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quelque sorte porté garant de la Divinité, en assurant qu'elle se prononcerait par un miracle. « La joie qu'il eut de voir le Seigneur s'intéresser à la parole qu'il avait donnée fut si grande qu'il en était pénétré. » Et puis. l'enfant qui avait été l'objet d'une faveur si précieuse, était sa nièce dans l'ordre du sang, sa fille dans l'ordre de la grâce. N'était-ce point un signe que Dieu avait pour agréable l'œuvre de Pascal, et qu'il le désignait comme son défenseur ? Cette consécration même lui dictait son devoir. « Comme Dieu n'a pas rendu de famille plus heureuse, s'écrie-t-il, qu'il fasse aussi qu'il n'en trouve pas de plus reconnaissante 1. » Et il s'élança de nouveau à la lutte, avec un courage raffermi et une confiance inébranlable.

Cette ardeur nouvelle ne tarda point à se manifester. Il poursuivit avec plus de vigueur ceux qu'il regardait comme des réprouvés le ton des Provinciales s'élève de la raillerie à l'indignation, ce ne sont plus des comédies, ce sont des discours de malédiction et d'anathème. En même temps il suivait avec un zèle pieux et tendre les progrès de la grâce chez ceux qu'il regardait comme des élus. C'est alors qu'il écrivit ses lettres à M" de Roannez, sœur de son intime ami, et attirée comme son frère au jansénisme. Il enseigne à cette jeune fille la terrible doctrine de la grâce, don gratuit, toujours renouvelé, toujours précaire et toujours indispensable. (Lettre 1.) Il lui montre avec force l'horreur de ce monde, «< maison pestiférée et embrasée », horrible au point de rendre « la mort souhaitable » et dont il faut absolument sortir. (Lettre 9.) Il l'encourage donc à rompre le lien qui l'y tient attachée, quoi qu'il sache par lui-même « qu'on ne se détache jamais sans douleur » et qu'« on souffre bien ». (Lettre 4.) Quand elle a pris enfin son parti, il entre « dans une espérance admirable », tout heureux de ne plus << rien craindre pour elle ». (Lettre 5.) Et dès lors il travaille à la maintenir dans ses saintes résolutions: ou bien il l'encourage en lui faisant entrevoir « les trônes où ceux qui auront tout quitté jugeront le monde avec Jésus-Christ », ou bien il la remplit d'une crainte salutaire en lui répétant « qu'elle peut encore tomber et être au nombre malheureux des jugés ». (Lettre 3.) Quand il craint qu'elle ne fléchisse, il l'exhorte à la joie chrétienne que doivent avoir ceux qui ont renoncé au monde, « car la vie des chrétiens n'est pas une vie de tristesse, et on ne quitte les plaisirs que pour d'autres plus grands ». (Lettre 6.) Pour la mieux lier à Port-Royal, il la tient au courant des faits qui intéressent le parti ; il la renseigne sur la conduite à tenir et sur les précautions à observer; il calme ses scrupules quand les jansénistes sont condamnés par l'autorité religieuse, et semblent prêts à se séparer du pape. (Lettre 1 et 2.) En un mot, il s'est fait son directeur de conscience; il se croit auprès de la sœur de son ami l'instrument de la grâce divine; de toutes ses forces il veut l'arracher au monde, l'entraîner à la vérité, la tirer vers son Dieu.

Car, si jusqu'alors il y avait encore « quelque chose d'humain » dans ses

1 Cf. Pensées, 257.

Je renvoie ici à l'édition HAVET.

doctrines et dans sa conduite, à partir du miracle, il s'absorba tout entier dans l'amour divin, et méprisa toute chose qui ne tendait point ou à son salut ou à l'édification des autres. Comment aurait-il pu hésiter, lui que des merveilles coup sur coup répétées avaient « éveillé du sommeil où il se reposait à l'ombre de la mort 1», lui, que Dieu était venu pour ainsi dire prendre par la main, pour le mener à la vérité ? C'est alors, qu'au milieu des souffrances de la maladie et des discussions théologiques, il jette au hasard sur le papier les pensées qu'il devait plus tard ou reprendre ou combattre dans son Apologie.

