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paisible résignation à la mort de Jacqueline. Et pourtant ce n'était point sécheresse de cœur, ni égoisme de fanatique uniquement préoccupé de son salut : c'était mortification volontaire. Il avait en lui une bien vive puissance d'aimer, cet homme qui s'en défendait avec tant de soin, qui travaillait avec tant de passion à convertir les malheureux incrédules, qui, jusqu'aux derniers temps de sa vie, a montré une si profonde tendresse pour les pauvres, et dont la dernière œuvre, si péniblement entreprise, est un livre de prosélytisme et de charité 1.

Enfin, pour pousser l'anéantissement de son moi jusqu'au bout, Pascal devait abjurer tout reste d'amour-propre. Il se surveillait entièrement contre la passion de primer « cupido excellendi », concupiscence que Jansénius a mise au rang des deux autres, et dont un esprit entier comme le sien devait avoir peine à se défendre. D'après Me Périer 2. il s'en défendait jusque dans la façon de faire la charité << croyant que la manière la plus agréable à Dieu était de servir les pauvres pauvrement..... sans se remplir l'esprit de ces grands desseins qui tiennent de cette excellence dont il blàmait la recherche en toute chose ». Ce désir de primer, c'était bien là, si je ne me trompe, son point faible, le défaut qu'il a du avoir le plus de peine à répudier. Nous l'avons toujours vu défendre ses droits, son avis, son sens propre avec beaucoup de vivacité dans toutes les discussions scientifiques qu'il a soutenues et, d'après un témoignage rapporté par un janseniste, à Port-Royal, quand il discutait, c'était avec un tel emportement qu'on l'eût cru toujours en colère et prêt « à jurer ». C'est pourquoi sa sœur Jacqueline signale avec admiration « son humilité, sa soumission, sa défiance, son mépris de soi-même, son désir d'être anéanti dans l'estime et la mémoire des hommes »>, toutes vertus que sa seconde conversion avait fait naître en lui, et qui n'ont pu que croître à mesure que croissait aussi son ascétisme.

Ainsi Pascal, rejetant tout ce qui le pouvait distraire de cette unique contemplation du salut dans laquelle il s'absorbait, restait les yeux fixés vers le ciel. L'amour divin remplissait à lui seul toute son âme; alors il sentait véritablement Dieu présent dans son cœur et s'unissait à lui par la contemplation; alors, il avait avec lui des dialogues surnaturels, comme celui du Mystère de Jésus. La méditation assidue des mêmes idées et des mêmes dogmes, la lecture de l'Evangile, qu'il savait par cœur, des Psaumes, notamment du Psaume CXVIII rempli du dogme de la grâce, le souvenir des faveurs étonnantes que Dieu lui avaient faites, nourrissaient sa foi; et il s'exaltait de plus en plus, dans une communication directe avec Dieu, arrivant de plus en plus à ce mysticisme qui fait les saints et les martyrs, mais qui fait aussi les hérétiques. Pascal, en effet, dès le début de la querelle janséniste, et notamment dans le débat qui s'ouvrait sur les cinq propositions, avait protesté de son très grand

1 L'abbé MAYNARD cite à ce propos avec raison la fin de la pensée 6 (Si ce discours vous plaît. etc.).

2 Vie de Pascal.

3 Lettres, opuscules, etc.. p. 471.

Ibid., p. 358 (lettre du 25 janvier 1655).

