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Voyez quel caprice est le vôtre !

Si jamais le destin a fait

Deux êtres vraiment l'un pour l'autre,

C'est vous et moi le rapport est complet
Entre nous deux ; même allure est la nôtre,
Convenez-en de bonne foi.

Qui devroit donc, si ce n'est moi,
Guider de votre char la course vagabonde?
Mais vous prenez pour cet emploi
Le seul oiseau constant qui soit au monde.
Laissez le pigeon roucouler

Avec l'Hymen, et daignez m'atteler
A votre char; et qu'au gré du caprice
On nous voie ensemble voler;

Car ainsi le veut la justice.

Ami, répond l'Amour, tu raisonnes fort bien;
Je t'aime, et, je le sais, notre humeur se ressemble
Mais gardons-nous de nous montrer ensemble

Alors nous ne ferions plus rien.

Le vrai bonheur n'est que dans la constance;
Et mes pigeons l'annoncent aux mortels :

Je les séduis par l'apparence;

Si je ne les trompois, je n'aurois plus d'autels 1a,

Il est temps de donner au lecteur une relique précieuse de littérature. Comme législateur, Solon est connu du monde entier; comme poëte, il ne l'est que d'un petit nombre de gens de lettres. Il nous reste plusieurs fragments de ses élégies. Je vais les traduire ou les extraire, selon leur mérite ou leur médiocrité.

Illustres filles de Mnemosyne et de Jupiter Olympien! Muses habitantes du mont Piérus! écoutez ma prière. Faites que les dieux immortels m'envoient le bonheur; que je possède l'estime de l'honnête homme. Pour mes amis toujours aimable et enjoué, que pour mes ennemis mon caractère soit triste et sévère qu'aux uns je paroisse respectable, aux autres terrible.

Un peu d'or satisferoit mes désirs; mais je ne voudrois pas qu'il fût le prix de l'injustice: tôt ou tard elle est punie. Les richesses que les dieux dispensent sont durables; celles que les hommes amassent... les suivent, pour ainsi

1. Journal de Peltier, no LXXIII.

a Ces vers ont une sorte d'élégance, mais ils ne valoient pas la peine d'être rappelés. Et à propos de quoi toutes ces citations de poëtes élégiaques, ce cours de littérature anacréontique? A propos de la révolution françoise. (N. éd.)

2. J'aurois dû avertir plus tôt que l'ordre des dates n'a pas été strictement suivi dans ce chapitre. La succession naturelle des poëtes étoit : Alcée, Sapho, Ésope, Solon, Amacréon, Simonide. Des convenances de style m'ont obligé à faire ce léger changement, qui, au reste, doit être indifférent au lecteur.

dire, à regret, et se perdent bientôt dans les malheurs... Le triomphe du crime s'évanouit: Dieu est la fin de tout.

Semblable au vent qui trouble, jusque dans les profondeurs de l'abîme, les vastes ondes de la mer; au vent qui, après avoir ravagé les campagnes s'élève tout à coup dans les cieux, séjour des immortels, et y fait renaître un sérénité inattendue, le soleil, dans sa mâle beauté, sourit amoureusement à la terre virginale, et les nuages brisés se dissipent: telle est la vengeance de Jupiter...

Toi qui caches le crime dans ton cœur, ne crois pas demeurer toujours inconnu. Immédiat ou suspendu, le châtiment marche à ta suite. Si la justice céleste ne peut t'atteindre, un jour viendra que tes enfants innocents porteront la peine des forfaits de leur père coupable. Hélas! tous tant que nous sommes, vertueux ou méchants, notre propre opinion nous semble toujours la meilleure, jusqu'à ce qu'elle nous soit fatale. Alors nous nous plaignons des dieux, parce que nous avions nourri de folles espérances!

Le poëte continue à peindre l'imbécillité humaine : le malade incurable croit guérir, le pauvre attend des richesses; les uns s'exposent sur les flots, d'autres déchirent le sein de la terre, etc.

