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Troisièmement je suppose que vous vous bornez aux divertissements convenables à la profession de piété que vous faites, et au bon exemple que le monde même attend de vous. Car le monde, tout monde qu'il est, veut que ceux qui le méprisent ne se démentent en rien dans le mépris qu'ils ont pour lui, et il ne peut s'empêcher d'estimer ceux par qui il se voit méprisé de bonne foi. Vous comprenez bien, monsieur, que les vrais chrétiens doivent se réjouir de ce que le monde est un censeur si rigoureux; car ils doivent se réjouir d'être par là dans une nécessité plus pressante de ne rien faire qui ne soit édifiant.

Enfin je crois que vous ne devez entrer dans les divertissements de la cour que par complaisance et qu'autant qu'on le desire. Ainsi, toutes les fois que vous n'êtes ni appelé ni desiré, il ne faut jamais paroître ni chercher à vous attirer indirectement une invitation. Par là vous donnerez à vos affaires domestiques et aux exercices de piété tout ce que vous serez libre de leur donner. Le public, ou du moins les gens raisonnables et sans fiel contre la vertu, seront également édifiés, et de vous voir si discret pour tendre à la retraite quand vous êtes libre, et sociable pour entrer avec condescendance dans les divertissements permis quand vous y serez appelé.

Je suis persuadé qu'en vous attachant à ces regles, qui sont simples, vous attirerez sur vous une abondante bénédiction. Dieu, qui vous menera comme par la main dans ces divertissements, vous y soutiendra. Il s'y fera sentir à vous. La joie de sa présence vous sera plus douce que tous les plaisirs qui vous seront offerts. Vous y serez modéré, discret et recueilli sans contrainte, sans affectation, sans sécheresse incommode aux autres. Vous serez, suivant la parole de S. Paul, au milieu de ces choses comme n'y étant pas; et y montrant néanmoins une humeur gaie et complaisante, vous serez tout à tous.

Si vous appercevez que l'ennui vous abat ou que la joie vous évapore, vous reviendrez doucement et sans vous troubler dans le sein du Pere céleste qui vous tend sans cesse les bras. Vous attendrez de lui la joie et la liberté d'esprit dans la tristesse, la modération et le recueillement dans la joie; et vous verrez qu'il ne vous laissera manquer de rien. Un regard de confiance, un simple retour de votre cœur sur lui vous renouvellera; et, quoique vous sentiez souvent votre ame engourdie et découragée, dans chaque moment où Dieu vous appliquera à faire quelque chose, il vous donnera la facilité et le courage selon votre besoin. Voilà le pain quotidien que

nous demandons à toute heure et qui ne nous manquera jamais; car notre Pere, bien loin de nous abandonner, ne cherche qu'à trouver nos cœurs ouverts pour y verser des torrents de grace.

XLVI. Avis à une personne attachée à la cour.

Les chaînes d'or ne sont pas moins chaînes que les chaînes de fer on est exposé à l'envie et l'on est digne de compassion. Votre captivité n'est en rien préférable à celle d'une personne qu'on tiendroit injustement en prison. La seule chose qui doit vous donner une solide consolation, c'est que Dieu vous ôte votre liberté; et c'est cette consolation même qui soutiendroit dans la prison la personne innocente dont je viens de parler. Ainsi vous n'avez rien audessus d'elle qu'un fantôme de gloire, qui, ne vous donnant aucun avantage effectif, vous met en danger d'être ébloui et trompé.

Mais cette consolation de vous trouver, par un ordre de Providence, dans la situation où vous êtes, est une consolation inépuisable. Avec elle rien ne peut jamais vous manquer; par elle les chaînes de fer se changent, je ne dis pas en chaînes d'or, car

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nous avons vu combien les chaînes d'or sont méprisables, mais en bonheur et en liberté. A quoi nous sert cette liberté naturelle dont nous sommes jaloux? A suivre nos inclinations mal réglées, même dans les choses innocentes; à flatter notre orgueil qui s'enivre d'indépendance; à faire notre propre volonté, ce qui est le plus mauvais usage que nous puissions faire de nous-mêmes.

Heureux donc ceux que Dieu arrache à leur propre volonté pour les attacher à la sienne! Autant que ceux qui s'enchaînent eux-mêmes par leurs passions sont misérables, autant ceux que Dieu prend plaisir à enchaîner de ses propres mains sont-ils heureux et libres. Dans cette captivité apparente ils ne font plus ce qu'ils voudroient : tant mieux; ils font, depuis le matin jusqu'au soir, contre leur goût, ce que Dieu veut qu'ils fassent; il les tient comme pieds et mains liés dans les liens de sa volonté; il ne les laisse jamais un seul moment à eux-mêmes; il est jaloux de ce moi tyrannique qui veut tout pour lui-même; il mene sans relâche de sujétion en sujétion, d'importunité en importunité, et vous fait accomplir ses -plus grands desseins par des états d'ennuis, de conversations puériles et d'inutilité dont on est honteux. Il presse l'ame fidele et ne la laisse plus respirer : à -peine un importun s'en va que Dieu en envoie un

autre pour avancer son œuvre. On voudroit être libre pour penser à Dieu; mais on s'unit bien mieux à lui en sa volonté crucifiante qu'en se consolant par des pensées douces et affectueuses de ses bontés. On voudroit être à soi pour être plus à Dieu; on ne songe pas que rien n'est moins propre pour être à Dieu que de vouloir encore être à soi. Ce moi du vieil homme, dans lequel on veut rentrer pour s'unir à Dieu, est mille fois plus loin de lui que la bagatelle la plus ridicule; car il y a dans ce moi un venin subtil qui n'est point dans les amusements de l'enfance.

Il est vrai que l'on doit profiter de tous les moments qui sont libres pour se dégager; il faut même, par préférence à tout le reste, se réserver des heures pour se délasser l'esprit et le corps dans un état de recueillement; mais pour le reste de la journée, que le torrent emporte malgré nous, il faut se laisser entraîner sans aucun regret. Vous trouverez Dieu dans cet entraînement; et vous le trouverez d'une maniere d'autant plus pure, que vous n'aurez pas choisi cette maniere de le chercher.

La peine qu'on souffre dans cet état de sujétion est une lassitude de la nature qui voudroit se consoler, et non un attrait de l'esprit de Dieu. On croit regretter Dieu, et c'est soi-même qu'on regrette; car ́ce que l'on trouve de plus pénible dans cet état gê

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