respect pour le Pape. Ses pamphlets contre la Faculté de théologie de Paris, sa résistance aux évêques français ne pouvaient pas alors lui être reprochés : et, convaincu de la sainteté de sa cause, ne doutant point par conséquent que la Cour de Rome ne lui donnât raison, il écrivait à M" de Roannez : « Toutes les vertus, le martyre, les austérités et toutes les bonnes œuvres sont inutiles hors de l'Eglise et de la communion du Chef de l'Eglise qui est le Pape. Je ne me séparerai jamais de sa communion, au moins je prie Dieu de m'en faire la grâce sans quoi je serais perdu pour jamais 1. » Mais Rome parla, et ce ne fut point aux jansénistes qu'elle donna raison. Alors, par une méthode plus ingénieuse que franche, et surtout moins respectueuse qu'il ne voulait bien le croire, il s'efforça tout en acceptant les Bulles d'en interpréter les termes, et d'expliquer en faveur du jansénisme les condamnations les plus formelles2; en un mot, il accepta comme les autres la distinction du droit et du fait, et recourut plus qu'il n'eut convenu à l'auteur des Provinciales, aux subtilités d'une casuistique janséniste. Le jour vint pourtant où le Souverain Pontife lui renvoya l' « impudentissime mentiris » qu'il avait adressé aux Jésuites. Le Pape déclara savoir par lui-même que les cinq propositions étaient réellement dans Jansénius et les condamna une fois de plus, au sens qu'elles y avaient. Il ne restait plus de subterfuge possible. Il fallait ou se soumettre, ou se séparer de la communion du Chef de l'Eglise. Alors Pascal soutint nettement que le pape avait condamné le vrai dogme de la grâce, au sens de Jansénius et de saint Augustin, que par suite il était dans l'erreur, et que signer le formulaire imposé, même avec des restrictions, c'était ou trahir la vérité et égarer les fidèles, ou la compromettre et les scandaliser. Seul de son avis, il le soutint avec la plus grande énergie contre ses amis chancelants; et, un jour, désespéré de leur défection, après un long débat, il perdit connaissance $. On comprend bien le sentiment qui l'animait puisque Dieu lui-même avait témoigné en faveur du jansénisme, il fallait tout braver, pour soutenir cette cause sacrée, tout, jusqu'à l'excommunication, comme saint Athanase. Le dogme de l'infaillibilité pontificale n'avait point encore été défini, il est vrai; mais comment cette obstination s'accordait-elle avec les déclarations répétées de Pascal, que « le corps n'est pas plus vivant sans le chef, que le chef sans le corps? » Comment s'accordait-elle avec le principe d'autorité, qui est le fondement du catholicisme? Comment avec cette prétention singulière de rester quand même dans l'Eglise romaine? La contradiction était insoluble, et Pascal n'aurait pu en sortir sans la bénignité du curé de SaintEtienne, qui, pour lui accorder les derniers sacrements, n'exigea point de lui une rétractation. A moins d'un revirement que rien ne nous fait prévoir, il allait droit

1 Lettre 1.

2 Cf la Provinciale xvII.

* Cf Sur ce dissentiment de Pascal avec ses amis, un Mémoire de Marguerite Périer Lettres, opuscules, etc., p. 464).

Cf Pensées, 26.

au schisme, et, avec sa logique fougueuse, il paraît hors de doute qu'il s'y fût enfoncé.

Je ne fais point cette remarque pour le plaisir d'opposer Pascal à lui-même, ni pour jeter un soupçon sur sa bonne foi, qui est indubitable, ni pour montrer la fausseté de la situation des jansénistes, catholiques excommuniés par le pape, hérétiques combattus par les ennemis du catholicisme. Mais il me semble que les luttes morales de Pascal dans cette grave question ont été encore plus violentes que celles qu'il a soutenues pour se défaire de l'amour de la science, de sa croyance en la raison, de ses affections de famille, et des jouissances de la vie. Alors, il avait la joie forte du sacrifice, l'approbation de l'Eglise, les exemples des Pères et des saints, les encouragements de sa famille et de ses amis. Pour la signature au contraire, il a contre lui et l'Eglise non janséniste, et les principes qu'il a jusqu'à ce jour professés, et ses amis, les chefs mêmes de sa secte, le directeur de sa conscience. Aurait-il eu le courage de persister seul contre tous, si le miracle ne lui avait paru comme le sceau d'un contrat contracté entre Dieu et lui. Dieu l'a chargé de défendre la vérité que lui importe le reste : il rejettera tout ce qui contredit la parole divine, fût-ce la bulle du pape. C'est la logique même de sa croyance, c'est le miracle qui le jette dans l'hérésie.

Conclusion.

Et maintenant, si nous reprenons la vie de Pascal, pour l'examiner dans son ensemble, trois choses nous semblent avoir ou simultanément ou tour à tour rempli son âme la science, le monde, la religion.

Pendant les trois premières périodes de sa vie, c'est à dire jusqu'à sa conversion définitive, il reste fidèle à la science. Dans la première période (1635-1646), les travaux scientifiques auquels l'ont préparé son merveilleux génie et l'éducation méthodique qu'il avait reçue s'accordent tout naturellement avec la tiédeur d'une foi paisible et d'une religion de coutume. Il se signale, malgré sa jeunesse, par d'heureuses inventions ou de brillants travaux et acquiert une gloire précoce. L'étude des sciences fait alors, pour ainsi dire, partie intégrante de sa vie intellectuelle, si bien qu'il trouve moyen de la concilier avec la rigueur de son premier jansénisme (1646-49). Peut-être est-ce un peu contradictoire; mais qui peut se flatter de mettre dans sa vie une logique absolue ? lui-même n'y parviendra que par de longs efforts, et par une surveillance continuelle de sa propre pensée. Ces travaux scientifiques s'accordent mieux avec la quasi indifférence religieuse de sa vie mondaine (1649-1654), et cependant, Pascal s'en laisse distraire un peu semble-t-il, par les plaisirs et les distractions du monde. Peut-être y revient-il pourtant vers la fin de cette période, au moment où, lassé de la frivolité de sa vie, il aspire à des choses plus sérieuses et s'achemine à sa seconde conversion. En somme donc, les trois premières parties de sa vie, il reste physicien, géomètre,

cartésien il admet sans réserve que la science et la philosophie ont leur valeur, que la raison a son autorité.

