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au contraire vous seriez choqué de la grossièreté des amis qni n'auroient point ces délicatesses sur l'amitié. Il n'y a que Dieu à qui vous voulez les défendre: vous ne voulez pas qu'il cherche à être aimé comme vous prétendez que vos amis vous aiment vous ne pouvez croire que sa grace puisse lui former en cette vie des adorateurs qui l'aiment comme vous n'avez point de honte de vouloir être aimé : jugez-vous vousmême, et rendez enfin gloire à Dieu.

J'avoue que les hommes profanes, qui ont cette idée de l'amitié pure, ne la suivent pas ; et que toutes leurs amitiés sans graces ne sont qu'un amour propre subtilement déguisé : mais enfin ils ont cette idée de l'amitié pure. Faut-il qu'ils l'aient quand il ne s'agit que d'aimer la créature vile et corrompue, et que nous soyons les seuls à la méconnoître dès qu'il s'agit d'aimer Dieu ?

Les païens mêmes ont eu cette pure idée de l'amitié; et nous n'avons qu'à les lire pour être étonnés, que les chrétiens ne veuillent pas qu'on puisse aimer Dieu par sa grace, comme les païens ont cru. qu'il falloit s'aimer les uns les autres pour mériter le nom d'amis.

Écoutons Cicéron “”. Être impatient, dit-il, pour

(1) De Amic.

TOME VIII.

H

les choses qu'on souffre dans l'amitié, c'est s'aimer soimême, et non pas son ami. Il ajoute dans la suite que L'amitié ne peut être qu'entre les bons, c'est-à-dire, entre ceux qui, suivant ses principes, préferent toujours l'honnête à ce que le vulgaire nomme utile; autrement, dit il, l'intérêt étant la regle et le motif de l'amitié, les moins vertueux, qui ont plus de besoins et de desirs que les autres, seroient les plus propres à se lier d'amitié avec autrui, puisqu'ils sont les plus avides pour aimer ce qui leur est utile.

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« Nous croyons donc (c'est encore Cicéron qui parle) qu'il faut rechercher l'amitié, non par l'es'pérance des avantages qu'on en tire, mais parceque tout le fruit de l'amitié" est dans l'amitié << même. ---Les hommes intéressés sont privés de «< cette excellente et très naturelle amitié qui doit « être cherchée par elle-même et pour elle-même : << ils ne profitent point de leurs propres exemples « pour apprendre jusqu'où va la force de l'amitié ; «< car chacun s'aime, non pour tirer de soi quelque récompense de son amour, mais parceque cha<< cun est par soi cher à soi-même. --- Que si l'on ne « transporte cette même regle dans l'amitié, on ne

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(1) Qu'est-ce donc que ce fruit de l'amitié, si ce n'est le bonheur d'aimer ce que nous trouvons bon et honnête?

<< trouvera jamais d'ami véritable: celui-là est notre véritable ami qui est comme un autre nous-mêmes.

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Mais la plupart des hommes prétendent injuste« ment, pour ne pas dire avec impudence, un ami « tel qu'ils ne voudroient pas être eux-mêmes, et << en exigent ce qu'ils ne voudroient pas leur don

« ner ».

Cicéron ne peut pousser plus loin le désintéressement de l'amitié, qu'en voulant que notre ami nous soit cher par lui seul, sans aucun motif, comme nous nous sommes chers à nous-mêmes sans aucune es. pérance qui nous excite à cet amour. L'amour-propre est sans doute en ce sens le parfait modele de l'amitié désintéressée. Horace, quoiqu'épicurien, n'a pas laissé de raisonner sur ce principe pour l'union des amis entre eux, lorsque parlant des conversations philosophiques qui l'occupoient à la campagne, il dit " qu'on examinoit si les hommes sont heureux par les richesses ou par la vertu ; si c'est l'utilité propre ou la perfection en elle-même qui est le motif de

l'amitié :

Utrùmne

Divitiis homines, an sint virtute beati?

Quidve ad amicitias, usus rectumve, trahat nós?

Voilà ce qu'ont pensé les païens, et les païens

(1) Sermon. Lib. II, Sat. 6.

épicuriens, sur l'amitié pour des créatures indignes d'être aimées ". C'est sur cette idée d'amitié pure que les théologiens distinguent à l'égard de Dieu l'amour qu'ils nomment d'amitié, des autres amours, et les amis de Dieu de ses serviteurs.

Cette idée si pure de l'amitié n'est de l'amitié n'est pas seulement (comme vous l'avons vu) dans Cicéron; il l'avoit puisée dans la doctrine de Socrate, expliquée dans les livres de Platon. Ces deux grands philosophes, dont l'un rapporte les discours de l'autre dans ses dialogues, veulent qu'on s'attache à ce qu'ils appellent to xaλov, qui signifie tout ensemble le beau et le bon, c'est-à-dire, le parfait, par le seul amour du beau, du bon, du vrai, du parfait en lui-même. C'est pourquoi ils disent souvent qu'il ne faut compter pour rien ce qui se fait, tò yɩvóμevov, c'est-à-dire, l'être passager, pour s'unir à ce qui est, c'est-à-dire, l'être parfait et immuable qu'ils appellent to ov, ce qui est. De là vient que Cicéron, qui n'a fait que répéter leurs maximes, dit (2) que si nous pouvions voir

(1) Ils excluoient de l'amitié. certaines utilités basses et mercenaires, mais non pas toute utilité, puisqu'ils comptoient sur leurs amis véritables comme sur eux-mêmes, et que dans de fàcheuses circonstances ils en attendoient des conseils salutaires et des marques touchantes d'intérêt.

(2) De Offic.

de nos propres yeux la beauté de la vertu, nous serions ravis d'amour par son excellence.

Platon fait dire à Socrate dans son Festin, qu'il y a quelque chose de plus divin dans celui qui aime que dans celui qui est aimé. Voilà toute la délicatesse de l'amour le plus pur. Celui qui est aimé et qui veut l'être, est occupé de soi; celui qui aime sans songer à être aimé, a ce que l'amour renferme de plus divin, je veux dire le transport, l'oubli de soi, le désintéressement. « Le beau, dit ce philosophe, ne consiste << en aucune des choses particulieres, telles que les <<< animaux, la terre ou le ciel ; mais le beau est lui« même par lui-même, étant toujours uniforme avec « soi. Toutes les autres choses belles participent de «ce beau, en sorte que si elles naissent ou périssent, « elles ne lui ôtent et ne lui ajoutent rien, et qu'il << n'en souffre aucune perte : si donc quelqu'un s'é« leve dans la bonne amitié, il commence à voir le << beau, il touche presque au terme ».

Il est aisé de voir que Platon parle d'un amour du beau en lui-même, sans aucun retour d'intérêt “. C'est ce beau universel qui enleve le cœur et qui fait

(1)Il est toujours question d'intérêt de fortune et de vanité, et non de tout autre avantage; et le plaisir, le bonheur d'aimer son ami, n'a jamais été exclus de la vraie amitié.

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