Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

1

est honnête homme1»; car comme le disait Méré: « un honnête homme n'a pas de métier ? ». Avec cet inconscient pédantisme, Pascal montrait un goût bien retardataire et des admirations qui sentaient leur province. Nous l'avons vu séduit par le bel esprit d'une « Sapho » auvergnate; et, au début de son voyage avec Méré, il semblait faire grand cas des « écrits de du Vair, ou des bons mots du lieutenant criminel d'O. » Mais il avait l'esprit naturellement vif et fin il vit bien que ses jugements étaient démodés, et paraissaient ridicules aux parisiens qui l'accompagnaient; il observa dès lors silencieusement, s'informa avec soin, et, à l'arrivée, il était déjà corrigé 3. C'est bien ainsi qu'on se le représente en effet, un peu arriéré, un peu gauche, mais suppléant vite aux lacunes de son éducation mondaine par la pénétration de son intelligence et par la justesse de son coup d'œil.

C'est à ce moment sans doute, que Pascal considérant le « long temps qu'il avait passé dans l'étude des sciences abstraites..... commença l'étude de l'homme1». Il reconnut que la méthode des mathématiques n'était point la seule, et qu'elle ne pouvait rien hors de son domaine. A côté des principes, des axiômes et de leurs conséquences qu'il avait jusque là regardées comme les uniques objets de la connaissance rationnelle (la religion étant à part), il aperçut des choses plus compliquées, plus délicates et plus subtiles, les choses vivantes de l'esprit humain et de la société, qu'il faut avoir « bonne vue » pour voir : il distingua l'esprit de géométrie et l'esprit de finesse. Le premier c'était l'esprit « aux vues nettes, dures et inflexibles », la méthode sévère qui lui avait permis de faire ses découvertes. Mais il y renonçait en partie, il ne voulait plus se rendre ridicule en procédant toujours par principes, démonstrations et conséquences. Il voulait acquérir cette << souplesse de pensée qui s'applique en même temps aux diverses parties » des objets, ou comme le lui dit Méré, avoir désormais « l'esprit fin et les yeux fins, pour remarquer à la mine et à l'air des personnes qu'il verrait quantité de choses qui pourraient beaucoup servir 5». Il voyait bien que le chevalier son modèle n'était point un esprit géométrique, lui « qui ne se pouvait du tout tourner vers les principes de la géométrie »; mais il espérait pour son compte, concilier les deux, « posséder à la fois et la force et la flexibilité de l'esprit >>. Ainsi, ce que l'usage exclusif de la méthode géométrique aurait pu donner à son intelligence de trop formaliste et de trop étroit, il s'en défaisait peu à peu, puisqu'il en arrivait à comprendre « qu'il y a des choses tellement délicates et si nombreuses, qu'il faut un sens bien délicat et bien net pour les sentir et [pour] juger droit et juste, selon ce sentiment, sans pouvoir le plus souvent les démontrer par ordre comme en géométrie, parce qu'on en possède pas ainsi les

[blocks in formation]
[ocr errors]

1

principes, et que ce serait une chose infinie de l'entreprendre 1». Et pour la première fois apparaît chez lui ce mépris de la démonstration, cette confiance en l'intuition directe, au sentiment instinctif, que nous verrons dans les Pensées.

2

Mais, pour acquérir ce « sens délicat et net », ce ne sont rien que des conseils, si bons soient-ils, il faut la pratique, il faut se mêler à la vie, ou « même s'y enfoncer », se former insensiblement par la fréquentation des << honnêtes gens ». « La science et l'érudition, dit Méré, produisent beaucoup de sots, et c'est en pratiquant ceux qui ont de l'esprit qu'on devient honnète homme 3. >> C'est ce que fit Pascal, qui se mit en relations avec les amis du duc et du chevalier. Ainsi, nous savons par la gazette de Loret, que, le 14 avril 1652, il fit une sorte de conférence privée chez la duchesse d'Aiguillon, et on le vit assez souvent chez M de Sablé, dont le salon précieux était alors florissant.