Il est difficile, il est probablement impossible de reconstituer le plan des Pensées les témoignages extérieurs, ceux de M Périer et de son fils ne concordent pas; le livre n'était pas assez avancé pour qu'on en puisse retrouver la composition: d'ailleurs tout porte à croire qu'elle n'était pas encore complètement arrêtée dans l'esprit de l'auteur : les notes que nous avons conservées sur l'ordre nous le montrent hésitant encore entre divers plans, sans en préférer aucun; enfin toutes les idées qui devaient faire le fond de l'Apologie ne sont peut-être pas indiquées, et, au contraire, peut-être certaines pensées sont-elles développées qui ne devaient point faire partie du livre achevé (une bonne partie des fragments sur les Jésuites, sur la polémique janséniste, et sur le style, par exemple). Cependant, cette Apologie mutilée reste assez claire, pour que nous puissions en retrouver l'inspiration maîtresse et y découvrir l'état d'esprit de Pascal à cette époque.

Une des originalités de Pascal comme apologiste, c'est qu'il ne part point de la Révélation pour la proposer aux hommes : il part de l'état actuel de l'homme, pour l'amener à confesser qu'il a besoin de la Révélation afin de se comprendre lui-même. C'est la raison de la place que tiennent dans les Pensées les considérations sur la nature humaine : elle est si grande que Condorcet a pu essayer d'en éliminer la théologie et même l'exposé du christianisme, et faire de Pascal un moraliste, au lieu d'un apologiste. Puisque Pascal a procédé de la sorte, puisqu'il a voulu montrer le mal avant d'offrir le remède, il nous est plus facile d'entendre sa conception de la vie, de saisir ce qu'il y a de personnel dans ses doctrines, de suivre dans sa propre conduite l'application inflexible des dernières conséquences du jansénisme.

On comprend qu'en étudiant la nature humaine du point de vue janséniste, et à la lumière du dogme de la chute, Pascal l'ait jugée mauvaise, perverse par elle-même et corrompue par le péché. Il est donc pessimiste. Mais, au dogme du péché originel, le jansénisme oppose le dogme de la grâce, à la déchéance de l'homme par Adam et en Adam, il oppose la rédemption des élus par les mérites gratuits du Sauveur. Aussi, le pessimisme de Pascal n'est-il point absolu : il s'arrête au seuil de la vie future, il cesse mème d'être vrai, en cette vie, pour ceux que la grâce tire du péché et prédestine au salut. C'est parmi ceux-là qu'il faut être. Une seule chose est donc importante pour l'homme, la foi en la

1 Prière sur le bon usage.

véritable religion; tout le reste n'est rien. Autant Pascal admire, vénère, aime la religion, autant il méprise tout le reste le corps et ses misères, la raison et ses faiblesses, la sensibilité et ses égarements.

Le corps, cette chair de péché, c'est la source de la volupté, « libido sentiendi », la première des trois concupiscences. Tous les plaisirs en sont vains et toutes les jouissances pernicieuses. On voit sans peine combien Pascal le devait hair, avec quelle joie amère il en devait étaler les infirmités et les disgrâces, avec quelle force déplorer l'empire qu'il exerce sui l'âme, avec quelle indignation railler le honteux servage de ceux qui vivent esclaves de leur corps. C'est là d'ailleurs une idée qui lui devait paraître si évidente, un lieu commun tant rebattu par les prédicateurs et même par les philosophes, qu'il n'a pas cru devoir insister. Mais, M Périer s'est chargée de le faire pour lui, en racontant sa vie, cette vie qui, selon Bayle', est plus efficace pour désarmer les impies que cent volumes de sermons. « Il avait fondé tout le règlement de sa vie, écrit-elle, sur cette grande maxime de renoncer à tout plaisir. » On connait les témoignages qu'elle rapporte de son ascétisme : la ceinture à pointes de fer, la mortification continuelle des sens, l'habitude qu'il avait prise de ne point goûter ce qu'il mangeait, la ration de nourriture qu'il s'imposait invariablement, malgré le dégoût ou la faim, la <<< fuite de toutes les commodités », en un mot, les pratiques de pénitence les plus dures que n'interrompait même point la violence de sa maladie. Il acceptait toutes les douleurs, non point seulement avec résignation, mais encore avec reconnaissance, car il connaissait le danger de la santé » et savait que les <«< disgraces sont un effet de la miséricorde de Dieu pour ses élus ». Le récit de ses souffrances et la peinture de sa pieuse soumission sont vraiment touchantes dans la relation de MTM Périer. Enfin, la pensée constante de la mort l'aidait encore à s'élever au détachement absolu. « Il n'est pas besoin d'avoir l'âme fort élevée pour comprendre qu'il n'y a point ici de satisfaction véritable et solide, que tous nos plaisirs ne sont que vanité, que nos maux sont infinis, et qu'enfin la mort qui nous menace doit infailliblement nous mettre en peu d'années dans l'horrible nécessité d'être éternellement ou anéantis ou malheureux . » Ainsi, il en était venu maintenant à mépriser facilement les séductions des plaisirs sensuels il se sentait né pour l'infinité et ne pouvait donner son cœur à ce qui ne dure qu'un jour.

