Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

sur le témoignage que le clergé de Reims, Lambert d'Arras et Yves de Chartres lui avaient rendu de sa capacité. Il tint, en 1037, un concile à Reims, contre Robert, abbé de Saint-Remi; en 1099, il assista à celui de Saint-Omer, où la trêve de Dieu fut confirmée, et, en 1104, à celui de Troyes. L'année suivante, il sacra, à l'issue d'un concile tenu dans sa ville épiscopale, Odau, abbé de Saint-Martin de Tournai, récemment élu évêque de Cambrai. Il ne survécut que peu de temps à cette cérémonie, et mourut le 18 septembre 1106.

-

SES LETTRES. Nous n'avons de lui que quelques lettres, adressées la plupart à Lambert, évêque d'Arras. Aussi se trouvent elles dans le recueil des lettres écrites au sujet du rétablissement de la dignité épiscopale en cette Eglise.

Dans la première, il le priait de se rendre à Reims, le jeudi de la première semaine de carême, pour l'ordonner diacre et prêtre, afin qu'il put se faire ensuite sacrer évêque. Il lui marquait de se faire accompagner d'une suite peu nombreuse, non pour épargner la dépense, mais pour passer plus facilement sur les terres ennemies, lorsqu'ils iraient ensemble visiter Urbain II, qui se trouvait alors à Angers. C'est de cette ville, en effet, que le Pape écrivit à l'Eglise de Reims et à Manassès, sur son élection.

La seconde lettre adressée à Lambert regarde l'ordination de l'évêque de Cambrai. Il crut qu'il était important, pour affermir le droit de l'Eglise d'Arras, que son évêque assistât à la consécration de celui de Cambrai, comme coopérateur et comme témoin. Ce fut cette considération qui le porta à faire inviter Lambert à cette cérémonie. L'évêque nouvellement élu se nommait Manasses, comme l'archevêque de Reims; mais il avait un compétiteur, nommé Gaucher, dont l'élection avait été désapprouvée par le Pape, parce que ce Gaucher ne consentait à recevoir investiture que de la main du roi Henri, excommunié. Le Pape, au contraire, approuvait l'élection de Manassès; l'archevêque de Reims pensait de même. Son dessein, après l'avoir sacré, était d'aller, avec le comte de Flandres et le secours d'Anselme de Ribemont, le placer sur le siége épiscopal de Cambrai, et d'en chasser l'usurpateur Gaucher, qui l'occupait. Le sacre de Manassès ne put se faire au jour convenu. Il fallut le différer. L'archevêque donna avis de ce délai au clergé de la ville, à qui il notifia, en même temps, que le Pape l'ayant chargé de prendre soin de leur conduite, il s'en était déchargé lui-même sur Lambert, évêque d'Arras, en lui accordant tous les pouvoirs essentiels pour remplir les fonctions épiscopales. C'est aussi le sujet de la quatrième lettre.

La troisième est adressée aux clercs et à Alème de Passe. Excommuniés par Lambert d'Arras, leur évêque, ils n'avaient tenu aucun compte de cette censure. L'archevêque de Reims leur déclara qu'il confirmait, en sa qualité de métropolitain, ee que Lambert

avait décidé, et leur enjoignit de lui faire satisfaction dans l'espace de huit jours, et de lui vouer, à l'avenir, une obéissance filiale, comme à leur évêque.

Dans la neuvième lettre, il fait part à l'évêque Lambert de la nouvelle qu'il avait reçue de la prise de Jérusalem par l'armée des croisés; de l'ordre du Pape Pascal et des instances du duc Godefroi de Bouillon, que l'armée avait proclamé roi, pour demander à Dieu la victoire sur toutes les sectes ennemies de l'Eglise. En conséquence, il demande à cet évêque d'ordonner des jeûnes, des prières et des aumônes dans toutes les paroisses de son diocèse, tant pour la prospérité des armes des croisés que pour les évêques du Puy et d'Orléans, pour Anselme de Ribemont et pour tous ceux qui étaient morts, ou plutôt, comme il le dit, qui avaient reçu la couronne du martyre dans cette expédition. Il l'exhorte, en même temps, à obliger tous ceux qui avaient fait vou d'aller à Jérusalem, après avoir pris la croix, de se hâter d'accomplir la promesse.

