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Pascal << la composa étant encore jeune ». Il y reconnaît que « sa vie passée a été exempte de crimes », c'est à dire sans doute d'inconduite et d'incrédulité, car, dans son ardeur janséniste, l'incrédulité lui eût paru un crime. Mais il s'y reproche << sa négligence continuelle, le mauvais usage des sacrements, le mépris de la parole de Dieu, l'oisiveté, et l'inutilité totale [au point de vue du salut, évidemment] de ses actions et de ses pensées, enfin, la perte du temps que Dieu lui avait donné pour l'adorer » (VIII). Il a aimé le bonheur, envié « une fortune avantageuse, une réputation glorieuse, une santé robuste », parce qu'elles lui permettaient << de s'abandonner avec moins de retenue, dans l'abondance des délices de la vie et d'en mieux goûter les plaisirs » (IX). Son cœur était «< rempli des idées, des soins, des inquiétudes et des attachements du monde » (iv) et le monde << a été l'objet de ses délices » (v). En effet, la situation du père de Pascal était devenue assez brillante pour que son fils fùt davantage porté aux distractions profanes, et se laissât un peu séduire au monde. Etienne Pascal avait été nommé intendant pour les tailles, en Normandie, conjointement avec M. de Paris. On sait quelle était la presque omnipotence des intendants en province, et quel personnage ils y jouaient. Ajoutons que les deux intendants, à partir de 1643, exercèrent un pouvoir extraordinaire en raison de la révolte des Va-nu-pieds et que le terrible cardinal de Richelieu avait montré pour le père de Pascal une indulgence rare 1, puis une bienveillance flatteuse. Aussi devait-il compter parmi les notables de Rouen, et avoir des relations avec la plus haute société : dans l'affaire du frère Saint-Ange, nous voyons Pascal en visite chez des conseillers du parlement et lié avec des jeunes gens de la noblesse de robe. La famille avait donc des idées profanes c'est alors que Gilberte épousa son cousin Périer, et il ne semble pas qu'en cette occasion personne se soit fait les scrupules que se feront plus tard et Port-Royal, et Pascal, et MTM Périer elle-même. Ainsi. Pascal, jeune, heureux, << parfaitement beau ». fier de la prospérité de sa maison, appuyé sur la protection du tout puissant cardinal, ouvrait son âme à l'espérance et à la vie.

D'ailleurs, il n'avait pas seulement toutes les faveurs de la fortune, il avait déjà la gloire. Le bruit de ses étonnantes aptitudes scientifiques s'était répandu, et Descartes lui-même si prompt du reste à s'inquiéter- en avait pris ombrage. Il persistait à soutenir que le Traité des sections coniques ne pouvait pas être du jeune Pascal, mais que son père, le véritable auteur, lui en cédait sans doute l'honneur, par amour paternel. Du moins, l'invention de la Machine arithmétique ne fut pas contestée au jeune homme. C'est pour aider son père dans « les calculs infinis» que lui imposait la tenue des livres, qu'il en avait conçu l'idée; et, pour parachever son invention, il se donna une peine hors de proportion assurément avec l'utilité qu'on en peut retirer.

Cette recherche passionnée, qui ruine sa santé déjà ébranlée, cette obsti

Il lui avait pardonné ses protestations contre les suppressions des rentes de i'Hôtel-de-Ville (cf Lettres, opuscules, p. 440, note).

