jansénistes et cartésiens.

2 Cf Pensées, 446.

Cf Fr. COLLET. Un fait inédit de la vie de Pascal.

C'est lui qui a remercié les juges des Palinods de Rouen, au nom de la famille

de Jacqueline (1640).

Cf Pensées, 756. Voir aussi la première Lettre de Racine, à l'auteur des Visionnaires.

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plus sérieuses de théologie et de philosophie, il s'y est adonné trop tard pour en être bien instruit, s'il faut en croire et Nicole', et ce bon oratorien qui le trouvait << si intelligent, mais si ignorant ». Il se peut que le théologien Nicole exagère, et qu'il fasse simplement allusion à une ignorance bien naturelle des arcanes de la théologie; mais il n'en est pas moins vrai que Pascal avait assez peu lu et que toutes ses connaissances historiques dans les Provinciales et dans les Pensées lui viennent ou de Montaigne, ou des notes fournies par Port-Royal, ou de quelques livres très spéciaux, comme le Pugio Fidei 3.

Ainsi, grâce à l'éducation qu'il avait reçue et à ses dispositions merveilleuses, Pascal se précipita dans l'étude des sciences avec l'impétuosité de sa nature ardente. Il s'y mit tout entier, et les travaux de géométrie et de physique suffirent d'abord à cette imagination si fougueuse et à cette sensibilité plus tard si emportée.

C'est dans tout le feu de cet enthousiasme pour la science que Pascal passa de l'enfance à la jeunesse, de l'âge où l'on reçoit docilement les inspirations des parents et des maîtres à l'âge où « l'on commence à être ébranlé par la raison ». Ce ne fut chez lui qu'une insensible transition. Guidé dès ses plus jeunes années par un père attentif, il a, en toute confiance, accepté ses leçons, suivi ses idées, acquis peu à peu ses opinions et même ses goûts. En particulier, il ne fait aucune difficulté d'admettre l'absolue séparation de la raison et de la foi. Nous avons à ce sujet le témoignage très précis de MTM Périer. Elle voit une protection spéciale de Dieu dans la façon dont son frère a été préservé « du libertinage en ce qui touche la religion, ayant toujours borné sa curiosité aux choses naturelles ». Les leçons d'Etienne Pascal «< avaient fait, dit-elle, une si grande et si vive impression sur son esprit que, quelque discours qu'il entendit faire aux libertins, il n'en était nullement ému... et qu'il était soumis à toutes les choses de la religion comme un enfant. » C'est ainsi, qu'à la fin de son Traité des sections coniques (1639-1640), il écrit : « Si l'on juge que la chose mérite d'être continuée, nous essaierons de la pousser jusqu'où Dieu nous donnera la force de la conduire. » Cette mention de Dieu à la fin d'un ouvrage de géométrie est tout au moins le témoignage d'une foi assez présente.

Cependant, les sentiments religieux de Pascal, pour être sincères, n'avaient rien de cette intransigeance à laquelle ils sont arrivés plus tard. Ses sœurs, tout en affirmant la persistance de sa foi, ne disent rien sur la piété qu'il aurait manifestée dans sa jeunesse. Or, pour qui a lu le Nécrologe de Port-Royal, il est bien certain qu'on n'eût point oublié de noter cette piété, si elle avait eu rien de remarquable. Lisons d'ailleurs la Prière sur le bon usage des maladies, qui doit faire allusion à cette époque, puisque les éditeurs nous apprennent que

1 Nicole traite Pascal de « Ramasseur de coquilles ». (Port-Royal, livre III.) Le P. Thomassin de l'Oratoire. (Port-Royal.)

Cf la Préface de l'édition MOLINIER. Aurait-il lu aussi le Commentaire sur la vie d'Apollonius d'Artus Thomas, et le Tractatus de reprobatione sententiæ Pilati de LUDOVICUS MONTALTUS? (Voir l'article de M. Jovy et la Rey. d'Ilist. litt. 1895, p. 248.)

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