Après la science viennent les hommes. Après les phénomènes naturels, c'est la société qui le séduit. D'abord les circonstances, les voyages, sa jeunesse, l'exil de son père, le séjour à Rouen, l'ont empêché de se créer à Paris des relations bien suivies, plus tard, sa première ferveur janséniste lui interdira d'en rechercher. Mais, maintenant tout se rencontre pour lui faciliter l'entrée du monde il demeure à Paris; il y vit indépendant; sa santé s'est pour un temps améliorée; des études communes lui ont valu l'amitié d'un grand seigneur qui l'introduit dans le cercle de ses amis; la conversation d'un Méré, d'une M" de Sablé, le forme aux belles manières; les occupations littéraires des salons d'alors lui permettent de combler les lacunes de son éducation première. Il vit dans ce monde, il s'y jette avec l'emportement de la jeunesse; il y étudie les héros et les héroïnes de la Fronde; grâce aux désordres des guerres civiles, il peut voir les dessous de l'âme humaine; et il en sort, désabusé comme un La Rochefoucauld, mais non point misanthrope. Il a été trop séduit pour mépriser complètement les hommes s'il s'indigne, s'il s'emporte contre eux, c'est qu'il les aime encore.

C'est dans la religion qu'il vient chercher un remède à ses déceptions. Seule, en effet, elle pouvait consoler son cœur; car, malgré les apparences, il ne lui avait jamais été infidèle. Pascal n'a point été réellement incrédule. Pour les deux périodes de jansénisme, la chose n'est pas douteuse; elle paraît sùre aussi pour les années qui ont précédé sa première conversion. A vrai dire, le problème ne se pose que pour la période mondaine. Sans doute, comme il le dit lui-même, « il a fui, renoncé, crucifié Jésus-Christ »; mais, la violence janséniste de ces expressions ne prouve rien, et tout semble, au contraire, attester qu'il n'a jamais oublié sa foi. Il y a eu lutte chez lui entre la nature et la grâce, entre ses instincts de bonheur et sa conception ascétique de la vie. Un moment, il en est arrivé, sous la conduite des Miton et des Méré, à un épicuréïsme pratique, et il a dit : « l'homme est né pour le plaisir ». Mais cela n'est pas inconciliable avec un reste de foi; et, si un christianisme mondain est un christianisme peu conséquent avec lui-même, il ne laisse point cependant d'exister. Au fond de son cœur, persistaient encore les enseignements qu'il avait reçus d'un père religieux, et le souvenir mal éteint des vives émotions de son premier jansénisme. Quand disparut l'agitation passagère qui avait troublé l'imagination et la sensibilité de Pascal, la foi un instant endormie se ranima, et pour ne plus cesser de consumer son âme. Héraclite dit que le feu divin qui compose la substance de l'univers, tour à tour grandit et décroit, s'assoupit et brille de nouveau, sans jamais cesser d'être. Telle me paraît la foi de Pascal : elle a eu son rythme, elle a eu ses attiédissements et ses ardeurs, mais jamais au fond de son âme n'a cessé de brüler cette flamme infatigable et divine : πῦρ θεῖον, ακάματον πρ

II

TABLEAU CHRONOLOGIQUE

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Etienne Pascal épouse Antoinette Bégon.
Naissance de Gilberte Pascal (MTM* Périer).

Naissance de Blaise Pascal.

Naissance de Jacqueline Pascal (Sœur Euphémie). Mort d'Antoinette Bégon. mère de Pascal, âgée de 28 ans.

Etienne Pascal vend sa charge de second Président à la Cour Royale des aides de Clermont et s'établit à Paris.

Naissance de M" de Roannez (duchesse de la Feuillade).

Pascal étudie seul la géométrie. Il écrit un Traité
des sons (?).

L'abbé de Saint-Cyran, nommé directeur de Port-
Royal, y introduit le jansénisme.

Lettre de Pascal et de Roberval à Fermat (111, 208 1).
Etienne Pascal, compromis dans des manifestations
contre le retranchement d'un quartier des rentes
de l'Hôtel-de-Ville, se réfugie en Auvergne.
Mort de Jansénius.

Jacqueline joue devant Richelieu l'Amour tyrannique
de Scudéry et obtient la grâce de son père.
Etienne Pascal intendant pour les tailles en Nor-
mandie (collègue de M. de Paris). Pascal et sa

famille à Rouen.

1 Les renvois, sauf indications contraires, sont faits à l'édition Lahure (tome

et page).

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