2 Lettre au P. Mersenne.

nation à triompher des difficultés théoriques ou matérielles, des atteintes de la maladie, ou des maladresses des ouvriers, nous donnent un trait important du caractère de Pascal. Toute sa vie, il se jettera avec le même élan dans la voie qu'il vient de découvrir, il luttera contre la nature, contre les autres, contre lui-même, tant qu'il n'aura pas atteint le but qu'il «< cherche en gémissant » ou réalisé l'idéal qu'il a rêvé. Pour le moment (1645), il est tout géomètre, et il place au premier rang cette «< véritable science, qui, par une préférence toute particulière, a l'avantage de ne rien enseigner qu'elle ne démontre 1. » Ce n'est pas tout à cette date, son ardeur pour la science est encore excitée par l'amour de la gloire. Sa Machine enfin achevée, il se hâte d'en rendre la description publique, afin que tous la connaissent et sachent « qu'elle est le coup d'essai d'un jeune homme de vingt ans 1. » Ce n'est rien moins qu'un personnage illustre comme le chancelier Seguier qu'il choisit, pour lui dédier sa découverte. Et, dans son Avis à ceux qui verront la Machine arithmétique, rien n'est plus curieux que la fierté avec laquelle il énumère soigneusement les difficultés qu'il a vaincues, si ce n'est l'emportement avec lequel il se plaint que des ouvriers maladroits, en construisant de mauvaises machines, discréditent la sienne et compromettent sa gloire. C'est bien la marque de ce goût de l'excellence, cupido excellendi, dont M Périer nous apprend que plus tard il se défendait attentivement.

Ainsi, dans cette première période de sa vie, l'amour de la science et l'amour de la gloire captivaient toutes les puissances de son âme, et la religion, réduite à un rôle effacé, n'occupait qu'une place secondaire dans sa pensée et dans ses actions. «Il était bien éloigné de Dieu, dit l'austère historien de Port-Royal, puisqu'il aimait les divertissements qui ne peuvent s'accorder avec son esprit 2.

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II 1646-1649

La première «< conversion » au jansénisme nature, circonstances, causes. Les écrits jansénistes: Prière sur le bon usage des maladies, Lettre sur la mort, lettres, etc. L'affaire Saint-Ange. Travaux, découvertes, polémiques scientifiques. Le jansénisme et les études profanes.

C'est dans le courant de l'année 1646 qu'eut lieu ce qu'on appelle la première conversion » de Pascal. Cette expression est universellement admise et comme consacrée par la longue habitude de tous ceux qui ont parlé de lui; mais il importe d'en bien éclaircir le sens. Nous savons assez exactement ce qu'il

1 Dédicace au chancelier Seguier, 1645.
Histoire générale de Port-Royal. Tome III.

était avant et ce qu'il fut après la première conversion : le mot ne risque donc pas ici de nous induire en erreur; au contraire, les années mondaines qui ont précédé la seconde, nous sont mal connues; et, à prendre le terme dans sa signification ordinaire, nous pourrions en tirer des conclusions excessives sur cette période obscure.

Dans une conversion, l'intelligence joue un rôle, puisque la vérité d'une doctrine, et la fausseté d'une autre sont saisies par l'esprit; la sensibilité en joue un aussi, puisque des mobiles affectifs peuvent avoir déterminé ou favorisé l'adhésion de l'intelligence; la volonté enfin joue le sien, puisque le converti doit conformer désormais sa vie à sa nouvelle foi. Or, pour nous, c'est avant tout ce qu'il y a d'intellectuel dans une conversion, qui la constitue à proprement parler on se convertit quand on change de croyance, quand on passe d'une doctrine hétérodoxe ou de la négation de toute doctrine religieuse, à une doctrine orthodoxe. Il n'en est pas toujours de même au XVII" siècle. Sans doute, on y parle de la «< conversion » de Turenne, et la grande affaire du siècle finissant sera la << conversion » des protestants. Mais, dans bien des cas, le mot a une portée de beaucoup plus restreinte. Se convertir alors, ce n'est plus changer de croyance, c'est revenir pour s'y attacher plus fermement à une doctrine quelque peu délaissée, c'est se dégager de la vie du monde, pour renaître à la vie chrétienne. M de Longueville, M" de Sablé, M" de la Vallière se sont «< converties >> ; or, si elles avaient commis des fautes retentissantes, enfreint les lois de la morale et de la religion, elles ne s'étaient point abandonnées à une impiété systématique; c'est donc uniquement la réforme de leurs mœurs que l'on veut désigner par ce mot. A plus forte raison en sera-t-il de même de Pascal: il n'a pas à se reprocher de pareils écarts de conduite, il s'est tout au plus laissé aller à une certaine indifférence religieuse; il n'y a pas là matière à une abjuration, à une conversion véritable.