A ce moment, toute la France, comme dit M de Sévigné c'est-à-dire la partie la plus brillante de la société, le Tout-Paris d'aujourd'hui, toute la France s'adonnait aux lettres. L'hôtel de Rambouillet avait donné l'exemple et le modèle des ruelles littéraires, et de tous côtés on l'imitait. Méré, l'arbitre de toutes les élégances, qui suivait la mode quand il ne la faisait pas, devait avoir des principes à lui sur le bon goût. Il dut servir de guide à Pascal, qui semble avoir jusque-là singulièrement négligé les lettres. C'est alors, sans doute, que l'auteur des Pensées comprit la supériorité du naturel sur les faux clinquants du mauvais goût, les défauts de certaines façons vicieuses de s'exprimer, le ridicule des vaines périphrases, des fausses antithèses, des puériles élégances, c'est alors qu'il lut des romans, qu'il fréquenta la comédie et en goùta le charme dangereux, qu'il apprit à discuter congrùment des mérites d'un sonnet, etc. Tout cela, il l'eut sans doute trouvé ou fait par lui-même; mais les conseils du chevalier n'y ont point été inutiles.

Les belles lettres et la galanterie formaient les occupations ordinaires des « précieuses » et des «< honnêtes gens ». Les Pensées sur l'éloquence, le goût et l'art d'écrire nous sont une preuve que Pascal s'est, comme les autres, occupé de littérature: le Discours sur les passions de l'amour nous serait un témoignage qu'il n'a pas non plus négligé la galanterie. L'authenticité de ce morceau a été souvent contestée, et pour des raisons en somme assez plausibles. Les arguments contraires ne paraissent pas non plus sans valeur il y a dans le Discours bien des idées de Pascal et, chose plus significative encore, des expressions qui lui sont propres bien des traits éclatants y révèlent son génie; et l'on ne doit pas trop s'arrêter au contraste que présentent avec le reste de sa vie les théories presque épicuriennes qui s'y expriment, car enfin, il faut bien que Pascal ait fait quelque chose pour mériter les anathèmes de la mère Agnès. A ces raisons, s'en ajoute extérieure celle-là et qui cependant n'est point non plus sans

une autre

1 Pensées, 639.

2 MÉRÉ. Tome III, p. 12.

3 MÉRÉ. Tome I, p. 46.

4 Cf Pensées, 329, 701, 334, 753. 363, 23. 450, 326. 756. 956, 328.

force. Ce texte nous est parvenu dans un recueil d'écrits jansénistes avec la mention « On l'attribue à M. Pascal ». Or, pour qu'un janséniste, un disciple de cette doctrine ascétique, ait attribué au grand homme du parti une œuvre qui respire des sentiments si profanes, et presque païens, ne faut-il point qu'il n'ait pu faire autrement et que les probabilités accumulées aient forcé sa conviction? Mais si l'on admet que ce discours est bien de Pascal, toutes les difficultés ne sont pas encore résolues. La vraie question est de savoir ce que l'auteur y a mis de lui-même, dans quelle mesure il y traduit et nous révèle des sentiments réellement éprouvés. Je l'avoue, il ne me semble pas que dans ce discours respire une passion véritable, et rien ne prouve qu'à l'époque où il l'a écrit. Pascal eut quelque amour au cœur. Quand j'y considère la subtilité des idées, les sentiments si raffinés, l'union étrange de la préciosité et de la logique, les distinctions forcées, ce qu'on sent là de recherche ou même d'affectation, je croirais plutôt que Pasca a simplement voulu faire œuvre de littérateur. Ce pourrait être la solution d'un de ces problèmes de casuistique galante comme on aimait à en agiter, dans la chambre bleue de l'incomparable Arthénice. Beaucoup des pensées que l'on rencontre dans cet ouvrage, si improprement appelé un discours, sont en réalité des sentences détachées, souvent aiguisées en traits, et qui ont des airs de maximes. On se demande alors si Pascal ne l'aurait pas écrit pour M" de Sablé : on sait, en effet, que l'un des fragments des Pensées a été retrouvé dans les papiers de la marquise à qui sans doute l'auteur l'avait communiqué: le discours a pu avoir la même destination. Ce serait donc une œuvre destinée au public, et non pas un de ces opuscules, pour ainsi dire confidentiels, que Pascal écrivait pour lui seul. Est-ce à dire cependant qu'il n'y faille voir qu'un jeu d'esprit, et que nous n'en puissions rien conclure sur les sentiments qu'il éprouvait alors? On n'oserait point aller jusque-là. Et tout d'abord, le choix du sujet est bien significatif. Que Pascal étudie avec une si évidente complaisance une passion qui met la créature en un rang réservé par le Jansénisme au seul Créateur, voilà qui doit nous étonner. Qu'elle est loin l'austérité de cette lettre à M" Périer (1648), où il semble fouler aux pieds les affections naturelles pour ne célébrer que les affections plus hautes qu'inspire la grâce divine! Et dans le ton aussi, se révèle un état de l'esprit ou plutôt du cœur, bien nouveau chez Pascal. Ces mots ardents, cette peinture du bonheur qu'apporte l'amour, cette proclamation des droits de l'amour confondu avec la raison même, si tout cela n'est pas d'une âme déjà éprise, ce n'est pas du moins d'une àme indifférente. «< A force de parler d'amour, dit-il, on devient amoureux. » Pour lui, mêlé comme il l'était aux discussions sentimentales des précieuses, son imagination fut ébranlée : « le cœur rempli de toutes les beautés et de toutes les douceurs de l'amour, l'âme et l'esprit persuadés de son innocence, il était tout préparé à en recevoir les premières impressions, ou plutôt à chercher l'occasion de les faire naitre dans le coeur de quelqu'un pour recevoir les mêmes plaisirs et les mêmes sacrifices 1», comme quand il sortait