La dixième lettre regarde quelques points de discipline. Un nommé Gauthier, que sa femme coupable d'adultère avait abandonné pour en épouser un autre, se croyant libre par ce fait, entra dans le clergé, sans que personne ne s'y opposât, et se présenta à l'évêque d'Arras pour un canonicat. Lambert ne voulut pas le lui accorder, avant d'avoir consulté son métropolitain. Manassès répondit qu'il n'y avait aucune difficulté d'accorder à Gauthier le canonicat qu'il sollicitait, parce que l'adultère commis par sa femme le mettait non-seulement en droit de la répudier, mais encore d'exécuter quelque vœu que ce fut, selon Dieu, toutefois, et pourvu qu'il n'épousât pas une seconde femme du vivant de la première. Il fait des reproches à Lambert de ce qu'il a toléré jusque-là l'abus simoniaqué qui s'était introduit dans son Eglise, au sujet des canonicats et des chapelles que les titulaires se transmettaient les uns aux autres, comme des biens héréditaires. Il lui déclare que l'Eglise de Reims professe une horreur particulière pour ces sortes de transactions, et qu'elle tient pour nulles toutes les investitures.

Un autre abus qui régnait alors parmi les clercs était le concubinage. Les conciles avaient souvent essayé de le déraciner, mais le succès avait été loin de répondre aux moyens que l'on avait employés. Il resulte de la douzième lettre de Manassès, qu'il craignait lui-même d'agir avec trop do rigueur contre les clercs concubinaires, puisqu'il manda à Robert, comte de Flandres, de ne point poursuivre les prêtres et autres clercs mariés, ni leurs femmes, à moins qu'il n'en fût prié par l'évêque diocésain. C'était la résolution d'un concile, tenu à Saint-Omer, en 1099, et auquel avaient assisté plusieurs évèques. Mais on y avait arrêté, en même temps, que chaque évêque, dans son synode diocésain, ferait de vifs reproches à tous les cleres concubi

naires, et que si, après avoir été avertis, ils ne quittaient pas leurs femmes, l'évêque pourrait recourir au bras séculier, pour les y contraindre.

Dans une autre lettre à Lambert d'Arras, Manassès lui donne avis de la captivité de Hugues, évêque de Châlons-sur-Marne, qu'Albéric, seigneur de Messant, retenait tyranniquement en prison. Il supplie l'évêque d'Arras de s'interposer pour lui faire rendre la liberté. Mais, à cette occasion, il demandait, de plus, que Lambert fit observer, dans son diocèse, une défense générale de célébrer le service divin, comme il le faisait lui-même dans le diocèse de Reims. Lambert ne goûta pas cette proposition, et en fit même des remontrances à l'archevêque, en lui citant des exemples et des autorités empruntés à l'Ecriture, pour se défendre de l'exécuter. Cependant, l'évêque Hugues fut heureusement élargi, et Manassès ne répondit aux remontrances de son suffragant que pour lui apprendre cette bonne nouvelle et l'inviter à rendre grâces à Dieu. Par sa dernière lettre, Manassès charge Lambert d'Arras de bénir Robert, élu abbé de SaintRiquier, afin de lui épargner les frais qu'il aurait été obligé de faire, en venant à Reims, pour y recevoir la bénédiction abbatiale.

Il n'est pas douteux que cet archevêque n'ait écrit plusieurs autres lettres, en réponse à celles qu'il avait reçues, soit des Papes Urbain et Pascal II, soit d'Yves de Chartres et des autres prélats de France; mais elles n'ont jamais été publiées. Celles dont nous venons de parler sont fort bien écrites, et il en est peu, dans le même siècle, qui puissent leur être comparées.

On est en droit de compter, au nombre des écrits de cet archevêque, les Actes du concile qu'il célébra à Saint-Omer, en 1099, puisqu'il y eut la plus grande part, comme président de cette assemblée. Ces Actes consistent en cinq décrets, sans y comprendre la petite préface, qui regarde les articles stipulés pour l'observation de la trêve de Dieu, qui y avait été confirmée.