Ajoutons que ceux qui ont les premiers employé cette expression étaient des jansénistes; et les jansénistes avaient leur vocabulaire à eux. Le jansénisme ayant tous les caractères d'une secte, par le petit nombre des fidèles, par les soupçons qu'il excitait et les persécutions qu'il avait à subir, par les voies mystérieuses dont il était contraint d'user, par l'opposition tranchée qu'il voyait entre la pureté de ses doctrines, et la corruption des dogmes dans l'Eglise, par l'austérité morale qu'il affichait, était facilement porté à se servir de bien grands mots. Pris individuellement, chacun y était humble, car une foi sincère lui en faisait un devoir; mais il en est un peu de l'humilité dans les sectes, comme de la pauvreté dans les ordres mendiants: tous les membres de l'ordre méprisent réellement les richesses, pour leur propre compte, mais ils les recherchent pour le compte de la société; et, le désintéressement qu'ils se reconnaissent, le sentiment du devoir auquel ils se croient liés, un reste d'amour-propre caché sous la forme de l'esprit de corps, les rendent d'autant plus hardis dans cette poursuite qu'ils s'y livrent en toute sûreté de conscience. Ainsi, le janséniste, reportant sur le petit troupeau dont il fait partie tout l'amour-propre dont il se dépouille, convaincu de

posséder lui et les siens la vérité absolue, est poussé à exagérer en paroles la distance qui le sépare de ceux qui ne sont pas fidèles et à transformer des nuances de doctrine en des oppositions violentes. Toutes les sectes qui ont la prétention de réformer le monde en sont là; et les termes si forts qu'emploient les jansénistes ne doivent pas plus être pris à la lettre que les exagérations des puritains par exemple. La conversion de Pascal aura donc consisté à passer d'une tiédeur respectueuse au zèle enflammé des stoïciens du christianisme; mais cette transformation s'est faite dans le sein de l'Eglise, et il n'a pas eu à y rentrer, puisqu'il n'en était pas sorti.

On connaît les circonstances de cette conversion. Etienne Pascal, au mois de janvier 1646, s'était démis la cuisse en tombant sur la glace. Il eut recours à deux gentilshommes du pays, La Bouteillerie et Deslandes, tous deux disciples du curé janséniste de Rouen, Guillebert, et devenus guérisseurs assez habiles, en soignant les pauvres. Ils s'installèrent pendant trois mois chez lui, et y répandirent la bonne parole de la doctrine nouvelle. « On voulut lire les livres de piété qu'ils lisaient, afin de s'instruire de la religion comme ils l'étaient. Ce fut ainsi que la famille de Pascal commença à prendre connaissance des ouvrages de Jansenius (par la lecture du Discours sur la Réformation de l'homme intérieur, dont il est l'auteur), de ceux de M. de Saint-Cyran, de M. Arnauld et d'autres de ce genre dont la lecture ne fit qu'augmenter le désir qu'ils avaient de se donner à Dieu 1. » C'est alors que Pascal prit la résolution « de ne vivre que pour Dieu, et de n'avoir point d'autre objet que lui . » Son esprit de géomètre fut frappé de la logique du raisonnement janséniste; l'austérité de cette doctrine qui lui offrait la joie sombre du sacrifice a séduit son âme emportée; et il l'a embrassée avec d'autant plus d'ardeur que son imagination avait été déjà ébranlée et sa sensibilité surexcitée par les atteintes de la maladie.

En effet, la santé de Pascal était alors gravement compromise. Dès son enfance déjà, il avait dû être assez débile, puisque l'on crut à un sort jeté sur lui. Plus tard, son travail incessant, son application exclusive aux matières ardues de la science l'affaiblirent encore; et lui-même déclare qu'à partir de dix-huit ans il ne passa plus un jour sans douleur. A cela vint s'ajouter la fatigue extrême que lui causèrent l'invention et l'exécution de sa Machine arithmétique. Il fut atteint alors d'une paralysie qui le tenait « depuis la ceinture jusqu'en bas il ne pouvait marcher sans béquilles ses jambes et ses pieds restaient inertes, froids et comme morts. Jusqu'au temps de sa vie mondaine, il fut sous le coup de cette maladie. En 1648, il dut aller se faire soigner à Paris, et dans sa Lettre à Jacqueline, du 24 janvier, il se plaint << que son indisposition l'empêche d'écrire, et qu'il ait peu d'heures de loisir et de santé. » Lui qui s'était ouvert si naturellement aux joies du monde, on voit quel désespoir lui eussent causé ses infirmités

