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Aux fêtes de Lacédémone, les citoyens chantoient en chœur ;

LES VIEILLARDS.

Nous avons été jadis

Jeunes, vaillants et hardis.

LES HOMMES FAITS.

Nous le sommes maintenant,
A l'épreuve à tout venant.

LES ENFANTS.

Et nous un jour le serons,

Qui bien vous surpasserons 1.

C'est de là que les François ont pu emprunter l'idée de la strophe des enfants, ajoutée à l'hymne des Marseillois :

Nous entrerons dans la carrière
Quand nos aînés ne seront plus.
Nous y trouverons leur poussière
Et la trace de leurs vertus.
Bien moins jaloux de leur survivre
Que de partager leur cercueil,
Nous aurons le sublime orgueil
De les venger ou de les suivre 2.

Si les François paroissent l'emporter ici, à Sparte on voit les citoyens, à Paris le poëte.

Nous finirons cet article par les vers qu'on chantoit en l'honneur des assassins d'Hipparque, en Grèce, et par l'épitaphe que les François ont écrite à la louange de Marat. La misère et la méchanceté des hommes se plaisent à répéter les noms qui rappellent les malheurs des princes: la première y trouve une espèce de consolation; la seconde se repaît des calamités étrangères : il n'y a qu'un petit nombre d'êtres obscurs qui pleurent et se taisent.

CHANSON

EN L'HONNEUR D'HARMODIUS ET D'ARISTOGITON.

Je porterai mon épée couverte de feuilles de myrte, comme firent Harmodius et Aristogiton, quand ils tuèrent le tyran et qu'ils établirent dans Athènes l'égalité des lois.

1. PLUT., in Lyc., traduct. d'Amyot.

2. Dr MOORE's Journ. A la fête de l'Etre-Suprême on ajouta encore plusieurs autres strophes pour les vieillards, les femmes, etc. On peut voir Le Moniteur du 20 prairial (8 juin) 1793.

Cher Harmodius, vous n'êtes point encore mort: on dit que vous ¿tes dans les îles des bienheureux, où sont Achille aux pieds légers, et Diomède, ce vaillant fils de Tydée.

Je porterai mon épée couverte de feuilles de myrte, comme firent Harmodius et Aristogiton, quand ils tuèrent le tyran Hipparque dans le temps des Panathénées.

Que votre gloire soit immortelle, cher Harmodius, cher Aristogiton, parce que vous avez tué le tyran et établi dans Athènes l'égalité des lois1.

ÉPITAPHE DE MARAT.

Marat, l'ami du peuple et de l'égalité,
Échappant aux fureurs de l'aristocratie,
Du fond d'un souterrain, par son mâle génic,
Foudroya l'ennemi de notre liberté.

Une main parricide osa trancher la vie
De ce républicain toujours persécuté.
Pour prix de sa vertu constante,

La nation reconnaissante

Transmit sa renommée à la postérité 2.

Je demande pardon au lecteur de lui rappeler l'idée d'un pareil monstre par des vers aussi misérables; mais il faut connoître l'esprit des temps.

CHAPITRE XXIV.

PHILOSOPHIE ET POLITIQUE DES SAGES; LES ENCYCLOPÉDISTES. OPINION SUR LE MEILLEUR GOUVERNEMENT:

THALES, SOLON, PÉRIANDRE, ETC.; J.-J. ROUSSEAU, MONTESQUIEU. MORALE SOLON, THALÈS; LA ROCHEFOUCAULD, CHAMFORT. PARALLÈLE DE J.-J. ROUSSEAU ET D'HÉRACLITE. LETTRE A DARIUS;

LETTRE AU ROI DE PRUSSE.

Tandis que les beaux-arts commençoient à briller de toutes parts dans la Grèce, la politique et la morale marchoient de concert avec eux. Il s'étoit formé une espèce de compagnie connue sous le nom des Sages, de même que de nos jours, en France, nous avons vu l'association des Encyclopédistes. Mais les Sages de l'antiquité méritoient cette

1. Voyage d'Anacharsis, t. I, p. 362, note iv.

2. Moniteur du 18 novembre 1793.

Les Sages de la Grèce et les Encyclopédistes! Ah! bon Dieu! (N. éd.)

appellation ils s'occupoient sérieusement du bonheur des peuples, non de vains systèmes : bien différents des sophistes qui les suivirent, et qui ressemblèrent si parfaitement à nos philosophes.

A la tête des Sages paroissoit Thalès, de Milet, astronome et fondateur de la secte ionique 1. Il enseignoit que l'eau est le principe matériel de l'univers, sur lequel Dieu a agi 2. Ce fut lui qui jeta en Grèce les premières semences de cet esprit métaphysique, si inutile aux hommes, qui fit tant de mal à son pays dans la suite, et qui a depuis perdu notre siècle.