MANCION, évêque de Chalons, à la fin du IX siècle, est auteur d'une lettre adressée à Foulques, archevêque Reims, et publiée par dom Mabillon, dans le tome III de ses Analectes. Il le consulte sur la conduite qu'il devait tenir à l'égard d'un prêtre, qui, après avoir fait à une femme des promesses solennelles, voulait l'épouser publiquement. MANEGOLDE, surnommé le Maître des docteurs de son temps, naquit en Alsace et s'y rendit illustre par ses écrits et par son savoir. Après y avoir enseigné les belles-lettres, il passa en France, où il ouvrit plusieurs écoles publiques. Il enseignait gratuitement, et Guillaume de Champeaux, qui avait étudié sous lui, imita son exemple dans les leçons qu'il donna à l'abbaye de Saint-Victor de Paris. Après avoir enseigné à un si grand nombre de disciples le chemin qui conduit à la vie, Manégolde voulut les y affermir luimême par son exemple. Il renonça au monde, tse fit chanoine régulier à Lutenbach. Elevé

bientôt au sacerdoce, le Pape Urbain Hlui donna le pouvoir d'absoudre de l'excommunication tous ceux qui l'avaient encourue à cause du schisme. La mortalité survenue en Alsace, dans les années 1094 et 1095, étendant ses ravages d'une manière effrayante, toute la noblesse du pays voulut se faire absoudre par Manégolde. Il profita de cette circonstance pour retirer du schisme un grand nombre de personnes et les attacher au parti du Pape Urbain. Ce fut en vain que l'empereur Henri IV fit tous ses efforts pour le gagner. Il demeura ferme dans la défense du Saint-Siége, jusqu'à souffrir les fers et la prison plutôt que de renoncer à l'unité. Il paraît qu'il passa de Lutenbach à Reichersperch dont il fut fait doyen, et que de là il se rendit à Marbach, où un seigneur nommé Bauchard venait de fonder une abbaye de chanoines réguliers. Manégolde en fut le premier prévôt. I obtint d'Urbain II, en 1096, une bulle confirmative de ce nouvel établissement; et, en 1103, le Pape Pascal II lui en accorda une seconde. C'est le dernier trait que nous connaissions de la vie de Manégolde.

SES ÉCRITS. Il composa sur le Psautier un Commentaire que l'anonyme de Molk estimait au-dessus de l'or et des pierres précieuses, super aurum et topazion; des Notes marginales sur le texte du prophète Isaïe; des Gloses suivies sur l'Evangile de saint Matthieu; et un Commentaire sur les Epitres de saint Pau!; puis enfin un Glossaire sur les Psaumes, dont les notes sont principalement tirées de saint Augustin. Des deux Apologies que Manégolde composa pour la défense du Pape Grégoire VII, il ne nous reste que la seconde. La première est perdue, à quelques traits près, que Gérohé, prévôt de Reichersperg a insérés dans un dialogue dédié au Pape Innocent H. On voit par ce qu'il en rapporte que Manégolde répondait à ceux qui se plaignaient de la trop grande sévérité de Grégoire VII envers les cleres incentinents et rebelles à l'Eglise, qu'étant aussi coupables que les nicolaïtes et les hérétiques, ils devaient être traités comme Nicolas, Ebion et Paul de Samosate; et en conséquence, interdits du ministère des autels et de l'entrée de l'Eglise. Ce livre de Manégolde fut bien accueilli par les évêques catholiques que les partisans de l'antipape Guibert avaient chassés de leurs siéges, et par les plus sages entre les chanoines réguliers de Reichersperg, qui regardaient les écrits de leur prévôt comine des oracles du ciel. Il y en eut même que ses raisons ramenèrent du schisme à l'unité.

[blocks in formation]

tend pas qu'on doive rejeter toutes leurs opinions. On doit rejeter les unes et ne s'arrèter aux autres qu'autant qu'elles sont vraies. Est-il une opinion plus absurde que la métempsycose inventée par Pythagore? Les philosophes qui sont venus après lui s'en sont moqués. Platon a mieux raisonné sur l'origine des choses; mais quand il veut définir la nature de l'âme, il s'embarrasse de façon à devenir presque inintelligible. Les sentiments de Xénocrate, d'Aristote, de Possidonius et de quelques autres sur la même question, se combattent mutuellement, de sorte qu'on doit aller apprendre ailleurs que chez eux ce que c'est que l'âme. Manégolde fait voir que ces philosophes n'ont pas été plus heureux dans la plupart de leurs autres connaissances. C'est pour avoir été trop attachés à leurs façons de penser et de parler, que Manès, Arius, Origène et plusieurs autres sont tombés dans l'erreur. Ces philosophes étant remplis de vanité, ne pouvaient être éclairés du Saint-Esprit, qui n'aime que les humbles. Privés de la bénédiction des patriarches, ils ont été exclus aussi de la vraie connaissance du mystère de la Trinité. Ils ont été séduits par le père du schisme et de l'idolatrie, le démon, dont le pouvoir n'est restreint ni par le temps ni par l'espace, puisqu'il connaît les secrets de la nature; c'est lui qui a divisé les philosophes en diverses sectes contraires les unes aux autres; c'est lui qui a inspiré cette multitude de poetes, qui out divinisé dans leurs vers des princes scélérats et des voleurs, et donné du crédit au vice et au mensonge. Néanmoins Manégolde ne condamne pas la lecture des ouvrages païens, quand elle est faite dans le but d'y étudier l'éloquence et la beauté du style, à peu près comme les Israélites emportèrent aux Egyptiens leurs vases précieux.