1 Histoire générale de Port-Royal. Tome III.

2 Mme PERIER. Vie de Blaise Pascal.

Lettres, opuscules, etc. Mémoire de Marguerite Périer, p. 452.

continuelles sans le secours de sa foi; mais elle avait saisi son esprit et rempli son cœur; elle le consolait de ces disgrâces en les lui montrant comme une faveur toute spéciale, la marque de la prédestination et un effet de la miséricorde de Dieu pour lui.

C'est le témoignage de Pascal lui-même, qui nous permet d'affirmer que sa maladie est pour beaucoup dans sa conversion. Dans la Prière sur le bon usage des maladies, il rappelle « les maux qu'il souffre et ceux qui le menacent », et il invoque comme un titre auprès de Dieu « les plaies que la main de Dieu lui a faites » (1x). Il lui semble, pour ainsi dire, que ces souffrances lui donnent des droits et qu'il y a comme un compte ouvert entre Dieu et lui. Oui, c'est par pure bonté que son Créateur l'a mis « dans l'incapacité de jouir des douceurs de la santé et des plaisirs du monde », qu'il a « détruit à son égard toutes choses dans l'affaiblissement où il l'a réduit », qu'il l'a « plongé dans cette espèce de mort, séparé du monde, dénué de tous les objets de ses attachements », pour le retirer << de l'usage criminel et délicieux du monde » (). Mais il est juste alors que Dieu achève son œuvre : « Il ne l'a pas laissé languir sans consolation dans les souffrances naturelles »; qu'il ne l'abandonne donc point « aux douleurs de la nature, sans les consolations de l'Esprit divin », qu'il « console maintenant et adoucisse ces souffrances par la grâce de son Fils unique » pour le combler enfin <«< d'une béatitude toute pure, dans la gloire de son Fils unique » (1x). Bien significatifs encore sont le ton de résignation de la fin, et la prière touchante qui y est faite au Souverain Maître de disposer le cœur et la volonté de Pascal à la souffrance. Ses douleurs excessives ne lui arrachent pas seulement des plaintes, mais encore elles prédisposent son âme à la foi. Elles ont fortifié en lui cette conviction qu'il doit être récompensé. Elles lui ont en quelque sorte persuadé (bien que cette idée ne s'accorde pas avec la gratuité de la grâce) que Dieu serait injuste s'il ne lui envoyait point des grâces particulières, et que, par suite, le jansénisme où il s'engage est la vraie, la seule vraie doctrine.

Il fut donc le « premier touché », mais il entraîna vite toute sa famille à sa suite. << Il eut, dit Marguerite Périer, assez de peine à faire comprendre à Jacqueline qu'elle ne pouvait allier deux choses aussi contraires, l'esprit du monde qu'elle aimait, et celui de la piété qu'elle commençait à goûter, qu'il n'était pas possible, selon l'Evangile, de servir en même temps Dieu et le monde... Enfin, il réussit, par ses discours et par ses exemples, à lui persuader de ne plus penser qu'à Dieu; dont [ce dont] elle lui témoigna toujours une grande reconnaissance, se regardant comme sa fille. » Dès lors, elle ne se conduisit que d'après ses avis, et c'est par son conseil, qu'elle refusa un beau mariage, et qu'elle songea plus tard à entrer en religion. C'est aussi Pascal qui « convertit » son père, son autre sœur et son beau-frère à la fin de cette même année 1646. La ferveur de sa foi était contagieuse et lui donnait sur ses proches un ascendant irrésistible.

Le fond du jansénisme, on le sait, c'est l'importance donnée aux deux dogmes de la tache originelle et de la grâce. La nature, pour un janséniste, est absolument corrompue, et, par elle-même, ne saurait tendre qu'au mal les

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