Chilon, Bias, Cléobule sont à peine connus. Pittacus et Périandre, malgré leurs vertus, consentirent à devenir les tyrans de leur patrie : le premier régna à Mitylène, le second à Corinthe. Peut-être pensoientils, comme Cicéron, que la souveraineté préexiste non dans le peuple, mais dans les grands génies.

Voici les opinions de ces philosophes sur le meilleur des gouverne

ments :

Selon Solon, c'est celui où la masse collective des citoyens prend part à l'injure offerte à l'individu ;

Selon Bias, celui où la loi est le tyran;

Selon Thalès, celui où règne l'égalité des fortunes;

Selon Pittacus, celui où l'honnête homme gouverne, et jamais le méchant;

Selon Cléobule, celui où la crainte du reproche est plus forte que la loi;

Selon Chilon, celui où la loi parle au lieu de l'orateur;

Selon Périandre, celui où le pouvoir est entre les mains du petit nombre 3.

Montesquieu laisse cette grande question indécise. Il assigne les divers principes des gouvernements, et se contente de faire entendre qu'il donne la préférence à la monarchie limitée. « Comment prononcerois-je, dit-il quelque part, sur l'excellence des institutions, moi qui crois que l'excès de la raison est nuisible, et que les hommes s'accommodent mieux des parties moyennes que des extrémités “? »

« Quand on demande, dit J.-J. Rousseau, quel est le meilleur gouvernement, on fait une question insoluble, comme indéterminée; ou, si l'on veut, elle a autant de bonnes solutions qu'il y a de combinaisons possibles dans les positions absolues ou relatives des peuples 5. »>

1. DIOG. LAERT., in Thal.

3. PLAT., in Conv. sept. Sap.
5. Contrat soc., liv. ш, chap. IX.

2. CICER., lib. 1, De Nat. Deor., n° xxv.

4. Esprit des Lois.

Posons la morale des Sages :

• Qu'en tout la raison soit votre guide. Contemplez le beau. Dans ce que vous entreprenez, considérez la fin1. Il y a trois choses difficiles: garder un secret, souffrir un injure, employer son loisir. Visite ton ami dans l'infortune plutôt que dans la prospérité. N'insulte jamais le malheureux. L'or est connu par la pierre de touche; et la pierre de touche de l'homme est l'or. Connoistoi2. Ne faites pas aux autres ce que vous ne voudriez pas qu'on vous fit. Sachez saisir l'occasion 3. Le plus grand des malheurs est de ne pouvoir supporter patiemment l'infortune. Rapporte aux dieux tout le bien que tu fais. N'oublie pas le misérable. Lorsque tu quittes ta maison, considère ce que tu as à faire; quand tu y rentres, ce que tu as fait 5. Le plaisir est de courte durée; la vertu est immortelle. Cachez vos chagrins 6. >>

Montrons notre philosophie :

« Il n'est pas si dangereux de faire du mal à la plupart des hommes que de leur faire du bien". Les rois font des hommes comme des pièces de monnoie, ils les font valoir ce qu'ils veulent; et l'on est forcé de les recevoir selon leur cours et non pas selon leur véritable prix. On aime mieux dire du mal de soi que de n'en point parler. Il y a à parier que toute idée publique, toute convention reçue, est une sottise, car elle a convenu au plus grand nombre 10. Les gens foibles sont les troupes légères des méchants; ils font plus de mal que l'armée même, ils infestent, ils ravagent 1. Il faut convenir que pour être homme en vivant dans le monde il y a des côtés de son âme qu'il faut entièrement paralyser 12. C'est une belle allégorie dans la Bible que cet arbre de la science du bien et du mal qui produit la mort. Cet emblème ne veut-il pas dire que lorsqu'on a pénétré le fond des choses la perte des illusions amène la mort de l'âme, c'est-à-dire un désintéressement complet sur tout ce qui touche les autres hommes 13? »