Mais il avait plus de peine à se libérer de la concupiscence de l'esprit, « libido sciendi ». Une fois encore, par un amour invincible de la géométrie et par le travail involontaire de son esprit, il en revint à la science et se défendit mal du désir de la gloire: c'est à l'occasion de la roulette. Encore faut-il remarquer que c'est malgré lui, pour ainsi dire, et pendant les insomnies causées par la souffrance qu'il résolut le problème; et s'il se décida à porter un défi aux géomètres ce fut sur les conseils du duc de Roannez: car il crut - avec un peu 1 Nouvelles de la république des lettres, décembre 1684.

2 Prière sur le bon usage.

3 Pensées, 898.

de complaisance qu'en triomphant, il donnerait à son Apologie plus d'autorité sur l'esprit des savants. Mais le concours de la roulette (1658-1659) dans lequel peut-être il soutint un peu âprement ses droits fut le dernier témoignage de cet amour qu'il avait jadis montré pour les sciences. Désormais, il s'interdit d'employer son temps à ces sortes de choses en quoi ces vaines occupations importent-elles au salut? en quoi peuvent-elles assurer la vie éternelle ? Et c'est l'inventeur de la Machine arithmétique, qui écrit: « Je trouve bon qu'on n'approfondisse point l'opinion de Copernic; mais ceci!... I importe à toute la vie de savoir si l'àme est mortelle ou immortelle » ; c'est l'auteur des Expériences sur le vide, qui note pour lui-même : « Ecrire contre ceux qui approfondissent trop les sciences. » En 1660, dans une Lettre à Fermat, il lui dit que si la géométrie est le plus haut exercice » de l'esprit, elle est bien inutile, et il ajoute << Elle est bonne pour faire l'essai, mais non l'emploi de notre force..... de sorte que je ne ferai pas deux pas pour elle..... Je suis dans des études si éloignées de cet esprit, qu'à peine je me souviens qu'il y en ait ». La science des lignes et des corps n'est plus, aux yeux de Pascal, qu'une curiosité stérile.