Il traita ensuite des personnes de la Trinité, de la création, de la chute des anges, de la formation de l'homme, de son péché et de la réparation du genre humain par l'Incarnation du Fils de Dieu dans le sein de la Vierge, et des prophètes qui ont prédit les deux avénements du Sauveur. Il montre que, depuis sa naissance jusqu'à sa mort, il a pratiqué l'humilité, et que, pour ôter à ses disciples toute occasion d'orgueil, il en a choisi qui ne possédaient dans le monde ni honneurs, ni richesses; qu'il leur a donné part à son royaume, accompli en leur présence plusieurs miracles qui prouvaient clairement sa divinité, et que, leur ayant envoyé l'Esprit sanctificateur, il les a chargés d'annoncer l'Evangile à toute la terre. Tel était le but de leur vocation. JésusChrist ne les avait pas appelés pour raisonner sur le cours des astres, ni pour s'appliquer à l'étude de la philosophie mondaine. Manégolde s'explique clairement sur la transsubstantiation du pain et du vin. Il dit qu'elle s'opère par la vertu des paroles du Seigneur, prononcées par le prêtre; c'est pourquoi il les appelle des paroles vives et sauctiliantes. Il ajoute que, de même que

c'est Jésus-Christ qui baptise, de même aussi c'est lui qui change l'essence de la chose proposée pour l'oblation, c'est-à-dire du pain et du vin, et que ce que nous rece vons à l'autel est son corps et non la figure de son corps. Il entre dans des détails sur l'état de l'Eglise, relève la fermeté des apôtres, surtout dans la prédication de l'Evangile et dans le témoignage qu'ils rendirent à sa résurrection; puis il avoue que tout ce qu'il avait dit jusque-là des œuvres de Dieu et de ses merveilles n'était que pour prouver combien il est dangereux de suivre l'opnion des philosophes, et particulièrement de ceux qui n'admettent pas la résurrection des corps. Il appelle le sacerdoce un sacrement, et dit que l'ordre se confère par l'imposition des mains.

Venant ensuite au but principal de son ouvrage, Manégolde invective vivement contre les archevêques et évêques allemands, parce qu'ils se montraient rebelles aux avis et aux décrets canoniques de Grégoire VII, à qui il donne le titre de saint. Il les accuse de ne s'être séparés de l'Eglise, leur mère, que pour éviter les peines dues à leurs crimes; d'avoir engagé dans leur daunation Henri IV, leur roi, afin d'avoir pour défenseur celui qui était le moteur de leur hérésie, et lorsqu'on les pressait de témoigner quelque respect pour le chef de l'Eglise, d'avoir répondu plusieurs fois, sans rougir de leurs paroles: Nous n'avons point d'autre pontife que l'empereur. Toutefois il reconnaît qu'il y avait encore en Aliemagne plusieurs prélats et d'autres personnes d'un mérite distingué, qui tenaient avec fermeté le parti de Grégoire VII. Sur quoi il renvoie à la vie qui en avait ete écrite par l'archevêque de Saltzbourg.

Muratori croit que cet archevêque était Gébéhard, et que sous le titre de: Vie de Grégoire VII, il faut entendre sa lettre à Hérimann, évêque de Metz, imprimée à Ingolstad en 1612, parmi les monuments qui regardent le schisme de Henri IV et de l'antipape Guibert. Il y avait encore en Allemagne des princes pieux, des moines, des ermites et des gens de bien dans tous les états, déclarés contre le schisme et pour Grégoire VII. Son élection avait été réconnue, non-seulement dans les Eglises de France, d'Allemagne et d'Espague, mas aussi dans les Eglises grecques et latines, sans contradiction. Les schismatiques mêmes l'avaient reconnue, lorsque de leur avis le roi Heuri s'adressa à lui pour se faire absoudre de l'excommunication qu'il ava d'abord encourue pour avoir communique avec les excommuniés.