La destinée dispense et les biens et les maux; nous ne pouvons nous soustraire à ce qu'elle nous réserve. Il y a du danger dans les meilleures actions. Souvent les projets du sage échouent, et ceux de l'insensé réussissent.

Le passage suivant est extrêmement intéressant, en ce qu'il peint l'état moral d'Athènes au moment de sa révolution.

La ville de Minerve ne périra jamais par l'ordre des destinées; mais elle sera renversée par ses propres citoyens. Peuple et chefs insensés, qui ne pouvez ni rassasier vos désirs ni jouir en paix de vos richesses, méritez vos malheurs à force de crimes!... Sans respect pour le droit sacré des propriétés, ou pour les trésors publics, chacun s'empresse de spolier le bien de l'État insouciant des saintes lois de la justice. Celle-ci, cependant, dans le silence, compte les événements passés, observe le présent, et arrive à l'heure marquée pour la punition du crime. Voilà la première cause des maux de l'État : c'est là ce qui le fait tomber dans l'esclavage; ce qui allume le feu de la sédition et réveille la guerre qui dévore la jeunesse. Hélas! la chère patrie est soudain accablée d'ennemis; des batailles, sources de pleurs, se livrent et sont perdues; le peuple indigent est vendu dans la terre de l'étranger, et indignement chargé de fers.

Solon finit par exhorter ses concitoyens à changer de mœurs, et

recommande surtout la justice : « Cette mère des bonnes actions, qui tempère les choses violentes, prévient l'exaltation, corrige les lois, réprime l'enthousiasme, et retient le torrent de la sédition dans des bornes1. >>

Ces élégies politiques (qu'on me passe l'expression) sont accompagnées de quelques autres pièces de poésie d'une teinte différente. Le morceau sur l'homme, rapproché des stances de Jean-Baptiste Rousseau, offrira une comparaison piquante :

Jupiter donne les dents à l'homme dans les sept premières années de sa vie. Avant qu'il ait parcouru sept autres années il annonce sa virilité. Durant la période suivante ses membres se développent et un duvet changeant ombrage son menton. La quatrième époque le voit dans toute sa vigueur et fait éclater son courage. La cinquième l'engage à solenniser la pompe nuptiale et à se créer une postérité. Dans la sixième son génie se plie à tout, et ne se refuse qu'aux ouvrages grossiers du manœuvre. Dans la septième il acquiert le plus haut degré de sagesse et d'éloquence. La huitième y ajoute la pratique des hommes. A la neuvième commence son déclin. Que si quelqu'un parcourt les sept derniers ans de sa carrière, qu'il reçoive la mort sans l'accuser de l'avoir surpris1.

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Vieux, on le méprise, on l'évite;
Mauvaise humeur, infirmité,

Toux, gravelle, goutte et pituite,
Assiègent sa caducité.

Pour comble de calamité,

Un directeur s'en rend le maître.

Il meurt enfin peu regretté.

C'étoit bien la peine de naître '!

Solon et Jean-Baptiste n'ont pas dû représenter le même homme : ils se servoient de différents modèles. L'un travailloit sur le beau antique, l'autre d'après les formes gothiques de son siècle. Leurs pinceaux se sont remplis de leurs souvenirs.

Il me reste une chose pénible à dire. Le sévère auteur des lois contre les mauvaises mœurs, le restaurateur de la vertu dans sa patrie, Solon enfin, avoit pollué la sainteté du législateur par la licence de sa muse. Le temps a dévoré ces écrits, mais la mémoire s'en est conservée avec soin. Quelques lignes, qui bien qu'innocentes décèlent le goût des plaisirs, ont été avidement recueillies.

« Pour toi, commande longtemps dans ces lieux.

Mais que Vénus, au sein parfumé de violettes, me fasse monter sur un vaisseau léger et me renvoie de cette île célèbre. Qu'en faveur du culte que je lui ai rendu elle m'accorde un prompt retour dans ma patrie.