La même indifférence s'étend aussi à la philosophie. Déjà, après la nuit de l'extase, Pascal invoquait le « Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, non des philosophes et des savants ». A plus forte raison, depuis le miracle, ne voit-il plus que le Dieu caché et jaloux du jansénisme. A quoi bon alors ces études philosophiques, superflues, si elles aboutissent à des résultats conformes aux enseignements de l'Eglise, trompeuses et malfaisantes, si elles les contredisent: <<< Descartes est inutile et vain ». Assurément, la raison peut préparer les voies à la foi; c'est bien dans cette intention que Pascal écrit ses Pensées, et c'est précisément ce qui s'est produit dans son âme, au moment de sa conversion où il sentait que «< c'était plus sa raison et son propre esprit qui l'excitaient à ce qu'il connaissait le meilleur, que non pas le mouvement de l'esprit de Dieu ». Mais qu'est-ce que cela sans la grâce de Dieu : « qu'il y a loin de la connaissance de Dieu à l'aimer! » - et la connaissance est inutile sans l'amour. Qu'on ne lui dise donc point que la raison seule peut conduire à Dieu et suppléer à la foi c'est pour cette hérésie qu'il a si vivement poursuivi le frère Saint-Ange, et il n'a point de plus âpre plaisir que de démontrer à tous les admirateurs de la philosophie la banqueroute de la raison. « Les preuves métaphysiques, éloignées du raisonnement des hommes, et trop impliquées, frappent peu », et ne persuadent que sur l'instant; il est donc vain de vouloir prouver par des raisons naturelles ou l'existence de Dieu ou la Trinité. Non seulement Pascal « ne se sentirait pas assez fort pour trouver dans la nature de quoi convaincre des athées endurcis, mais encore, cette connaissance, sans Jésus-Christ, est stérile. Quand un homme serait persuadé que les proportions des nombres sont des vérités surnaturelles, éternelles, et dépendantes d'une première vérité en quoi elles subsistent, et qu'on appelle Dieu, il ne serait pas beaucoup avancé pour son salut. » On voit ce qu'est

1 Lettre de Jacqueline.

devenu le principe de la séparation de la raison et de la foi, jadis inculqué à Pascal par son père le domaine de la raison est de plus en plus réduit et là même son autorité est singulièrement amoindrie. Il faut se « moquer de la philosophie »; car elle ne peut aboutir qu'à l'athéisme ou au théisme, « deux choses que la religion chrétienne abhorre presque également ». Aucune philosophie ne vaut << une heure de peine », puisqu'aucune philosophie ne donne la seule chose utile, la foi. Et tel est l'emportement de colère dont est saisi Pascal contre cette << raison imbécile » qu'il en veut d'un seul coup montrer toutes les misères. Non seulement il renie Descartes son ancien maître, qui, délaissant la révélation, a fondé sa doctrine sur des principes rationnels; mais encore, il poursuit cette raison jusqu'en ses derniers retranchements. Il montre, après Montaigne, que cette faculté superbe est troublée par une mouche, par un éternuement; il la montre séduite, corrompue par les passions et par la volonté pervertie, acceptant à la fin pour vrai ce qu'elle savait faux auparavant; il montre toutes les chances d'erreur que les préjugés, les traditions, les livres, les conversations accumulent devant les hommes 1; enfin, tout comme l'auteur des Essais l'avait fait avant lui, il << gourmande fortement et cruellement la raison dénuée de la foi, il lui fait douter si elle est raisonnable... et il la fait descendre de l'excellence qu'elle s'est attribuée ? ».

Pour s'élever plus haut encore dans la foi, ce n'était point assez d'avoir rejeté les plaisirs du corps, d'avoir renoncé aux joies de l'intelligence, il fallait sacrifier aussi la douceur des tendres affections. Pascal, que toute sa vie nous montre si ardent, si emporté dans tous ses sentiments, eut encore à se dépouiller de ses attachements terrestres. « S'il y a un Dieu, nous devons n'aimer que lui, et non les créatures passagères... Donc tout ce qui nous incite à nous attacher aux créatures est mauvais, puisque cela nous empêche ou de servir Dieu, ou de le chercher... »; et inversement « il est faux que nous soyons dignes que les autres nous aiment; il est injuste que nous le voulions »; car << en fomentant et en souffrant ces attachements, on occupe un cœur qui ne doit être qu'à Dieu seul c'est lui faire un larcin de la chose du monde qui lui est le plus précieuse ». D'après ces principes, il en arrive, lui, un chrétien, à presque interdire le sacrement du mariage, à dire que c'est un « crime » d'engager ses enfants dans de tels liens, à appeler les maris, même chrétiens, de « francs païens devant Dieu ». Lui-même d'ailleurs conformait le plus possible sa conduite à ces doctrines d'ascète sa sœur Gilberte nous raconte comment il s'efforçait de la détacher de lui et de décourager son affection en la rebutant; elle cite la pensée qu'il portait toujours écrite sur lui : « Il est injuste qu'on s'attache à moi... » où ces sentiments et leurs causes sont si fortement exprimés; et elle rappelle sa

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