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nos jours. Elle obtint alors plusieurs victoires célèbres. Elle renversa sir Robert Walpole, ministre qui, par son système pacifique, s'étoit rendu cher au commerce 1. Bientôt elle parvint à mettre à la tête du cabinet le grand lord Chatham, qui éleva la gloire de sa patrie à son comble, dans la guerre de 1754, si malheureuse à la France 2. Lord Bute ayant succédé à lord Chatham, peu après l'avénement de Sa Majesté régnante au trône d'Angleterre, l'opposition perdit son crédit. Elle tâcha de le recouvrer dans l'affaire de M. Wilkes, membre du parlement, décrété pour avoir écrit un pamphlet contre l'administration 3. Mais le fatal impôt du timbre, qui rappelle à la fois la révolution américaine et celle de la France, lui donna bientôt une nouvelle vigueur. Telle est la chaîne des destinées: personne ne se doutait alors qu'un bill de finance, passé dans le parlement d'Angleterre en 1765, élèveroit un nouvel empire sur la terre, en 1782, et feroit disparoître du monde un des plus antiques royaumes de l'Europe, en 1789 5.

1. SMOLL, Hist. of the House of Brunswick-Luneb.

• Il falloit ajouter : « et odieux à la nation par son système de corruption. » (N. ÉD.) 2. SMOLL., Cont., etc. Hist. of the House of Bruns.-Lun.

3. GUTH., Geogr. Gram., pag. 342.

4. Id., pag. 543; RAMSAY'S Hist. of the Am. Revol.

5. Une étincelle de l'incendie allumé sous Charles Ier tombe en Amérique en 1636 (émigration des puritains), l'embrase en 1765, repasse l'Océan en 1789 pour ravager de nouveau l'Europe. Il y a quelque chose d'incompréhensible dans ces générations de malheurs.

En songeant à l'empire américain d'aujourd'hui, on ne peut s'empêcher de jeter les yeux en arrière sur son origine. C'est une chose désolante et amusante à la fois que de contempler les pauvres humains, jouets de leurs propres faits, et conduits aux mêmes résultats par les préjugés les plus opposés. Les puritains avoient demandé à Dieu, avec prières, qu'il les dirigeât dans leur pieuse émigration, et que Dieu les conduisit au cap Cod, où ils périrent presque tous de faim et de misère. Bientôt après leurs ennemis mortels, les catholiques, viennent débarquer auprès d'eux sur les mêmes rivages. Une cargaison de graves fous, avec de grands chapeaux et des habits sans boutons, descendent ensuite sur les bords de la Delaware, etc. Que devoit penser un Indien regardant tour à tour les étranges histrions de cette grande farce tragi-comique que joue sans cesse la société? En voyant des hommes brûler leurs frères dans la Nouvelle-Angleterre pour l'amour du ciel; une autre race, en Pensylvanie, faisant profession de se laisser couper la gorge sans se défendre; une troisième, dans le Maryland, accompagnée de prêtres bigarrés, couverts de croix, de grimoires, et professant tolérance universelle; une quatrième, en Virginie, avec des esclaves noirs et des docteurs persécuteurs en grandes robes, cet Indien, sans doute, ne pouvoit s'imaginer que ces gens-là venoient d'un même pays. Cependant, tous sortoient de la petite île d'Angleterre, tous ne formoient qu'une seule et même nation. Quand on songe à la variété et à la complication des maladies qui fermentent dans un corps politique, on comprend à peine son existence.

Sur la foi des livres et des intéressés, au seul nom des Américains, nous nous enthou

L'opposition crut avoir remporté un avantage signalé sur le ministre lorsqu'elle eut obtenu le rappel de ce trop fameux impôt; et il n'est pas moins certain que ce fut ce rappel même, encore plus que le bill, qui a causé la révolution des colonies 1.

Trois ministres se succédèrent rapidement, après cette première irruption du volcan américain. Les rênes du gouvernement s'arrêtèrent enfin entre les mains de lord North, qui, de même que ses prédécesseurs, avoit adopté le système des taxes d'outre-mer 2. L'insurrection des Bostoniens, lors de l'envoi du thé de la compagnie des Indes, ne fut pas plus tôt connue en Angleterre, que l'opposition redoubla de zèle et d'activité. Lord Chatham reparut dans la chambre des pairs, et parla avec chaleur contre les mesures du cabinet. Sa motion étant rejetée par une majorité de cinquante-huit voix, les moyens coercitifs. restèrent adoptés dans toute leur étendue.

siasmons de ce côté-ci de l'Atlantique. Nos gazettes ne nous parlent que des Romains de Boston et des tyrans de Londres. Moi-même, épris de la même ardeur lorsque j'arrivai à Philadelphie, plein de mon Raynal, je demandai en grâce qu'on me montrât un de ces fameux quakers, vertueux descendants de Guillaume Penn. Quelle fut ma surprise quand on me dit que si je voulois me faire duper, je n'avois qu'à entrer dans la boutique d'un frère, et que si j'étois curicux d'apprendre jusqu'où peut aller l'esprit d'intérêt et d'immoralité mercantile, on me donneroit le spectacle de deux quakers désirant acheter quelque chose l'un de l'autre et cherchant à se leurrer mutuellement ! Je vis que cette société si vantée n'étoit, pour la plupart, qu'une compagnie de marchands avides, sans chaleur et sans sensibilité, qui se sont fait une réputation d'honnêteté parce qu'ils portent des habits différents de ceux des autres, ne répondent jamais ni oui, ni non, n'ont jamais deux prix, parce que le monopole de certaines marchandises vous force d'acheter avec eux au prix qu'ils veulent; en un mot, de froids comédiens qui jouent sans cesse une farce de probité, calculée à un immense intérêt, et chez qui la vertu est une affaire d'agiotage *.