Pensées, 956.

de la comédie. Mais rien ne nous autorise à croire que cette vague disposition à la tendresse ait trouvé où se prendre : on s'accorde généralement à rejeter le roman de son amour pour M" de Roannez 1. M Périer nous dit qu'il songeait à se marier; et le Discours parle du plaisir d'aimer « sans égalité de condition >> et << sans l'oser dire ». Ce renseignement et ces allusions ne se concilient guère; mais pourquoi y voir des allusions?

On a cru aussi que Pascal à cette époque se serait occupé de politique, et avec des vues personnelles d'ambition: mais il n'y en a nulle trace dans ses euvres. Tout ce qu'il a pu écrire de plus dur sur la faiblesse des rois, de plus hardi sur l'injustice de l'hérédité et de la primogéniture, de plus méprisant dans sa défense de la hiérarchie sociale par ses raisons de derrière la tête, tout cela, comme ses attaques contre la science ou la justice, rentre dans le plan général de la grande attaque qu'il a menée contre la nature et la société humaines. Assurément, il n'a pas pu voir la Fronde sans y apprendre beaucoup : sous ses yeux, le pouvoir royal fut discuté, les principes du gouvernement livrés à la polémique des pamphlétaires, la révolte un instant victorieuse, et la personne même des rois menacée; c'est bien de là que doit lui venir l'audace de quelques-uns de ses jugements. Mais, nous savons par MTM Périer, qu'il s'indignait fort des rebellions des frondeurs, et qu'il refusa « des avantages considérables » pour ne point s'y associer. Il est bien peu vraisemblable qu'il ait pris aux affaires publiques un autre intérêt que celui qu'y prend un sujet fidèle : « Pour le monde artificiel qui dépend des institutions des hommes, lui dit Méré, vous le négligez..... et je vous en sais bon gré. »

Mais la vie de salon, les occupations scientifiques et les études littéraires ne remplissaient pas seules la vie de Pascal. « Il s'était engagé insensiblement à revoir le monde, à jouer, à se divertir, dit l'Historien de Port-Royal. Au commencement, cela était modéré, mais enfin il se livra tout entier à la vanité, à l'inutilité, au plaisir et à l'amusement, sans se laisser aller cependant à aucun déréglement honteux. » Nous savons que Miton et Méré étaient joueurs et Méré, dans plusieurs de ses lettres, se plaint des créanciers importuns. Entraîné à les imiter, Pascal se trouva vite dans l'embarras, car sa fortune ne lui permettait pas des dépenses excessives: <«< il avait peine à vivre comme ceux de sa condition » avoue la sévère mère Agnès elle-même. C'est sans doute par cette raison qu'il faut expliquer ses dissentiments passagers avec soeur Euphémie. Après la mort d'Etienne Pascal, il aurait bien voulu retenir auprès de lui sa sœur Jacqueline; mais, si elle avait obéi à un père, elle n'entendait point se soumettre aux volontés de son frère. Il eut beau faire l'opposition la plus vive: elle n'en tint aucun compte, et il fut réduit à lui accorder d'assez mauvaise grâce son consentement quand elle se fut arrangée de manière à s'en pouvoir passer. Seulement, quand Jacqueline, du

