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Il y a une simplicité qui est un défaut, et il y a une simplicité qui est une merveilleuse vertu.

La simplicité est souvent un défaut de discernement et une ignorance des égards qu'on doit à chaque personne. Quand on parle dans le monde d'une personne simple, on veut dire un esprit court, crédule et grossier.

La simplicité qui est une vertu, loin d'être grossiere, est quelque chose de sublime. Tous les gens de bien la goûtent, l'admirent, sentent quand ils la blessent, la remarquent en autrui, et sentent ce qui est nécessaire pour la pratiquer; mais ils auroient de la peine à dire précisément ce que c'est que cette

vertu.

On peut dire là-dessus ce que le petit livre de l'Imitation dit de la componction du cœur : “ Il vaut mieux la pratiquer que savoir la définir.

La simplicité est une droiture de l'ame qui retranche tout retour inutile sur elle-même et sur ses actions. Elle est différente de la sincérité. La sincérité est une vertu au-dessous de la simplicité. On

(1) Liv. I, chap. I, §. 3.

voit beaucoup de gens qui sont sincères sans être simples: ils ne disent rien qu'ils ne croient vrai; ils ne veulent passer que pour ce qu'ils sont; mais ils craignent sans cesse de passer pour ce qu'ils ne sont pas; ils sont toujours à s'étudier eux-mêmes, à compasser toutes leurs paroles et toutes leurs pensées, et à repasser tout ce qu'ils ont fait dans la crainte d'avoir fait trop ou trop peu.

Ces gens-là sont sinceres; mais ils ne sont pas simples : ils ne sont pas à leur aise avec les autres, et les autres ne sont pas à leur aise avec eux : on n'y trouve rien d'aisé, rien de libre, rien d'ingénu, rien de naturel; on aimeroit mieux des gens moins réguliers et plus imparfaits qui fussent moins composés. Voilà le goût des hommes, et celui de Dieu est de même : il veut des ames qui ne soient point tant occupées, d'elles-mêmes, et comme toujours au miroir pour se composer.

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Être tout occupé des créatures sans jamais faire aucune réflexion sur soi, c'est l'état d'aveuglement des personnes que le présent et le sensible entraînent toujours : c'est une extrémité opposée à la simplicité. Être toujours: occupé de soi dans tout ce qu'on a à faire, soit pour les créatures, soit pour Dieu, c'est l'autre extrémité qui rend l'ame sage à ses propres yeux, toujours réservée, pleine d'elle-même,

TOME VIII.

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inquiete sur les moindres choses qui peuvent troubler la complaisance qu'elle a en elle-même. Voilà la fausse sagesse qui n'est, avec toute sa grandeur, guere moins vaine et guere moins folle la folie que

des gens qui se jettent tête baissée dans tous les plaisirs. L'une est enivrée de tout ce qu'elle voit au dehors; l'autre est enivrée de tout ce qu'elle s'imagine faire au dedans; mais enfin ce sont deux ivresses.

L'ivresse de soi-même est encore pire que celle des choses extérieures, parcequ'elle paroît une sagesse et qu'elle ne l'est pas : on songe moins à en guérir; on s'en fait honneur; elle est approuvée; on y met une force qui éleve au-dessus du reste des hommes: c'est une maladie semblable à la frénésie; on ne la sent pas; on est à la mort, et on dit, je me porte bien.

Quand on ne fait point de retours sur soi, à force d'être entraîné par les objets extérieurs, on est dans l'ivresse des choses du monde: au contraire, quand on en fait trop, cette multitude de retours fait une conduite forcée et contraire à la simplicité.

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La simplicité consiste en un juste milieu où l'on n'est ni dissipé, ni trop composé : l'ame n'est point entraînée par l'extérieur, en sorte qu'elle ne puisse plus faire les réflexions nécessaires; mais aussi elle retranche les retours sur soi qu'un amour-propre

inquiet et jaloux de sa propre excellence multiplie à l'infini. Cette liberté d'une ame qui voit immédiatement devant elle pendant qu'elle marche, mais qui ne perd point son temps à trop raisonner sur ses pas, à les étudier, à regarder sans cesse ceux qu'elle a déja faits, est la véritable simplicité.

Le premier degré du progrès de l'ame est donc de se déprendre des choses extérieures pour rentrer au dedans d'elle-même et pour s'occuper de son état pour son propre intérêt : jusques là il n'y a encore rien que de naturel; c'est un amour-propre sage qui veut sortir de l'enivrement des choses extérieures.

Dans le second degré l'ame joint à la vue d'ellemême celle de Dieu qu'elle craint. Voilà un foible commencement de la véritable sagesse; mais elle est encore enfoncée en elle-même : elle ne se contente pas de craindre Dieu, elle veut être assurée qu'elle le craint; elle craint de ne pas le craindre, sans cesse elle revient sur ses propres actes. Ces retours si inquiets et si multipliés sur soi-même sont encore bien éloignés de la paix et de la liberté qu'on goûte dans l'amour simple: mais ce n'est pas encore le temps de goûter cette liberté; il faut que l'ame passe par ce trouble; et qui voudroit d'abord la mettre dans la liberté de l'amour simple, courroit risque de l'égarer.

Le premier homme voulut d'abord jouir de luimême; c'est ce qui le fit tomber dans l'attachement aux créatures. L'homme revient d'ordinaire par le même chemin qu'il a fait en s'égarant; c'est-àdire qu'ayant passé de Dieu aux objets extérieurs en rentrant d'abord en soi-même, il repasse aussi des objets extérieurs en Dieu en rentrant au fond de son

cœur.

Il faut donc, dans la conduite ordinaire, laisser quelque temps une ame pénitente aux prises avec elle-même dans une rigoureuse recherche de ses miseres, avant que de l'introduire dans la liberté des enfants bien-aimés de Dieu. Tant que l'attrait et le besoin de la crainte dure, il faut nourrir l'ame de ce pain de tribulation et d'angoisse. Quand Dieù commence à ouvrir le cœur à quelque chose de plus pur, il faut suivre, sans perdre le temps et comme pas à pas, l'opération de sa grace. Alors l'ame commence à entrer dans la simplicité..

Dans le troisieme dégré elle n'a plus ces retours inquiets sur elle-même; elle commence à regarder Dieu plus souvent qu'elle ne se regarde elle-même, et insensiblement elle tend à s'oublier pour s'occuper en Dieu par pur amour sans trop s'arrêter à l'intérêt propre. Ainsi l'ame qui ne pensoit point autrefois à elle-même, parcequ'elle étoit toujours' entraî

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