1. PLUT., in Solon.; LAERT., lib. 1, § XLVI; DEMOSTHI., De fals. Leg.

2. LAERT., lib. II, S LXVIII-LXXV; HEROD., lib. I, pag. 44.

3. PLUT., Conviv. Sap.; STRABO, lib. xi, pag. 599.

4. LAERT., lib. I, S LXXXII; VAL. MAX., lib. III, cap. ш.

5. LAERT., ibid.

6. Id., ibid., S LXXXIX; PLUT., Conviv.; HEROD., lib. 1, pag. 3. 7. LA ROCHEFoucauld, Max.

8. Id., Max. CLXV.

11. Id., ibid.

9. Id., Max. CIL. 12. Id., pag. 56.

10. CHAMFORT, Maximes, etc., pag. 37. 13. Id., p. 13.-J'invite le lecteur à lire le volume des Maximes de Chamfort (formant le quatrième volume des OEuvres complètes), publié à Paris par M. Ginguené, homme de lettres lui-même et ami du malheureux académicien. La sensibilité, le tour original, la profondeur des pensées, en font un des plus intéressants comme un des meilleurs ouvrages de notre siècle. Ceux qui ont approché M. Chamfort savent qu'il avoit dans la conversation tout le mérite qu'on retrouve dans ses écrits. Je l'ai souvent vu chez M. Ginguené, et plus d'une fois il m'a fait passer d'heureux moments, lorsqu'il consentoit, avec une petite société choisie, à accepter un souper dans ma famille. Nous l'écoutions avec ce plaisir respectueux qu'on scnt à entendre un homme de lettres

Solon, prévoyant le danger des spectacles pour les mœurs, disoit à Thespis: « Si nous souffrons vos mensonges, nous les retrouverons bientôt dans les plus saints engagements. »

Jean-Jacques écrivoit à d'Alembert:

« Je crois qu'on peut conclure de ces considérations que l'effet moral des théâtres et des spectacles ne sauroit jamais être bon ni salutaire en luimême, puisqu'à ne compter que leurs avantages, on n'y trouve aucune sorte d'utilité réelle sans inconvénients qui ne la surpassent. Or, par une suite de

supérieur. Sa tête étoit remplie d'anecdotes les plus curieuses, qu'il aimoit peut-être un peu trop à raconter. Comme je n'en retrouve aucune de celles que je lui ai entendu citer dans la dernière publication de ses ouvrages, il est à croire qu'elles ont été perdues par l'accident dont parle M. Ginguené. Une entre autres, qui peint les mœurs du siècle avant la révolution, m'a laissé un long souvenir : « Un homme de la cour (heureusement j'ai oublié son nom) s'amusoit sur les boulevards à nommer à sa belle-fille, jeune et pleine d'innocence, les courtisans qui passoient dans leurs voitures, en l'invitant à en prendre un pour amant, lui racontant leurs intrigues avec telle, telle ou telle femme de la société. Et vous croyez, ajouta Chamfort, qu'un pareil ordre moral pouvoit longtemps exister? »>

Chamfort étoit d'une taille au-dessus de la médiocre, un peu courbé, d'une figure påle, d'un teint maladif. Son œil bleu, souvent froid et couvert dans le repos, lançoit l'éclair quand il venoit à s'animer. Des narines un peu ouvertes donnoient à sa physionomie l'expression de la sensibilité et de l'énergie. Sa voix étoit flexible, ses modulations suivoient les mouvements de son âme; mais dans les derniers temps de mon séjour à Paris elle avoit pris de l'aspérité, et on y démêloit l'accent agité et impérieux des factions. Je me suis toujours étonné qu'un homme qui avoit tant de connoissance des hommes eût pu épouser si chaudement une cause quelconque. Ignoroit-il que tous les gouvernements se ressemblent; que RÉPUBLICAIN et ROYALISTE ne sont que deux mots pour la même chose? Hélas! l'infortuné philosophe ne l'a que trop appris. J'ai cru qu'un mot sur un homme aussi célèbre dans la révolution ne déplaîroit pas au lecteur. La Notice que M. Ginguené a préfixée à l'édition des œuvres de son ami doit d'ailleurs satisfaire tous ceux qui aiment le correct, l'élégant, le chaste. Mais pour ceux qui, comme moi, connurent la liaison intime qui exista entre M. Ginguené et M. Chamfort, qu'ils logeoient dans la même maison et vivoient pour ainsi dire ensemble, cette Notice a plus que de la pureté. En n'écrivant qu'à la troisième personne M. Ginguené a été au cœur, et la douleur de l'ami, luttant contre le calme du narrateur, n'échappe pas aux âmes sensibles. Au reste, je dois dire qu'en parlant de plusieurs gens de lettres que je fréquentai autrefois je remplis pour eux ma tâche d'historien, sans avoir l'orgueil de chercher à m'appuyer sur leur renommée. Lorsque j'ai vécu parmi eux, je n'ai pu m'asseoir à leur gloire: je n'ai partagé que leur indulgence*.

• Outre l'impertinence de la comparaison de quelques maximes spirituelles de Chamfort avec les maximes des Sages de la Grèce, il y a complète erreur dans le jugement que je porte ici de Chamfort lui-même. Je rétracte dans toute la maturité de mon âge ce que j'ai dit de cet homme dans ma jeunesse. Il me seroit même impossible aujourd'hui de concevoir mon premier jugement sije ne me souvenois de l'espèce d'empire qu'exerçoit sur moi toute renommée littéraire. (N. ED.)

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