1 Cf GAZIER.

Le roman de Pascal. Revue politique et littéraire. 2 M. DÉROME. Préface des Provinciales. (Garnier.)

3 Lettres, opuscules, etc. Relation de sœur Euphémie.

couvent où elle s'était retirée, écrivit à M Périer et à Pascal, qu'elle voulait donner son bien aux pauvres, ils s'en offensèrent tous deux. Invoquant certains arrangements de famille qu'elle avait signés avant d'entrer à Port-Royal, ils lui firent observer que leurs biens étaient restés indivis, qu'elle n'avait pas le droit d'en disposer; ils la menacèrent même d'un procès, dans des lettres séparées mais << d'un même style, où sans lui dire qu'ils fussent choqués, ils la traitaient cependant comme l'étant beaucoup ». En un mot «< ils prirent tous deux les choses dans un esprit séculier 1»; Jacqueline dépeint avec beaucoup de force le chagrin dans lequel la plongea cette conduite imprévue. Son frère, dans une visite qu'il lui fit, vit son désespoir et en fut touché : « de son propre mouvement, il se résolut à mettre ordre à cette affaire, s'offrant même de prendre sur lui toutes les charges et tous les risques du bien. » Mais, à ce qu'il semble, ce fut plus par point d'honneur, et par amour fraternel que par esprit de dévotion. Que faut-il penser de cette affaire, et jusqu'à quel point devons-nous l'en blâmer? Tout d'abord il faut bien noter qu'il était dans son droit, et Jacqueline elle-même le reconnaît s'il a soutenu ses intérêts avec un peu d'âpreté, il ne voulait point dépouiller sa sœur. Puis, MTM Périer, qui, elle, n'était pas mondaine, et avait gardé sa ferveur janséniste, s'était rangée à ses côtés et voulait comme lui empêcher Jacqueline de faire des libéralités au couvent. Mais enfin, Pascal n'avait pas comme elle, à défendre les intérêts et à assurer l'avenir de plusieurs enfants: il ne songeait en cela qu'à lui-même et à ses plaisirs : « il était trop du monde et même dans la vanité et les amusements. pour préférer les aumônes que voulait faire sa soeur, à la vanité particulière. »

A ceux qui vivaient dans le véritable esprit du jansénisme, son état paraissait désespéré, et ils se disaient avec la mère Agnès, qu'« il n'y avait pas même lieu d'attendre un miracle de la grâce, en une personne comme lui ». Jusqu'où s'est-il donc laissé aller? comment se comporta-t-il à l'égard des préceptes moraux et des enseignements dogmatiques de la religion? en un mot, fut-il ou ne fut-il pas << libertin » ? Pour ce qui est du libertinage au sens moderne de ce mot, du libertinage des mœurs, nous pouvons hardiment répondre que non. « Il n'avait point d'attache pour les autres, dit M" Périer, je ne parle pas de ces attaches criminelles et dangereuses, cela est grossier, et tout le monde le voit bien, etc... >> Songeons à l'importance que le christianisme a toujours attachée à cette vertu de la chasteté, rappelons-nous que, pour des dévots, comme le dit La Bruyère 2, l'incontinence est le plus horrible des crimes ou même le seul crime qu'ils connaissent, relisons les pages où Saint-Cyran interdit la prêtrise à tout homme qui aurait une fois péché contre la chasteté, et nous demeurerons convaincu que si Pascal eût commis une faute de cette nature, il en eut éprouvé de vifs remords, dont l'expression se retrouverait dans ses écrits. Or. dans les passages où il exprime le plus pleinement l'idée de l'humilité chrétienne, où il a le sentiment le

1 Relation, citée.

2De la mode.

« ZurückWeiter »