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Ce témoignage sensible est l'appui des commençants, c'est le lait des ames tendres et naissantes. Il faut qu'elles le sucent long-temps: il seroit dangereux de les sevrer. C'est à Dieu seul à retirer peu-àpeu ce goût, et à substituer le pain des forts. Mais quand une ame, depuis long-temps instruite et exercée dans le don de la foi, commence à ne sentir plus ce témoignage si doux et si consolant, elle doit demeurer tranquille dans l'épreuve, et ne se point tourmenter pour rappeler ce que Dieu éloigne d'elle. Alors il faut qu'elle s'endurcisse contre elle-même, et qu'elle soit contente, comme le publicain, de montrer sa misere à Dieu, osant à peine lever les yeux vers lui. C'est dans cet état que Dieu purifie d'autant plus l'ame qu'il lui dérobe la vue de sa pureté.

L'ame est si infectée de l'amour-propre qu'elle se salit toujours un peu par la vue de sa vertu ; elle en prend toujours quelque chose pour elle-même : elle rend grace à Dieu; mais elle se sait bon gré d'être plutôt qu'une autre la personne sur qui découlent les dons célestes. Cette maniere de s'approprier les graces est très subtile et très imperceptible dans certaines ames qui paroissent droites et simples: elles n'apperçoivent. pas elles-mêmes le larcin qu'elles font. Ce larcin est d'autant plus mauvais, que c'est dérober le bien le

plus pur, et qui excite par conséquent la jalousie de Dieu.

Ces ames ne cessent de s'approprier leurs vertus que quand elles cessent de les voir et que tout semble leur échapper. Alors elles s'écrient, comme S. Pierre quand il s'enfonçoit dans les eaux : Sauvez-nous, Seigneur, nous périssons. Elles ne trouvent plus rien en elles; tout manque. Il n'y a plus dans leur fonds que sujet de condamnation, d'horreur, de haine de soi-même, de sacrifice et d'abandon. En perdant ainsi cette propre justice pharisienne, on entre dans la vraie justice de Jésus-Christ, qu'on n'a garde de considérer comme la sienne propre.

Cette justice pharisienne est bien plus commune qu'on ne s'imagine. Le premier défaut de cette justice consistoit en ce que le pharisien la mettoit toute dans les œuvres extérieures, s'attachant superstitieusement à la rigueur de la lettre de la loi, pour l'observer de point en point sans en chercher l'esprit. Voilà précisément ce que font tant de chrétiens: on jeûne, on donne l'aumône, on fréquente les sacrements, on va à l'office de l'église, on prie même sans amour pour Dieu, sans détachement du monde, sans charité, sans humilité, sans renoncement à soi-même: on est content pourvu qu'on ait devant soi un cer

tain nombre de bonnes œuvres régulièrement faites. C'est être pharisien.

Le second défaut de la justice pharisienne est celui que nous avons déja marqué; c'est qu'on veut s'appuyer sur cette justice comme sur sa propre force. Ce qui fait qu'elle console tant, c'est qu'elle donne un grand soutien à la nature. On prend plaisir à se voir juste, à se sentir fort, à se mirer dans sa vertu commeune femme vaine se plaît à considérersa beauté dans un miroir. L'attachement à cette vue de nos vertus les salit, nourrit notre amour-propre, et nous empêche de nous détacher de nous-mêmes. De là vient que tant d'ames, d'ailleurs droites et pleines de bons desirs, ne font que tournoyer autour d'elles-mêmes sans avancer jamais vers Dieu. Sous prétexte de vouloir conserver ce témoignage intérieur, elles s'occupent toujours d'elles-mêmes avec complaisance ; elles craignent autant de se perdre de vue que d'autres craindroient de s'écarter de Dieu; elles veulent toujours voir un certain arrangement de vertus composées à leur mode; elles veulent toujours goûter le plaisir d'être agréables à Dieu. Ainsi elles ne se nour. rissent que d'un plaisir qui les amollit, et d'une su→ perficie de vertus qui les remplit d'elles-mêmes.

Il faudroit les vuider et non pas les remplir, les

endurcir contre elles-mêmes et non pas les accoutumer à cette tendresse sensible qui n'a souvent rien de solide. Cette tendresse est pour elles ce que seroit le lait d'une nourrice pour un homme robuste de trente ans. Cette nourriture affoiblit et appetisse l'ame au lieu de la fortifier. De plus, c'est que ces ames, trop dépendantes du goût sensible et du calme intérieur, sont en danger de perdre tout au premier orage qui s'élevera : elles ne tiennent qu'au don sensible; dès que le don sensible se retire, tout tombe sans ressource. Elles se découragent aussitôt que Dieu les éprouve; elles n'ont mis aucune différence entre le goût sensible et Dieu : de là vient que quand ce goût échappe elles concluent que Dieu les abandonne. Aveugles, qui quittent l'oraison, comme dit Ste. Thérese, quand l'oraison commence à se purifier par l'épreuve et à devenir plus fructueuse! Une ame qui vit du pain sec de la tribulation, qui se trouve vuide de tout bien, qui voit sans cesse sa pauvreté, son indignité et sa corruption, qui ne se lasse jamais de chercher Dieu, quoique Dieu semble la repousser, qui le cherche lui seul pour l'amour de lui-même sans se chercher soi-même en Dieu, est bien au-dessus d'une ame qui veut voir sa perfection, qui se trouble dès qu'elle la perd de vue, et qui veut toujours que Dieu la prévienne par de nouvelles caresses.

Suivons Dieu par la route obscure de la foi; perdons de vue tout ce qu'il voudra nous cacher; marchons, comme Abraham, sans savoir où tendent nos

pas; ne comptons que sur notre misere et sur la miséricorde de Dieu seulement; allons droit, soyons simples, fideles, n'hésitant jamais de sacrifier tout à Dieu. Mais gardons-nous bien de nous appuyer sur nos œuvres, ou sur nos sentiments, ou sur nos vertus. Allons toujours à Dieu, sans nous arrêter un moment pour retourner sur nous-mêmes avec complaisance ou avec inquiétude. Abandonnons-lui tout ce qui nous regarde, et songeons à le glorifier, sans relâche dans tous les moments de notre vie.

XXII. Sur les fautes journalieres et le support de

soi-même.

Vous comprenez qu'il y a beaucoup de fautes qui sont volontaires à divers degrés, quoiqu'on ne les fasse pas avec un propos délibéré de les faire pour manquer à Dieu. Souvent un ami reproche à son ami une faute dans laquelle cet ami n'a pas résolu expressément de le choquer, mais dans laquelle il s'est laissé aller quoiqu'il n'ignorât pas qu'il le choqueroit. C'est ainsi que Dieu nous reproche ces

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