Tel est en substance le livre de Mant golde contre Wolphême. Le style en est quelquefois un peu trop diffus, ce qui rend ses arguments moins pressants; mais on y retrouve partout un grand fonds de piéte el un attachement inviolable à l'unité de l'Eglise. On ne dit point où il avait lu que l'autorité du Saint-Esprit avait décidé qu'ua souverain pontife ne devait être jugé par

personne. La bibliothèque espagnole de dom Nicolas Antonio annonce une histoire universelle sous le nom de Maître Manégolde. Il serait singulier qu'un ouvrage de cette importance, composé par un Allemand, ne se trouvât qu'en Espagne. Mais il y a eu plusieurs écrivains du même nom répandus en différents pays.

MANÈS. La doctrine des manichéens appartient incontestablement aux représentations dualistes les plus influentes. Il nous est donc impossible de la passer ici sous silence, et cependant, nous n'en dirons que peu de chose, parce que son caractère essentiel est de se tenir sur la limite de ce qui est l'idée chrétienne et de ce qui ne l'est pas. En ce qui concerne personnelle ment Manès, Mani, ou Manichée, dont l'histoire a été racontée différemment par les écrivains orientaux et par ceux de l'Occident, on a prétendu reconnaître en lui un fondateur de religion, comparable peutêtre à Mahomet, puisque interprétant, retranchant, ajoutant à son gré, il s'efforça de composer, avec d'anciennes et diverses religions, une religion nouvelle. C'était alors une entreprise aussi hardie qu'inconsidérée, que de se mettre en opposition avec le dé veloppement religieux qui s'accomplissait alors au milieu de ses concitoyens. Perse d'origine, déployant son activité, du milieu à la fin du me siècle de notre ère, ses tentatives concordent avec l'édification d'un nouvel empire persan. Les Perses d'alors, qui s'étaient affranchis de la domination des Parthes, s'ingéniaient à rétablir, sous les Sassanides, les anciennes mœurs et l'ancienue religion du peuple. Ces mouvements populaires dérivaient de l'idée de la monarchie, et, par conséquent, il ne faut point regarder comme chose purement accidentelle, qu'ils aient été favorables aux germes du manichéisme qui se trouvaient dans l'ancienne doctrine persanne, et qu'ils aient contribué plus tard à développer ces germes. Nous trouvons, en effet, les deux puissances, la temporelle et la spirituelle; fondues dans la doctrine de Manès, qui avait emprunté son point de départ dualiste à la religion persanne. Ces prémices posées, occupons-nous maintenant du héros de cette doctrine, qui sut l'implanter à côté du christianisme.

Vers le milieu du me siècle, il y avait en Egypte un nommé Scythianus, Sarrasin de nation, homme extrêmement riche, d'un esprit vif, brillant et cultivé, qui l'aidait à pénétrer facilement dans toutes les sciences des Grecs. Quoiqu'il possédât quelque connaissance de la religion chrétienne et des saintes Ecritures, il n'avait néanmoins rien de commun, ni avec les Juifs, ni avec les Chrétiens. Le désir de se voir à la tête d'un parti lui fit inventer de nouveaux dogmes. Il se mit donc à raisonner sur les principes de Pythagore et d'Empédocle, et aidé par le démon, il s'imagina que, puisque le monde était rempli de choses opposées et contraires, il fallait que cette opposition