Chaque jour voyoit ainsi, l'une après l'autre, se dissiper mes chimères, et cela me faisoit grand mal. Lorsque par la suite je connus davantage les Américains, j'ai parfois dit à quelques-uns d'entre eux, devant qui je pouvois ouvrir mon âme : « J'aime votre pays et votre gouvernement, mais je ne vous aime point; » et ils m'ont entendu.

1. Les lords qui protestèrent contre ce rappel peuvent se vanter d'en avoir prédit les conséquences: «Because, the appearence of weakness and timidity in the government..... has a manifest tendency to draw on further insults, and, by lessening the respect of all His Majesty's subjects to the dignity of his crown... throw the whole Britisch empire into a miserable state of confusion, etc.» (Copies of the two protesis against the bill to repeal the Am. Sept. Act. 8, pag. 10. Printed at Paris, 1766.)

2. RAMS., Hist. of the Am. Rev.

Cette note a paru dans le temps assez piquante, mais le ton en est peu convenable: c'est de la philosophie impie et de l'histoire à la manière de Voltaire. Les États-Unis et les Américains ont pris entre les gouvernements et les nations un rang qui ne permet plus de parler d'eux avec cette légèreté. (Y. ED.)

Bientôt après le sang coula en Amérique. J'ai vu les champs de Lexington; je me suis arrêté en silence, comme le voyageur aux Thermopyles, à contempler la tombe de ces guerriers des deux Mondes qui moururent les premiers, pour obéir aux lois de la patrie. En foulant cette terre philosophique, qui me disoit, dans sa muette éloquence, comment les empires se perdent et s'élèvent, j'ai confessé mon néant devant les voies de la Providence, et baissé mon front dans la poussière.

Grand exemple des malheurs qui suivent tôt ou tard une action immorale en elle-même, quels que soient d'ailleurs les brillants prétextes dont nous cherchions à nous fasciner les yeux et la politique fallacieuse qui nous éblouit! La France, séduite par le jargon philosophique, par l'intérêt qu'elle crut en retirer, par l'étroite passion d'humilier son ancienne rivale, sans provocation de l'Angleterre, viola, au nom du genre humain, le droit sacré des nations. Elle fournit d'abord des armes aux Américains contre leur souverain légitime, et bientôt se déclara ouvertement en leur faveur. Je sais qu'en subtile logique on peut argumenter de l'intérêt général des hommes dans la cause de la liberté; mais je sais que toutes les fois qu'on appliquera la loi du tout à la partie il n'y a point de vice qu'on ne parvienne à justifier. La révolution américaine est la cause immédiate de la révolution françoise. La France déserte, noyée de sang, couverte de ruines, son roi conduit à l'échafaud, ses ministres proscrits ou assassinés prouvent que la justice éternelle, sans laquelle tout périroit en dépit des sophismes de nos passions, a des vengeances formidables.

C'est une tâche pénible et douloureuse pour un François, dans l'État actuel de l'Europe, que la lecture de cette période de l'histoire américaine. Souvent ai-je été obligé de fermer le volume, oppressé par les comparaisons les plus déchirantes, par un profond et muet étonnement, à la vue de l'enchaînement des choses humaines. Chaque syllabe de Ramsay retentit amèrement dans votre cœur, lorsqu'on voit l'honnête citoyen vanter, contre sa propre conviction, la duplicité de la conduite de la France envers l'Angleterre. Mais lorsque avec un cœur brûlant de reconnoissance il vient à verser les bénédictions sur la tête de l'excellent Louis XVI; lorsqu'il arrive à cet endroit où M. de La Fayette, recevant la première nouvelle du traité d'alliance, se jette avec des larmes de joie dans les bras de Washington; qu'au même instant, la nouvelle volant dans l'armée au milieu des transports, le cri de : « Longue vie au roi de France! » s'échappe involontairement à la fois de mille bouches et de mille cœurs, le livre tombe des mains, le coup de poignard pénètre jusqu'au fond des entrailles. Américains ! La Fayette, votre idole, n'est

qu'un scélérat! Ces gentilhommes françois, jadis le sujet de vos éloges, qui ont versé leur sang dans vos batailles, ne sont que des misérables couverts de votre mépris, et à qui peut-être vous refuserez un asile! et le père auguste de votre liberté... un de vous ne l'a-t-il pas jugé 1? N'avez-vous pas juré amour et alliance à ses assassins sur sa tombe "!