1. J.-B. ROUSSEAU, t. I, Od., liv. I. Si je cite quelquefois des morceaux qui semblent trop connus, on doit se rappeler qu'il s'agit moins de poésies nouvelles que de saisir ce qui peut mener à la comparaison des temps et jeter du jour sur la révolution; que, par ailleurs, j'écris dans un pays étranger,

Note de l'exemplaire confidentiel. -- Le Brun a toutes les qualités du lyrique; ses yeux sont àpres, ses tempes chauves, sa taille élevée; il est maigre, påle, et quand il récite son Exegi monumentum on croiroit entendre Pindare aux jeux olympiques. Le Brun ne s'endort jamais qu'il n'ait composé quelques vers, et c'est toujours dans son lit, entre trois et quatre heures du matin, que l'esprit divin le visite. Quand j'allois le voir le matin, je le trouvois entre trois ou quatre pots sales, avec une vieille servante qui faisoit son ménage. << Mon ami, me disoit-il, ah! j'ai fait cette nuit quelque chose. Oh! si vous l'entendiez!» Et il se mettoit à tonner sa strophe, tandis que son perruquier, qui enrageoit, lui disoit : « Monsieur, tournez donc la tête; » et avec ses deux mains il inclinoit la tête de Le Brun, qui oublioit bientôt le perruquier et recommençoit à gesticuler et à déclamer.

« Les présents de Vénus et de Bacchus me sont chers, de même que ceux des muses qui inspirent d'aimables folies. »

C'est ainsi que l'auteur du Contrat social et de l'Émile a pu écrire :

<< Oh! mourons, ma douce amie! mourons, la bien-aimée de mon cœur! Que faire désormais d'une jeunesse insipide dont nous avons épuisé toutes les délices? . .

Non, ce ne sont point ces transports que je regrette le plus.

Rends-moi cette étroite union des âmes que tu m'avois annoncée, et que tu m'as si bien fait goûter; rends-moi cet abattement si doux, rempli par les effusions de nos cœurs; rends-moi ce sommeil enchanteur trouvé sur ton sein; rends-moi ce réveil plus délicieux encore, et ces soupirs entrecoupés, et ces douces larmes, et ces baisers qu'une voluptueuse langueur nous faisoit lentement savourer, et ces gémissements si tendres durant lesquels tu pressois sur ton cœur ce cœur fait pour s'unir à lui! »

Bon jeune homme qui lis ceci, et dont les yeux brillent de larmes à cet exemple de la fragilité humaine, cultive cette précieuse sensibilité, la marque la plus certaine du génie. Pour toi, homme parfait, que je vois dédaigneusement sourire, descends dans ton intérieur, applaudis-toi seul, si tu peux, de ta supériorité je ne veux de toi ni pour ami ni pour lecteur 3.

1. Poet Minor. Græc., p. 431-33.

a Ces fragments des poésies de Solon, bien qu'ils soient assurément très-étrangers à la matière, ont un certain intérêt. Cette imbécile opinion moderne, née de l'envie pour consoler la médiocrité, que les talents littéraires sont séparés des talents politiques, se trouve encore repoussée par l'exemple de Solon. Le poëte n'a rien ôté au grand législateur, pas plus qu'il n'a óté à Xénophon la science politique, à Cicéron l'éloquence, à César la vertu guerrière. Qui fut plus homme de lettres que le cardinal de Richelieu? L'auteur de l'Esprit des Lois est aussi l'auteur du Temple de Gnide; le grand Frédéric employoit plus de temps à faire des vers qu'à gagner des batailles, et le principal ministre d'Angleterre, aujourd'hui M. Canning, est un poëte. (N. ÉD.)

2. Nouv. Hél., t. II, première partie, p. 117.

3. Ne croiroit-on pas lire une de ces apostrophes grotesques que Diderot introduisoit dans l'Histoire des deux Indes, sous le nom de l'abbé Raynal? « O rivage d'Adjinga! tu n'es rien! mais tu as donné naissance à Élisa, etc.» (N. ÉD.)

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