vint de deux racines différentes, de deux principes ennemis. Pour établir cette doctrine, il composa quatre livres, tous assez courts; le premier intitulé, De l'Evangile, le second, Des Chapitres, le troisième, Des Mystères, et le quatrième, Des Trésors. Nous nous contenterons seulement de remarquer ici que le premier ne renfermait aucune des actions de Jésus-Christ, et n'avait de commun avec l'Evangile que le simple titre. Scythianus se proposait d'ipfester la Judée de ses erreurs, mais une maladie, qui fut bientôt suivie de la mort, l'empêcha d'y réussir. Il laissa Térébinthe, son disciple, héritier de ses livres, de sa doctrine et de son argent. Celui-ci passa de Judée en Perse, et, pour n'être pas connu, il changea de nom et se fit appeler Buddas. Il y rencontra, pour adversaires, les prêtres de Mithra ou du Soleil, qui, après l'avoir convaincu d'erreur, dans plusieurs disputes, le chassèrent et l'obligèrent de se retirer chez une vieille veuve, sans avoir pu réunir aucun disciple. Etaut monté, un jour, sur la terrasse de cette maison, pour invoquer les démons de l'air, il fut frappé de Dieu, et mourut en tombant du haut en bas. La veuve hérita de ses livres et de son argent, mais comme elle n'avait ni enfants, ni famille, elle acheta un esclave persan, nommé Cubricus, qui n'avait encore que sept ans. Elle l'affranchit, l'adopta pour son fils et le fit instruire dans les sciences et la philosophie des Perses, de sorte qu'il devint considérable parmi leurs sages. A la mort de la veuve, il hérita de tous ses biens, avec les livres qu'elle avait eus de Térébinthe. Cubricus, pour effacer plus aisément le souvenir et la honte de sa servitude, changea son nom et prit celui de Manès, qui en persan signifie discours ou conversation, comme pour marquer qu'il possédait le don de la parole et qu'il excellait dans la dialectique.

Manès adopta la doctrine de Térébinthe et de l'Egyptien Scythianus. Le spectacle des biens et des maux de ce monde lui persuada que la création devait être attribuée à deux principes: l'un essentiellement bon, qui est Dieu, l'esprit ou la lumière; l'autre, essentiellement mauvais, qui est le diable, la matière ou les ténèbres. Le système de Manès se rapprochait en quelques points de la doctrine de Zoroastre et de celle du christianisme; mais il en altéra la nature par les développements et les erreurs qu'il y ajouta. 11 rejetait l'Ancien-Testament; il assurait que Moïse et les prophètes n'avaient été inspirés que par le prince des ténèbres, et que Jésus-Christ, sorti du sein de la lumière, était venu, non en réalité, mais en esprit, pour sauver le genre humain. Il prétendait être, lui-même, le divin Paraclet, annoncé par Jésus à ses disciples, et prenait le titre d'apôtre du Christ. Ce fut dans les dernières années du règne de Sapor 1", roi des Perses, que cet imposteur, aussi rusé qu'audacieux, s'attribua le don de prophétie, et publia un livre qu'il propo

sait comme descendu ciel, et qui n'était peut-être que la traduction paraphrasée et augmentée de ceux qu'il avait eus à sa disposition. Le dogme de la métempsycose, la défense de tuer un animal quelconque, et l'abstinence absolue de toute espèce de viande formaient les autres points principaux de sa religion. Il dogmatisa publiquement et envoya prêcher sa doctrine, d'abord dans les contrées les plus voisines de la Perse, et ensuite dans l'Inde et en Egypte, puis à la Chine, par douze disciples (à l'exemple des douze apôtres de Jésus-Christ), parmi lesquels on cite Thomas, Hermas et Buddas. Cette doctrine fit tant de prosélytes, que le roi de Perse, lui-même, eut, dit-on, la faiblesse de l'adopter; mais quelque temps après, soit que cet imposteur, malgré les talents qu'on Ini a supposés en médecine, n'eût pu sauver la vie à un tils de Sapor, soit inconstance ou crainte politique de la part du monarque, celui-ci abjura les principes de Manès, le fit mettre en prison, et voulut le faire périr, suivant les uns, ou se contenta de le bannir, selon d'autres.

Manès, proscrit et fugitif, parcourut l'Indostan, la Chine et le Turkestan, où ses talents supérieurs dans l'art de la peinture et de la sculpture lui fournirent les moyens de subsister, et, contribuèrent, non-seulement à lui acquérir une grande célébrité, mais encore à accréditer sa doctrine. En effet, ayant découvert dans le Turkestan une montagne qui, par une vaste caverne, communiquait à une plaine délicieuse qui n'avait pas d'autre issue, il y déposa secrètement des vivres pour un an. Ensuite il annonça à ses disciples qu'il allait monter au ciel, d'où il ne reviendrait qu'après une année révolue, pour leur apporter les ordres de Dieu, et qu'il leur apparaîtrait près della caverne, dont il leur indiqua la position. Il s'y retira donc, et y vécut seul, pendant un an, uniquement occupé à peindre ou à graver des figures extraordinaires sur une planche appelée depuis erdjenki, ou plutôt ertenki-mani, nom que d'autres auteurs ont donné au livre que Manès, suivant eux, ne publia que dans cette occasion, et pour lequel il avait composé ces peintures surprenantes. A l'époque convenue, il reparut dans les environs de la caverne, et montrant à ses disciples émerveillés le livre ou la planche qu'il disait avoir apportée du ciel, comme un témoignage de son apostolat, il séduisit par cet artifice grossier les peuples du Turkestan, qui embrassèrent sa religion.