Durant tout le reste de la guerre, l'opposition ne cessa de harceler les ministres, et devint de plus en plus puissante, en proportion des calamités nationales. C'étoit alors que M. Burke lançoit, comme la foudre, son éloquence sur la tête des ministres. Ce grand orateur, qui possède un des plus beaux talents dont l'homme ait été jamais dignifié, se surpassa lui-même dans ces circonstances. Il remonta jusqu'à la source des troubles des colonies, en traça fièrement les progrès, et, avec ce génie inspiré qui lui a fait tant de fois prévoir l'avenir, plaida la cause de la liberté américaine dans le langage sublime et pathétique de Démosthène.

Enfin, le 27 mars 1782, l'opposition remporta une victoire complète le cabinet fut changé, et le marquis de Rockingham placé à la tête du gouvernement.

La paix étant rétablie entre les puissances belligérantes, l'opposition se joignit au parti du ministre disgracié. M. Fox et lord North formèrent ce qu'on appela la coalition des chefs, qui entraînoit après elle la majorité du parlement. Lord Shelburne, successeur du marquis de Rockingham, mort le 1er juillet 1782, fut obligé de se retirer, et M. Fox, lord North et le duc de Portland se saisirent du timon de l'État.

M. Fox n'occupa que quelques instants le ministère. Son fameux bill de la Compagnie des Indes ayant été rejeté dans la chambre des pairs, il remit peu après les sceaux de son emploi, et M. Pitt remplaça le duc de Portland comme premier lord de la trésorerie.

2

1. Un étranger, non! un Américain, séant juge dans le procès de mort de Louis XVII O hommes! ō Providence!

:

1 Je ne sais que dire des pages qui commencent à cette phrase, j'ai vu les champs de Lexington, et finissent à celle-ci n'avez vous pas juré amour et alliance à ses assassins sur sa tombe? Mais, quelles que soient maintenant les hautes destinées de l'Amérique, je ne changerois pas un mot à ces pages, si je pouvois retrouver, pour les écrire, la chaleur d'âme qui n'appartient qu'à la jeunesse. Ainsi dans aucun temps mes systèmes politiques n'ont étouffé le cri de ma conscience: les succès, la gloire, l'admiration même, lorsque je l'éprouve, ne m'empêchent point de sentir ce qu'il y a d'injuste ou d'ingrat dans la conduite des hommes.

A l'époque où M. La Fayette étoit émigré, les Américains, partisans de notre révolution, blåmoient sa conduite : ils ont depuis récompensé magnifiquement ses services. (N. ED.)

2. Dans la nuit du 19 décembre 1783.

Les principales opérations du gouvernement depuis l'ascension de M. Pitt aux affaires ont été : 1o le bill de ce ministre concernant la Compagnie des Indes, du 5 juillet 1784; 2° celui du 18 avril 1785, en faveur d'une réforme parlementaire, rejeté par une majorité de soixante-quatorze voix; 3° le plan de liquidation de la dette nationale, par l'établissement d'un fonds d'amortissement, 1786 1a; 4° l'acte de la traite des Nègres et de l'amélioration du sort de ces esclaves, 21 mai 1788. La nation étoit au faîte de la prospérité, et M. Pitt, qui n'avoit pas encore atteint sa trentième année, avoit montré ce que peut un seul homme pour la prospérité d'un État.

La maladie du roi, qui suivit peu de temps après, arracha la faveur du public à l'opposition, et couvrit le ministre de gloire. Sa Majesté, rendue aux vœux de tout un peuple, qui lui témoigna par des marques de joie (d'autant plus touchantes qu'elles couloient naturellement du cœur) à quel point elle étoit adorée, reprit bientôt les rênes de son empire, et elle continue à faire le bonheur de ceux qu'une fortune amie a rangés au nombre des sujets britanniques.

A la fin de cette courte histoire de l'opposition, nous placerons les portraits des deux hommes célèbres, depuis si longtemps l'objet des regards de l'Europe, et qui ont eu une si grande influence sur la révolution françoise.

CHAPITRE XXXIV.

M. FOX. M. PITT.

Tels que nous avons vus paraître à la tête de la minorité et de la majorité, dans le sénat de Carthage, les plus beaux talents et les premiers hommes de leur siècle, tels, différents de mœurs, d'opinions et d'éloquence, brillent dans le parlement d'Angleterre les deux grands orateurs dont nous essayons d'ébaucher une foible peinture.

M. Fox, plein de sensibilité et de génie, écoute son cœur lorsqu'il discourt, et se fait entendre ainsi aux coeurs sympathiques. Savant dans les lois de son pays, modéré dans ses sentiments politiques,

1. Un n. lion annuel.

Je n'ai pas attendu à être membre de la chambre des pairs pour m'occuper de l'économic politique: on voit que je savois ce que c'étoit que la liquidation d'une dette et un fonds d'amortissement quelque trentaine d'années avant que ceux qui parlent aujourd'hui de finances sussent peut-être faire correctement les quatre premières règles de l'arithmétique. (N. ÉD.)

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