Après la mort de Sapor, son fils, Hormouz 1", permit à Manès de rentrer en Perse, le combla de bienfaits et lui assigna pour demeure le château de Derkereh, qu'il fit bâtir exprès pour lui, dans le Seïstan. La doctrine de cet imposteur avait fait de Lombreux prosélytes parmi les Chrétiens. Dans l'espoir d'en attirer un plus grand nombre, il écrivit, en se donnant le titre de Paraclet, à Marcel, homme distingué par sa fortune et par sa piété. Marcel commu

niqua sa lettre à Archélaüs, évêque de Cascar, en Comagène, et par ses conseils engagea Manès de venir à Cascar, et d'entrer en conférence avec ce prélat, en présence de quatre juges renommés par leurs capacités et par leurs vertus. Manès déve loppa son système avec beaucoup de subtilité et d'éloquence, Archélaüs, non moins habile, le réfuta pleinement; et, à la satisfaction de tout le monde, la doctrine catholique sortit victorieuse de cette célèbre dispute, et personne ne fut ébloui par les sophismes de l'hérésiarque.

L'échec éprouvé par Manès fut pour lui le prélude d'une plus grande disgrace. Behram I, fils et successeur d'Hormouz, zélé pour l'ancien culte de ses pères, résolut d'exterminer cet imposteur et sa secte. Ayant, par une feinte bienveillance, afin de lui inspirer plus de sécurité, réuni un grand nombre de manichéens, il ordonna que leur doctrine fût soumise à l'examen d'une espèce de concile formé par les mages. Le roi présida lui-même cette assemblée, où Manès exposa fièrement sa prétendue qualité de prophète, et les dogmes de sa religion. Réfuté dans tous ses sophismes, il montra Dieu et Satan, sur des tableaux qu'il donnait comme célestes, en raison de leur travail extraordinaire. On exigea vainement quelques miracles à l'appui de ces allégations. Réduit au silence, et convaincu d'erreur et de mensonge, il fut pressé d'abjurer son hérésie, et sur son refus, Behram ordonna qu'il fût écorché vif, et que sa peau, remplie de paille, fût suspendue à l'une des portes de Djondischaour; ce qui fut exécuté, vers l'an 274, et ce trophée dérisoire se voyait encore du temps de saint Epiphane. On fit périr dans tout le royaume ses disciples et ses sectateurs, désignés par le surnom de Soureth Perest (adorateurs d'images); mais plusieurs de ces malheureux se réfugièrent dans l'empire romain, et en diverses contrées de l'Asie et de l'Afrique, où ils propagèrent les principes de leur maître.

Manès est appelé communément, parmi les Orientaux, Zendik (l'impie), al Tanarri (l'apôtre des deux principes), et al Nakasch, (le peintre). Son habileté dans l'art de la peinture est passée chez eux en proverbe. Sa main était si sûre qu'il traçait des lignes, sans se servir de règle, et que, sans compas, il décrivait avec son doigt un cercle parfaitement rond d'une très-grande dimension, avantage qu'on n'a depuis admiré que dans le fameux Giotto, dont l'O est aussi passé en proverbe. Manès avait fait encore un globe terrestre avec ses cercles et ses divisions. Nous reproduisons ici la lettre qu'il écrivit à Marcel et qui donna lieu à sa fameuse conférence avec Archélaüs.

<< Manès, apôtre de Jésus-Christ, et tous les saints et toutes les vierges qui sont avec moi, à Marcel, mon fils bien-aimé, grâce, miséricorde et paix, de la part de Dieu le Père et de Jésus-Christ notre Seigneur; que la main droite de la lumière vous préserve

« ZurückWeiter »